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Textes d'opinion

La Caisse de dépôt et les hydrocarbures – De la bonne conscience qui pourrait coûter cher

La Caisse de dépôt et placement est critiquée pour ses investissements dans le secteur des hydrocarbures, du pétrole et du charbon. Devrait-elle s’en retirer, comme certains le lui demandent, pour des raisons environnementales, de moralité ou d’éthique ?

L’investissement socialement responsable est de plus en plus à la mode, alors que les offres se multiplient pour offrir des fonds communs « verts », des fonds axés sur des entreprises reconnues pour leur respect des droits de l’homme ou d’autres valeurs.

Récemment, Desjardins s’est par exemple fait demander par 35 de ses caisses de retirer ses billes du secteur des hydrocarbures. Lorsqu’il s’agit d’une entreprise privée ou d‘épargne personnelle, chacun est libre d’investir son argent comme il l’entend. Cependant, lorsqu’il s’agit de la Caisse de dépôt, un investisseur institutionnel qui investit au nom de tous les Québécois, un peu plus de neutralité et d’objectivité sont nécessaires.

Presque tous les automobilistes québécois roulent à l’essence. Selon l’Association des véhicules électriques du Québec, la ville du Québec qui compte la plus grande part de voitures électriques est Westmount, avec seulement 1,5 % d’automobiles électriques ou hybrides. Ce chiffre inclut donc des voitures qui fonctionnent, au moins partiellement, à l’essence.

Il serait donc hypocrite – et franchement ridicule – de forcer l’ensemble des Québécois, dont la quasi-totalité fait le plein d’essence régulièrement, à avoir un portefeuille de retraite exempt d’investissements dans cette ressource.

Même si le gouvernement de la Colombie-Britannique s’oppose farouchement à l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, cela n’empêche pas le fonds de retraite des fonctionnaires de la province d’investir dans Kinder Morgan, l’entreprise derrière le projet.

Les portefeuilles socialement responsables ont été largement étudiés depuis une vingtaine d’années. Ils ne performent ni mieux ni moins bien que les autres, les résultats dépendant surtout du gestionnaire. Un mauvais gestionnaire peinera à obtenir un bon rendement avec un portefeuille traditionnel, tandis qu’un bon gestionnaire pourra arriver à « faire mieux que le marché » en investissant dans des entreprises répondant à des critères sociaux supplémentaires.

En revanche, il est indéniable que plus on impose de contraintes à un seul et même gestionnaire de fonds, et plus il lui sera difficile d’atteindre ses objectifs. Ce ne serait pas différent avec la Caisse de dépôt.

Effet nul

Et pour quel impact ? Le principe de la finance socialement responsable, auquel ces propositions se rattachent, est d’avoir un effet sur le marché ou sur les pratiques des compagnies visées. En principe, les promoteurs de ces fonds espèrent que les entreprises boudées vont changer leurs pratiques pour pouvoir recevoir du financement, ou du moins bénéficier d’une réputation plus favorable. Dans ce cas, pourtant, même un retrait complet de la Caisse n’aurait aucun effet sur le marché de ces ressources.

L’enjeu ici est d’une tout autre nature que, par exemple, demander à Nike d’offrir de meilleures conditions de travail dans ses usines en Asie.

Les hydrocarbures, le pétrole et le charbon représentent l’activité principale des entreprises qui sont concernées. Elles ne vont pas complètement changer de domaine d’activité pour faire plaisir à la Caisse de dépôt et placement du Québec, un investisseur relativement petit par rapport à l’offre mondiale de financement. Un désinvestissement n’aurait pas plus d’effet sur la demande pour ces ressources : la demande pour les hydrocarbures et le pétrole continuera d’augmenter, portée principalement par les pays en voie de développement, alors que celle pour le charbon va stagner ou diminuer, quoi que la Caisse fasse.

Quelle serait donc l’utilité que la Caisse cesse d’investir dans les combustibles fossiles ? Nos automobiles continueraient d’être presque totalement alimentées à l’essence. Il n’y aurait aucun impact significatif sur les entreprises concernées. Par contre, il serait difficile pour la Caisse de maintenir le même rendement en ayant les mains liées. Au mieux, un nombre restreint de Québécois s’achèterait une bonne conscience ; au pire, ce serait un coup d’épée dans l’eau cher payé.

Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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