Métro : donner le contrat à La Pocatière ne créera aucun emploi
Les témoignages se multiplient sur la façon dont les subventions aident certaines entreprises chouchous de l’État à dérober des employés à d’autres entreprises locales. La situation est tellement problématique que le manque de main-d’œuvre au Québec devient un frein à la croissance des entreprises dynamiques et innovantes qui construisent l’économie de demain.
Pourtant, le gouvernement, dans son infinie sagesse, envisage commander des rames de métro dont il n’a pas besoin à l’un de ses chouchous, pour créer ou maintenir des emplois.
En effet, l’usine de Bombardier Transport de La Pocatière est sur le point de manquer de travail. L’entreprise de matériel roulant, qui accuse un retard de plus de cinq ans dans la livraison du tramway de Toronto, n’a pas obtenu le contrat de fabrication des trains du Réseau express métropolitain (REM). Conséquemment, 300 des 600 employés de l’usine de La Pocatière seront bientôt temporairement mis à pied. Afin de maintenir ces emplois, le gouvernement envisage de devancer sa commande pour la livraison de nouvelles rames de métro Azur prévue pour 2036, alors qu’en 2014 la STM avait jugé que le matériel actuel pouvait être utilisé pendant encore 20 ans.
Je vais vous faire une confidence. Parmi mes plus lointains souvenirs d’éducation économique, ceux qui m’ont donné envie de devenir économiste, je me souviens avoir écouté avec mon père un débat des chefs lors d’une campagne électorale au milieu des années 1990. Les candidats n’arrêtaient pas de promettre la création d’emplois et surenchérissaient les uns les autres. J’ai posé la question à mon paternel, à savoir comment les politiciens font, au juste, pour créer des emplois. Il m’a donné cet exemple dont je me souviendrai toute ma vie.
« Imagine que tu mets un tas de sable dans une pièce, que tu paies quelqu’un pour compter les grains qu’il y a dans le tas, et qu’il doit recommencer à zéro à tous les mois ».
Je n’ai pas tout de suite compris la finesse de l’exemple. « Mais, papa, ça sert à rien. Et où est-ce qu’on prend l’argent pour les payer? ».
« Exactement », m’a-t-il répondu.
C’est précisément ce qu’on s’apprête à faire à La Pocatière, mais en pire, puisque le Québec manque déjà de main-d’œuvre. Le gouvernement va acheter ce dont il n’a pas besoin, pour maintenir des emplois dans une économie qui manque de main-d’œuvre. (Je me répète, mais c’est ma façon à moi d’essayer de me pincer pour tenter de me réveiller de ce mauvais rêve économique.)
Soyons clair, perdre un emploi ou se faire mettre en chômage technique n’est jamais agréable. Même si l’assurance-emploi prend le relai, ce n’est qu’une mince consolation face à l’incertitude que cela crée dans les familles. Et même dans un Québec qui n’a pas de problème de création d’emploi, la perte d’un emploi peut entraîner des bouleversements importants, par exemple un déménagement. Ce ne sont pas des choses à prendre à la légère.
Cependant, le taux de chômage dans le Bas-Saint-Laurent, région dans laquelle est situé La Pocatière, a été de 6,6 % en 2017. Le chiffre de janvier dernier a été exceptionnel, avec 3,5 % de chômage seulement, ce qui fait que si on calcule le même taux pour les douze derniers mois complétés, il n’est que de 6,1 %.
En tous les cas, le taux de plein emploi se situe à environ 8 %. Nous sommes donc déjà dans une situation où les entreprises ont tellement de mal à trouver de la main-d’œuvre que cela alimente non seulement la hausse des salaires, mais aussi la hausse générale des prix. En d’autres mots, la situation sur le marché de l’emploi est telle qu’elle va faire augmenter le prix de vos courses à l’épicerie.
C’est dans ce contexte que le gouvernement s’apprête à verser de l’huile sur le feu en commandant des rames de métro dont il n’a pas besoin. (Je me répète encore, pardonnez-moi, c’est tellement difficile à croire.)
Remarquez, même dans un autre contexte la dépense publique ne créée pas d’emploi, mais au mieux ne fait que les déplacer. Je dis « au mieux », parce qu’une étude largement citée et débattue obtenait comme résultat que la création de 100 emplois par le gouvernement détruisait 150 emplois dans le secteur privé.
Quoique, là où on en est, et avec la qualité pitoyable du discours économique actuel, c’est peut-être ce qui nous attend. Une campagne électorale où les candidats surenchérissent à propos de qui va détruire le plus d’emplois dans nos entreprises en croissance. Pas grave, c’est le contribuable qui règle la note. On marche sur la tête.
Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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