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Textes d'opinion

Les chirurgies, le ministère et la « vision globale » – partie 2

Comme la santé, c’est important, on va parler de patates en poudre. Mais avant, on va faire un petit détour par le dernier rapport de la Vérificatrice générale. Ne quittez pas, c’est plus intéressant que ça en a l’air.

La Vérificatrice est récemment allée se mettre le nez dans les temps d’attente des chirurgies au Québec. On savait que ce n’était pas super, on sait maintenant que c’est encore pire que ce qu’on pensait, parce que le ministère ne mesure qu’une petite partie du temps d’attente. Une attente d’un mois peut ainsi correspondre à une attente réelle de six mois, un an, voire plus.

La Vérificatrice propose différentes pistes de solution, dont certaines vont de soi : des données plus fiables et plus accessibles, par exemple, ainsi qu’une réforme du financement des hôpitaux. Ceux-ci sont présentement pénalisés s’ils soignent plus de patients que ce que le budget accordé par le ministère prévoit…

Par contre, une des solutions de la Vérificatrice laisse perplexe. Elle reproche au gouvernement de « manquer de vision globale », ce qui l’empêche « de déterminer une offre de service qui soit optimale ». Sa recommandation est « d’établir une répartition optimale de l’offre de services chirurgicaux et la mettre en œuvre ».

Back in the U.S.S.R.

Peu importe les bonnes intentions derrière cette recommandation, sa formulation témoigne d’une conception plutôt dirigiste et centralisatrice du rôle de l’État (ou top-down, en bon français), aux accents un peu soviétiques. Et cette idée de planification centrale est plus facile à écrire qu’à mettre en application.

Quelque 635 000 chirurgies ont été effectuées au Québec pendant l’année financière 2015-2016 dans les 34 établissements de santé du Québec (il peut y avoir plus d’un hôpital par établissement). Ajoutez à ça plus de 20 000 médecins, environ 113 000 infirmières et préposés, 58 000 techniciens et professionnels, 77 000 personnes au soutien et à l’encadrement, plus les patients, qui se comptent en millions. En plus d’être complexe, le système de santé est énorme.

Le ministère de la Santé a d’ailleurs une vue d’ensemble des effectifs médicaux, et ça n’empêche pas qu’il y ait des pénuries de médecins. Malgré les promesses et les efforts de planification, un Québécois sur cinq n’a toujours pas de médecin de famille, une proportion qui augmente à un sur trois dans la région de Montréal. Ce n’est pas mieux dans le cas des médecins spécialistes, dont le nombre de postes vacants se comptent par centaines à l’échelle de la province. (Évidemment, le fait que le Québec est l’un des endroits dans les pays développés où l’on compte le moins de médecins par habitant, en raison des quotas imposés par le gouvernement, n’aide pas.)

Ce qui nous amène aux patates en poudre. Il y a deux ans, le remplacement dans les CHSLD des pommes de terre fraîches par des patates en poudre avait fait toute une histoire. Six mois plus tard, le ministre de la Santé avait invité en grande pompe les médias à une dégustation du nouveau menu qu’il comptait implanter d’ici 2018. Quel était le secret du miracle à venir? La centralisation de la production. Encore. (Soupir…)

Ça fait un an et demi. On attend toujours, et le menu n’est toujours pas prêt d’être implanté. Vous pardonnerez donc mon scepticisme lorsque j’entends un politicien promettre que, pour quelque chose d’aussi complexe que la planification des chirurgies, tout sera réglé l’an prochain.

Solution : décentralisation

La planification centralisée, chère au ministre actuel et à ses prédécesseurs, est justement à l’origine du problème. Le système de santé est trop compliqué pour être contrôlé de tout en haut. On a recensé une quinzaine de rapports et de tentatives de réformes depuis une trentaine d’années, dont la plupart tentaient d’appliquer des solutions uniformes à la grandeur de la province. L’effort de centralisation s’est même accentué sous le gouvernement actuel. Ça ne fonctionne pas. Si vous avez plus de trente-cinq ans, vous avez l’impression que l’actualité en santé, c’est le jour de la marmotte : les Québécois attendent toujours autant.

La solution est d’aller dans le sens inverse, soit de décentraliser. Le ministère de la Santé peut bien fixer les grandes orientations et donner les bonnes incitations (financement à l’activité des établissements, indicateurs de performance et transparence), mais il n’a rien à voir dans la gestion quotidienne du système de santé. Plusieurs pays européens ont choisi cette approche. Tous font mieux que nous sur le plan de l’accès aux soins.

Vous n’aimez sans doute pas quand votre patron regarde par-dessus votre épaule et micro-gère chacune de vos tâches, et ça ne vous fait probablement pas travailler mieux. Ce n’est pas différent pour les travailleurs du milieu de la santé, leur patron fut-il sous-ministre ou ministre. Laissons tomber les « plans », donnons les bonnes incitations aux gestionnaires, et laissons simplement les préposés, infirmières et médecins faire leur travail. Le résultat pourrait être surprenant.

Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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