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Il est temps de mettre fin aux quotas de médecins

Le ministre de la Santé a annoncé l’an dernier une baisse du nombre d’admissions en médecine afin d’éviter que de futurs médecins se retrouvent au chômage. Pourtant, un Québécois sur cinq n’a toujours pas de médecin de famille et, toutes proportions gardées, le Québec compte moins de médecins que la plupart des pays développés. Ce contrôle de l’État sur l’accès à la formation médicale est-il la meilleure façon de répondre aux besoins des Québécois en matière de santé?

Communiqué de presse : Oui, le Québec manque de médecins!
 

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Y a-t-il vraiment trop de médecins au Québec? (La Presse+, 15 mars 2018)

Slashing Med School Admissions Isn’t How You Deal With A Doctor Shortage (Huffington Post, 19 mars 2018)

   

 

Ce Point a été préparé par Patrick Déry, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Le ministre de la Santé a annoncé l’an dernier une baisse du nombre d’admissions en médecine afin d’éviter que de futurs médecins se retrouvent au chômage(1). Au Québec, c’est en effet le gouvernement qui décide du nombre d’étudiants en médecine que les universités peuvent admettre pour les trois prochaines années(2).

Pourtant, un Québécois sur cinq n’a toujours pas de médecin de famille(3) et, toutes proportions gardées, le Québec compte moins de médecins que la plupart des pays développés. Ce contrôle de l’État sur l’accès à la formation médicale est-il la meilleure façon de répondre aux besoins des Québécois en matière de santé?

« Trop » de médecins? Pas vraiment

Les comparaisons internationales montrent qu’au Québec, il est particulièrement difficile de voir un médecin lorsqu’on en a besoin. Dans un sondage comparant les réponses de patients de 11 pays, incluant le Canada, le Québec est dernier pour l’accès à un médecin ou une infirmière le jour même ou le lendemain, dernier pour l’accès à un spécialiste à l’intérieur d’un délai de quatre semaines, dernier pour l’attente pour les chirurgies non urgentes et, sans surprise, bon dernier pour l’attente aux urgences(4). En outre, un sondage réalisé en 2017 révélait que les Québécois considèrent que l’accès à un médecin de famille et l’attente aux urgences devraient être la priorité des politiciens(5).

Pourtant, une idée reçue et qui est rapportée régulièrement veut que le Québec compte beaucoup de médecins. L’actuel ministre de la Santé a même déjà affirmé que la province comptait « à peu près 10 % » de médecins en trop, soit environ 2000 médecins(6). Qu’en est-il vraiment?

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, le Québec compte 2,43 médecins par 1000 habitants, ce qui est légèrement supérieur à la moyenne canadienne de 2,3. La Nouvelle-Écosse (2,58) est la province où ils sont le plus nombreux, tandis que la Saskatchewan (1,97) est celle qui en a le moins.Enfin, le Québec a un peu plus de médecins que l’Ontario (2,2), et à peine plus que la Colombie-Britannique (2,42) et l’Alberta (2,41)(7).

Le portrait est passablement différent lorsqu’on compare les effectifs médicaux du Québec avec ceux d’autres pays développés. En utilisant la définition de « médecins en exercice » de l’OCDE, qui inclut les résidents mais exclut les médecins qui n’ont pas de contact direct avec les patients, on constate que le Québec compte alors 2,8 médecins par 1000 habitants, soit moins que la plupart des pays développés (voir la Figure 1).

Figure 1

Dans cette comparaison avec une trentaine de pays, seuls la Turquie, la Corée du Sud, la Pologne, le Mexique, le Japon et les États-Unis ont proportionnellement moins de médecins que le Québec. Le Royaume-Uni en compte presque autant, mais comme le nombre de diplômés en médecine y est plus élevé, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il passe devant(8).

Toujours selon les critères de l’OCDE, le Québec compte présentement environ 23 605 médecins en exercice(9). S’il avait le même ratio que l’Australie, soit 3,5 médecins par 1000 habitants, il pourrait compter environ 6000 médecins de plus; quelque 11 000 médecins de plus s’il en avait autant que l’Allemagne (4,1); et près de 20 000 médecins de plus s’il en avait autant que l’Autriche (5,1). Il est facile d’imaginer que la problématique de l’accès aux soins ne se poserait plus de la même façon si c’était le cas.

Des bénéfices pour les patients

Une augmentation du nombre de médecins serait bénéfique à plus d’un point de vue. D’abord, le réseau public aurait davantage de main-d’œuvre pour combler les postes vacants, qui se comptent présentement par centaines(10). L’accès et le choix pour les patients en seraient améliorés d’autant.

Ensuite, cela permettrait aux cliniques privées désaffiliées de se développer sans qu’il n’y ait de danger (réel ou perçu) qu’elles viennent cannibaliser le réseau public. La demande croissante pour les soins et l’incapacité chronique du réseau public à la satisfaire présente des occasions d’affaires pour les entrepreneurs. À titre d’exemple, un médecin qui possède déjà sept cliniques privées envisage d’en avoir de 25 à 50 d’ici cinq ans(11).

Ainsi, si l’État continue à rationner les soins et à limiter l’accès comme il le fait présentement, les nouveaux médecins auront la possibilité de travailler à l’extérieur du système public et de continuer à bonifier l’offre globale de soins, sans affecter celle dans le secteur public. C’est d’ailleurs ce que souhaitent les Québécois(12). Lorsque la concurrence dans l’offre de soins augmente, cela n’entraîne que des bénéfices pour les patients.

De l’oxygène dans le système

Depuis des années, le ministère de la Santé tente sans succès de prédire les besoins des Québécois en calculant dix ans à l’avance le nombre de médecins qu’il faudra pour les combler. Cet exercice repose sur la prémisse qu’une autorité centrale et toute-puissante puisse posséder toute l’information nécessaire concernant les intentions futures de millions de patients et de dizaines de milliers de professionnels de la santé. L’expérience des trente dernières années montre qu’il s’agit d’une vue de l’esprit(13).

Concrètement, année après année, le gouvernement ne réussit qu’à manquer de médecins et à faire attendre les patients. Laisser tomber le contingentement artificiel et arbitraire du nombre d’admissions et permettre à tous ceux qui en ont les capacités d’étudier en médecine insufflerait une bonne dose d’oxygène au système de santé québécois. Celui-ci pourrait alors se développer au gré des besoins des patients, et non selon les diktats des bureaucrates et des politiciens.

Références

1. Hugo Duchaine, « Gaétan Barrette coupe le nombre de futurs médecins », Le Journal de Montréal, 8 juillet 2017.
2. Gouvernement du Québec, « Politique triennale des nouvelles inscriptions dans les programmes de formation doctorale en médecine et du recrutement de médecins sous permis restrictif pour 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019 », document obtenu suite à une demande d’accès à l’information, février 2018.
3. Caroline Touzin, « Accès à un médecin de famille : Québec s’éloigne de sa cible », La Presse, 10 mars 2018.
4. Commissaire à la santé et au bien-être, Perceptions et expériences de la population : le Québec comparé, Résultats de l’enquête internationale du Commonwealth Fund de 2016, p. 16, 20, 21 et 43, 16 février 2017.
5. Léger, « La politique au Québec », 20 mai 2017, p. 21.
6. « Le Québec ne manque pas de médecins », Radio-Canada, 28 septembre 2017; Régys Caron, « Le Québec compte un surplus de 2000 médecins, affirme le ministre Barrette », Le Journal de Montréal, 30 septembre 2016.​
7. Institut canadien d’information sur la santé, Les médecins au Canada, 2016 : rapport sommaire, 2017, p.24.
8. Au Québec, il y a environ 10,5 inscriptions en médecine pour 100 000 habitants, tandis que le Royaume-Unis compte 12,8 diplômés en médecine par 100 000 habitants. Fédération médicale étudiante du Québec, Les effectifs médicaux au Québec : Un médecin pour chacun et une place pour chaque médecin, mars 2017, p. 7; OCDE, « Médecins nouvellement diplômés », dans Panorama de la santé 2017 : Les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris, 10 novembre 2017.
9. Comme le nombre de médecins en exercice n’est pas disponible pour le Québec, l’écart entre les médecins professionnellement actifs et ceux en exercice a été estimé en utilisant les données pour le Canada. OECD iLibrary, Statistiques de l’OCDE sur la santé, Ressources en santé, Emploi et éducation dans le secteur de la santé, Médecins; OECD Health Statistics 2017, Definitions, Sources and Methods, Practising physicians.
10. François Cormier, « Médecins spécialistes : 545 postes vacants au Québec », TVA Nouvelles, 5 février 2018.
11. Hugo Duchaine, « Il veut être le Jean Coutu des cliniques privées », Le Journal de Montréal, 31 janvier 2018.
12. Pôle santé HEC Montréal, Des idées en santé pour le Québec, avril 2017, p. 80.
13. Germain Belzile et Jasmin Guénette, « La centralisation en santé, une recette vouée à l’échec », Le Point, IEDM, 13 juillet 2017.

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