La médecine à une vitesse
C’est le jour de la marmotte. Le gouvernement fédéral menace encore de couper dans les transferts en santé si le Québec ne se plie pas à ses quatre volontés.
La ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas-Taylor, somme le gouvernement québécois d’interdire aux patients de payer pour passer certains tests (des analyses sanguines ou des examens de résonance magnétique, par exemple) dans une clinique privée, sans quoi les transferts fédéraux en santé seront réduits. Il y a tellement de choses qui ne fonctionnent pas là-dedans que c’est difficile de décider par où commencer.
La première est que la santé est un domaine de compétence provinciale selon la Constitution du Canada. En plus clair : ce n’est pas des affaires du fédéral. Bien sûr, cela n’a jamais arrêté Ottawa, et il existe en effet une Loi canadienne sur la santé, qui énonce certains critères que doivent respecter les provinces.
La gratuité n’est pas mentionnée dans la loi fédérale. Ce qui est interdit, c’est la surfacturation par les établissements de santé publics. Un hôpital ne peut donc pas vous demander des frais supplémentaires pour vous soigner. Par contre, la loi n’empêche pas que des soins soient prodigués contre rémunération en dehors des hôpitaux.
Heureusement, d’ailleurs. Ce n’est pas comme si notre système public réussissait à répondre à la demande de soins. Dans les palmarès internationaux, le Canada est un cancre en matière d’accès; le Québec fait encore pire, comme en ont témoigné les travaux du Commissaire à la Santé : dernier pour l’accès à un médecin de famille, dernier pour l’accès à un spécialiste, dernier pour les chirurgies non urgentes et, à tout seigneur tout honneur, dernier pour le temps d’attente à l’urgence.
Payer pour recevoir des soins n’est pas un caprice. Comme l’attente pour des examens d’imagerie peut souvent se compter en mois, on peut comprendre que des gens, inquiets, décident de prendre leur santé en main lorsque l’État les laisse tomber.
Fausse prémisse
La mauvaise idée de la ministre Petitpas est également basée sur une fausse prémisse, voulant qu’un examen de plus au privé signifie une ressource équivalente de moins dans le système public. Encore ici, la ministre, et plusieurs autres, ont tort.
Les appareils d’imagerie des hôpitaux du Québec sont largement sous-utilisés, comme l’a montré une enquête de La Presse, au titre on ne peut plus clair : « Imagerie médicale : des appareils ‟dorment” dans les hôpitaux ». Un patient qui paie pour se faire soigner ne prend pas la place de personne d’autre, il ne fait que se sauver lui-même. Et, comme il continue de payer ses impôts, il paie même pour les autres!
Dans les conditions actuelles, interdire les gens de payer pour certains examens, en plus d’être cruel, ne va qu’engorger davantage le système public. À ceux qui en doutent encore, c’est précisément ce qui est arrivé l’an dernier lorsque le ministre Barrette a décidé que les échographies en clinique seraient dorénavant remboursées par l’État. L’attente a explosé, passant dans certains cas de moins d’une semaine à entre cinq à onze semaines.
La peur du privé
Une mesure incontournable pour améliorer la performance de nos hôpitaux serait d’implanter un financement en fonction des soins fournis (ou financement à l’activité, dans le jargon). À peu près tous les pays développés ont adopté cette solution, certains depuis plus de 20 ans. Présentement, comme le budget d’un hôpital est fixé globalement, une augmentation du nombre de patients signifie une augmentation de ses dépenses, sans les revenus correspondants. Disons que ce n’est pas la meilleure façon d’encourager à prendre plus de patients…
Ensuite, il faudrait arrêter de véhiculer cette peur irraisonnée du privé. La quasi-totalité des pays développés ont un système de santé mixte, où le secteur privé joue non seulement un rôle complémentaire comme c’est le cas ici, mais est aussi intégré à une couverture de santé universelle. C’est par exemple le cas en Suède, au Danemark, en France et en Allemagne, tous des pays qui partagent des valeurs sociodémocrates. Sur ce point, les Québécois ont fait un bout de chemin que bien des politiciens et commentateurs doivent encore faire, puisque des sondages ont montré qu’ils sont très largement favorables à faire une plus grande place aux entrepreneurs à l’intérieur de notre système de santé public.
Si le Canada avait le meilleur système de santé au monde, il y aurait au moins un début de commencement d’argument pour refuser tout ce qui fonctionne bien ailleurs, mais ça s’adonne que c’est l’inverse. En termes d’accès, la performance canadienne est tout simplement gênante.
Bien sûr, dans un monde idéal, on aurait un système hyperperformant et gratuit, avec un morceau de tarte aux pommes en prime chaque fois que l’on sort notre carte d’assurance-maladie. Mais en attendant de réparer la partie publique de notre système de santé, qui est franchement déficiente, pouvons-nous au moins ne pas interdire aux gens de se faire soigner? Dans les conditions actuelles, il est certain que les Québécois (ou les autres Canadiens) ne seront pas mieux servis par une médecine à une vitesse.
Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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