« No-show » : blâmons le patient, surtout pas le système..!
Au Québec, environ 10 % des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous médical.
On apprenait cette semaine que le ministère de la Santé veut s’attaquer au problème. Fait intéressant, dans l’article, un gestionnaire du système de santé reproche aux patients de ne pas avertir lorsqu’ils ne se présentent pas.
Avez-vous déjà essayé de parler à quelqu’un dans un établissement de santé, particulièrement aux rendez-vous? À certains endroits, il n’y a même pas de boîte vocale! Peut-on concevoir que les patients ont autre chose à faire que rappeler à répétition en espérant avoir la ligne?
Ce genre de réaction montre aussi que notre système public n’est pas à la veille de considérer le patient comme un client.
Ma dentiste me rappelle la veille de mon rendez-vous. Mon physio me rappelle la veille de mon rendez-vous. Crime, même le livreur de matelas me rappelle pour confirmer la livraison du lendemain. Mais en 2018, au Québec, demander à un employé d’hôpital de prendre le téléphone pour confirmer un rendez-vous fait encore figure de mesure révolutionnaire.
En Estrie, quelqu’un a allumé; on rappelle les clients 48 heures avant le rendez-vous. Pour l’année en cours, la proportion de patients qui ne se présentent pas est de 2,6 %. Évidemment, ça montre qu’il est possible de faire preuve d’un peu d’initiative à l’intérieur du système public. Mais comme d’autres ne le font pas, ça montre aussi qu’en l’absence d’incitations, la bonne volonté ne suffit pas.
Pour le dentiste et le physio, le patient absent représente une perte de revenus. Pour le magasin de matelas, c’est de repartir avec de la marchandise non livrée et devoir revenir. Pour l’hôpital, c’est simplement une chaise vide, puisque le patient est une dépense nette (les hôpitaux ne reçoivent pas plus d’argent s’ils soignent plus de patients). À la limite, les absents peuvent permettre des économies, alléger l’horaire de la journée et limiter les retards sur place.
Bienvenue en 1998
La nouvelle met aussi en relief, encore une fois, à quel point l’État est incapable de mettre en place des solutions simples et éprouvées depuis longtemps. Un passage de l’article, que je ne reproche pas au journaliste, est particulièrement savoureux :
« Québec envisage de permettre plus facilement à un patient d’annuler un rendez-vous. Ce pourrait être grâce à une solution informatique. »
Je lis ça, et j’ai l’impression d’être en 1998, alors qu’on commençait à avoir Internet à la maison. Note au ministère : ça fait six ans que je change mes rendez-vous avec mon chiro sans jamais lui parler. Je reçois aussi des rappels via courriel (la veille) et la journée même (texto). Impossible d’oublier, et l’Internet, comme on dit, c’est gratis en plus.
Ce n’est pas la faute du patient
Bien sûr, les rendez-vous manqués doivent être repris. Bien sûr, on gaspille ainsi une ressource précieuse – le temps – dans un réseau où l’attente est endémique. Mais même si on arrivait à éliminer complètement les patients qui posent un lapin, cela ne règlera pas le problème d’attente.
Par exemple, à peine deux tiers (68 %) des consultations auprès de médecins spécialistes ont lieu dans les délais fixés par le ministère. À Montréal, c’est moins de la moitié (43 %). Même si on éliminait complètement les quelque 10 % de « no-show », on serait encore loin du compte.
Focaliser ainsi sur la responsabilité du patient risque de mener à des solutions bureaucratiques et improductives (comme retirer les fautifs des listes d’attentes), et faire oublier le portrait plus global.
C’est toute l’organisation et les incitations du système de santé qu’il faut revoir : laisser plus d’autonomie aux infirmières, pharmaciens et autres, afin de décharger les médecins; financer les établissements à l’activité; faire place à des fournisseurs privés, tout en maintenant la couverture publique, comme cela se fait en Europe; utiliser les technologies modernes (dont le téléphone!) pour les suivis de rendez-vous, et même certaines consultations; publier des indicateurs de performance, afin de favoriser la diffusion des meilleures pratiques; enfin, décentraliser fortement la gestion du système de santé, afin d’éviter que le ministère, voire la ministre, devienne un goulot d’étranglement pour les initiatives locales.
Tout ce qui est inclus dans le paragraphe précédent devrait avoir été fait depuis au moins vingt ans. Pourtant, d’élection en élection, de ministre en ministre, de rapport en rapport, on se contente de rebrasser les mêmes cartes sans changer les fondements même de notre système de santé.
Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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