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Textes d'opinion

« Money » : à quoi sert l’argent?

À quoi sert l’argent? La question est simple à poser, mais les réponses vont bien au-delà des évidences qui viennent spontanément à l’esprit, soit à la consommation et au commerce. Dans son livre Money: How the Destruction of the Dollar Threathens the Global Economy – and What We Can Do About It, Steve Forbes et sa coauteure Elizabeth Ames mettent en valeur l’utilité plus fondamentale de l’unité monétaire.

L’ouvrage, publié il y a presque cinq ans, vient d’être remis à jour à l’occasion du lancement d’un documentaire qui s’en inspire. Money demeure d’une pertinence remarquable en raison du regard et de la perspicacité uniques de Steve Forbes en matière monétaire, mais aussi pour au moins deux autres raisons. La première est que les leçons de la dernière crise économique – ainsi que des précédentes – tardent à être comprises; la seconde est la guerre tarifaire et les dommages économiques qu’elle va inévitablement entraîner.

La thèse de Forbes est essentiellement que l’argent, ou la monnaie, est une unité de mesure. En facilitant les échanges entre des étrangers, l’argent encourage la coopération et la confiance nécessaires au commerce. La valeur de l’argent est ainsi une sorte de contrat implicite, celle sur laquelle on se base pour conclure des transactions, et elle doit être stable. Lorsqu’une monnaie est instable ou qu’elle perd sa valeur, cette confiance est minée et les échanges deviennent plus difficiles, voire impossibles. Les gens perdent non seulement confiance dans le marché, mais dans les institutions, et même les uns envers les autres.

Crise financière, crise de confiance

C’est ce qui est arrivé à la fin des années 2000. La hausse des taux d’intérêt, qui étaient artificiellement bas, a fait en sorte que bien des gens n’avaient plus les moyens de conserver leur maison. Les prêteurs en ont subi les contrecoups, puis les institutions financières, les marchés et enfin l’ensemble de l’économie.

Cette crise financière est devenue une crise de confiance, qui a engendré des manifestations et des émeutes à travers l’Occident. La dévaluation de la monnaie qui s’en est suivie, en augmentant le coût pour se nourrir, a été l’étincelle qui a embrasé plusieurs pays arabes et causé la chute de régimes politiques et en a fait vaciller d’autres. En Europe, aussi, plusieurs gouvernements sortants ont été balayés, emportés par la colère populaire. Les auteurs montrent que ces épisodes récents ne sont qu’une répétition prévisible du passé, par exemple celui de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Les leçons non apprises peuvent avoir des conséquences funestes…

Les dommages de l’instabilité monétaire ne sont pas que politiques. Forbes et Ames rappellent que c’est l’inflation, bien plus que le chômage, qui est liée à l’augmentation de la criminalité. Pourquoi? Quand le travail et l’effort ne sont plus récompensés, on prend le chemin le plus court vers la richesse : le crime et la corruption. À ceux qui doutent de l’effet délétère de l’abus de la presse à billets, un séjour au Venezuela ou en Argentine constituera une preuve douloureuse.

Même dans les économies plus robustes, la crise de confiance a engendré des séquelles importantes. Aux États-Unis, la question des inégalités est devenue un sujet émotif. En effet, comment justifier que la classe moyenne, qui vivait encore dans une économie en récession, devait emprunter aux taux du marché pendant que les financiers recevaient des milliards en argent « gratuit » du gouvernement? Le problème, notent les auteurs avec justesse, n’était pas que Wall Street « trichait », mais bien les politiques de la Réserve fédérale, qui tentait de raviver l’économie en faisant précisément ce qui l’avait plongé dans la crise. Les médias ont blâmé Wall Street pour sa cupidité. Ils auraient dû blâmer la Fed.

« Un déficit de compréhension »

Les pages consacrées au déficit commercial prennent une signification particulière dans la foulée de la renégociation de l’ALÉNA et de la guerre commerciale que le gouvernement américain actuel a décidé de livrer contre ses partenaires nord-américains, contre l’Europe et contre la Chine.

Forbes et Ames découpent en pièces ce concept absurde et mettent à nu l’incompétence flagrante de nos politiciens en matière de commerce. « Nous encourons tous des déficits commerciaux au quotidien », rappellent-ils. Vous achetez un Big Mac, vous avez un déficit commercial avec McDonald’s. Vous donnez votre argent à l’entreprise, celle-ci n’achète rien de vous, et tout le monde est heureux.

L’obsession actuelle pour le déficit commercial vient du fait qu’on oublie que ce ne sont pas les pays qui échangent, mais des individus et des entreprises. Les importations et les exportations ne sont qu’un reflet des besoins des habitants d’un pays à un moment précis, et le concept de « déficit » commercial n’a aucune application dans l’économie réelle. À la limite, il montre qu’un pays prospère a les moyens d’acheter beaucoup plus que ce qu’il produit, ce qui est évidemment une bonne chose! Les États-Unis ont ainsi passé environ 350 des quelque 400 dernières années en situation de déficit commercial, devenant éventuellement la première puissance mondiale. Par contre, ils ont été en « surplus » pendant la Grande Dépression des années 1930. Qui veut retourner là?

Ruée vers l’or?

Comme l’instabilité monétaire est la source des maux, le remède est de revenir à une monnaie stable. C’était le cas jusqu’au début des années 70, alors que la valeur du dollar américain était liée à celle de l’or. Disons que cette solution est plus simple à expliquer qu’à appliquer, à tout le moins politiquement!

Bien qu’on ne retiendra pas notre souffle d’ici à ce que cela arrive, Money demeure une œuvre accessible, instructive et éclairante sur les origines et le rôle d’une institution centrale à nos économies modernes et qui, bien employée, peut être une source de prospérité, mais aussi de vertu. Le livre est enfin un rappel du danger bien réel des interventions gouvernementales dans l’économie, qui infligent souvent des maux plus néfastes que ceux qu’elles prétendent guérir. L’enfer, même économique, est pavé de bonnes intentions.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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