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Textes d'opinion

Le dernier libéral

Le 22 juin dernier, notre collaborateur Alain Dubuc a annoncé son départ de La Presse, à laquelle il était lié depuis un peu plus de 40 ans. L’ancien directeur de ces pages lui rend ici hommage. 

Le départ du chroniqueur économique Claude Picher en 2011 avait laissé un premier vide. Puis il y a eu celui de l’éditorialiste en chef André Pratte, quatre ans plus tard.

Avec la retraite journalistique d’Alain Dubuc, il y a quelques semaines, les médias du Québec perdent un des derniers grands défenseurs de la pensée libérale.

Certains balaieront l’événement d’un revers de main, ou même s’en réjouiront, parce que le mot « libéral » est devenu chez nous synonyme de « fédéral » au fil du temps. Il faut voir plus large.

La pensée libérale est issue d’une grande tradition intellectuelle qui remonte aux Lumières, et de laquelle sont issus nos droits et nos institutions démocratiques (et, soit dit en passant, nos trois principaux partis politiques) ; elle a aussi favorisé l’ouverture au commerce, à l’entreprise et à l’immense enrichissement que nous avons connu au cours des deux derniers siècles et dont nous profitons aujourd’hui.

C’est en ligne directe avec cette pensée libérale que s’est inscrite l’écriture d’Alain Dubuc : rationnelle, ouverte, non partisane et non idéologue. À une époque où il était de bon ton dans les milieux fédéralistes de manger du « séparatisse », Alain, sans être d’accord, a reconnu la légitimité du projet. Il a aussi ouvert les pages éditoriales aux lecteurs et à un regard qui n’était pas celui des commentateurs professionnels.

Et, bien sûr, il a parlé d’économie, de santé, d’éducation, de pauvreté aussi, de cette richesse qui nous manque et dont il a fait l’éloge, de fédéralisme, de souveraineté, entre autres ; de nous, avant tout, de sa « famille » dont il a fait le portrait.

Le Québec, a-t-il rappelé encore dans son texte d’adieu, est pauvre parmi les pays riches. Mais comme il l’a inlassablement répété, il peut encore s’enrichir, n’a pas à avoir honte de le faire, et tous ceux qui l’habitent ne s’en trouveront que mieux.

Beaucoup ont reproché à Alain son regard d’économiste. Ils ne comprennent pas que l’approche économique ne concerne pas que la finance ou les affaires ; elle est dépassionnée, encourage le recul et l’analyse des causes et des conséquences quand d’autres sont seulement pressés de réagir, ou d’agir pour avoir l’impression de faire quelque chose.

On peut souhaiter l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et être préoccupé par le sort des plus vulnérables tout en maintenant un minimum de rationalité quant aux meilleures façons d’y arriver.

On peut vouloir que chacun puisse être mieux soigné et que nos enfants soient mieux instruits tout en se demandant si les sommes énormes que l’État y consacre sont dépensées efficacement.

Les économistes aussi ont des enfants – Alain en a eu cinq – et ils espèrent le meilleur des avenirs pour leur descendance. Comme il me l’a déjà relaté d’une conversation qu’il avait eue avec une solidaire bien connue : « On s’entend sur la plupart des objectifs, on a seulement des idées différentes sur la façon de les atteindre. »

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Malgré ses succès éloquents, le libéralisme est aujourd’hui attaqué par des courants repliés, voire réactionnaires. Au Québec, on adhère encore de façon générale à plusieurs de ses idées, mais à la pièce, selon son allégeance et en ne retenant que les parties qui nous arrangent.

Parfois, c’est la libre-entreprise qui est malmenée et qui suscite la méfiance ; parfois, c’est l’initiative individuelle et son pouvoir essentiel d’innovation, qui cherchent à sortir des sentiers trop réglementés ; parfois, c’est la différence de croyances ou de pensée ; parfois, c’est simplement le fait de parler une autre langue ou d’être vêtu différemment.

Avant de céder à nos craintes, on doit garder à l’esprit cette vérité fondamentale : les sociétés les plus libérales sont les plus tolérantes et les plus prospères, celles qui au total remplissent le plus leurs promesses envers leurs citoyens.

Les idées ne survivent pas d’elles-mêmes. Même les plus évidentes ont besoin d’être répétées, de peur d’être oubliées.

Le départ d’Alain du journalisme est une petite mort pour la pensée libérale qu’il a défendue avec constance et compétence, un territoire intellectuel qui se rétrécit de plus en plus, au Québec et ailleurs.

À d’autres de se lever maintenant.

Salut, Alain, et merci !

Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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