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La croissance économique profite-t-elle aux pauvres ?

La croissance économique ne profite-t-elle qu’à un petit nombre de privilégiés? C’est ce qu’on pourrait être porté à croire en entendant des groupes dénoncer régulièrement une « crise des inégalités » dans de nombreux pays, incluant le Canada. Ce point de vue qui considère la création de richesses comme un jeu à somme nulle, dans lequel les plus démunis sont prisonniers de leur condition économique, est pourtant erroné.

Communiqué de presse : Oxfam a tort : la croissance économique profite aussi aux pauvres

Annexe technique
 

En lien avec cette publication

La croissance économique profite-t-elle aux pauvres? (Le Devoir, 21 février 2018)

Does economic growth benefit the poor? (Toronto Sun, 23 février 2018)

Entrevue avec Alexandre Moreau (La commission Gendron, CHIK-FM, 22 février 2018)  

 

Ce Point a été préparé par Alexandre Moreau et Kevin Brookes, analystes en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

La croissance économique ne profite-t-elle qu’à un petit nombre de privilégiés ? C’est ce qu’on pourrait être porté à croire en entendant des groupes dénoncer régulièrement une « crise des inégalités » dans de nombreux pays, incluant le Canada(1). Ce point de vue qui considère la création de richesses comme un jeu à somme nulle, dans lequel les plus démunis sont prisonniers de leur condition économique, est pourtant erroné.

La croissance profite à tous

La recherche économique a maintes fois contredit l’idée reçue selon laquelle la croissance ne profiterait qu’aux plus riches. Au contraire, elle augmente le revenu de tous, incluant celui des personnes situées au bas de l’échelle. Une étude portant sur 58 pays a ainsi montré qu’une croissance du PIB de 10 % par année est associée à une augmentation de 10 % du revenu pour les 40 % les moins fortunés(2).

Le Canada ne fait pas exception. L’importante croissance que le pays a connue au cours des dernières décennies a été accompagnée d’une diminution impressionnante de la pauvreté. La part de la population en situation de faible revenu est passée de 13 % en 1985 à un peu plus de 9 % en 2015, soit une baisse de près d’un tiers en seulement 30 ans(3).

La diminution la plus importante a eu lieu chez les femmes, principalement celles de 65 ans et plus, avec une baisse de 74 %. Le résultat de cette diminution est que l’écart historique entre les hommes et les femmes a presque entièrement disparu.

On constate des différences importantes entre les provinces. Le cas de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a vu son taux de faible revenu baisser de près des deux tiers, est particulièrement frappant. En l’espace de 30 ans, elle est passée de la cave à la seconde place du classement des provinces. La Saskatchewan et l’Alberta, qui ont vu leur taux de faible revenu diminuer de moitié, sont passées du milieu de peloton à, respectivement, la première et la troisième place du classement. Aujourd’hui, c’est en Colombie-Britannique et au Québec que l’on retrouve la plus grande proportion de personnes à faible revenu, soit 11,7 % pour l’une et 10,1 % pour l’autre, comparativement à 9,2 % pour l’ensemble des provinces.

La proportion de Canadiens touchés par de longues périodes de pauvreté a elle aussi diminué, de plus d’un tiers depuis 1992. Elle est passée de 10,7 % à 6,4 % en une quinzaine d’années seulement(4). Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan et l’Alberta se distinguent encore une fois par de très nettes améliorations, alors que le Québec se situe en milieu de peloton pour ce qui est de la persistance du faible revenu (voir la Figure 1).

Figure 1

Plus de prospérité, moins de pauvreté

Ce n’est pas un hasard si la situation des Canadiens les plus pauvres s’est grandement améliorée depuis le début des années 1990, puisque le PIB par habitant est passé de 35 900 $ à 49 200 $(5). L’importance de la croissance du PIB explique aussi les différences observées entre les provinces.

Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador est à la fois la province où a eu lieu la plus importante hausse du PIB par habitant (61 %) et la plus forte baisse de la persistance du faible revenu (-66 %). À l’inverse, c’est l’Ontario qui a connu la plus faible croissance (22 %), et de loin la plus faible baisse de la pauvreté de longue durée (-14 %)(6).

Dans l’ensemble, l’expérience des provinces canadiennes au cours des dernières décennies montre qu’en moyenne, une augmentation de 10 000 $ du PIB par habitant entraîne une baisse de la persistance du faible revenu de 1,7 point de pourcentage(7). Pour avoir une idée de cet effet, l’Alberta avait un PIB par habitant de 72 200 $ et un taux de persistance de la pauvreté de 3,3 % en 2015, contre 41 000 $ et 6,2 % pour le Québec. En d’autres termes, plus les provinces sont riches, moins les personnes restent pauvres longtemps(8).

Considérant l’importante croissance de la richesse qu’a connue le Canada au cours des dernières décennies, il n’est donc pas surprenant de constater qu’il s’agit d’un des pays développés où la mobilité sociale est la plus élevée(9).

Qu’en est-il des programmes sociaux ? On ne peut pas nier l’effet positif d’un certain niveau de dépenses publiques sur la mobilité sociale au bas de la distribution des revenus. Toutefois, l’augmentation des dépenses dans les programmes sociaux n’est pas toujours associée à une baisse de la pauvreté(10), et un niveau de dépense publique trop élevé peut impliquer des déficits ou une pression fiscale plus élevé, ce qui nuit à la croissance économique et, ultimement, à la réduction de la pauvreté(11).

Conclusion

Si l’objectif est de réduire la pauvreté, l’attention devrait être ciblée non pas sur les inégalités de revenu à un moment précis, mais bien sur les politiques publiques créatrices de richesse comme la réduction du fardeau fiscal, la libéralisation du marché du travail, la lutte contre la corruption et la libre circulation des biens et des services. Toute politique allant à l’encontre de ces grands axes génère des effets pervers en permettant à des petits groupes de s’enrichir au détriment de la grande majorité des consommateurs et des contribuables(12).

Ce sont ces dernières inégalités qui devraient être la priorité de ceux qui plaident pour une répartition plus équitable de la richesse. La croissance économique et les opportunités qui en découlent profitent à l’ensemble de la population, y compris nos concitoyens les moins fortunés. Le meilleur moyen de les aider est de favoriser cette croissance.

Références

1. Selon Oxfam, « 82 % des richesses créées dans le monde l’année dernière ont bénéficié aux 1 % les plus riches, alors que la situation n’a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres ». Oxfam, Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent, 22 janvier 2018, p. 23; « Oxfam constate un accroissement des inégalités dans le monde, dont au Canada », Radio-Canada, 21 janvier 2018.
2. Michael Roemer et Mary Kay Gugerty, Does Economic Growth Reduce Poverty?, Harvard Institute for International Development, mars 1997, p. 11; David Dollar et Aart Kraay, « Trade, Growth, and Poverty », The Economic Journal, vol. 114, no 493, février 2004, p. F22-F49; Richard H. Adams JR, « Economic Growth, Inequality and Poverty: Estimating the Growth Elasticity of Poverty », World Development, vol. 32, no 12, décembre 2004, p. 1989-2014; David Dollara, Tatjana Kleinebergb et Aart Kraay, « Growth Still Is Good for the Poor », European Economic Review, vol. 81, janvier 2016, p. 68-85.
3. Selon les données de Statistique Canada. Voir l’Annexe technique sur le site de l’IEDM pour le détail des calculs.
4. Par longues périodes de pauvreté, nous entendons cinq ans et plus sur les huit années où les individus ont été suivis. Statistique Canada, Tableau CANSIM 204-0102 : La persistance du faible revenu de déclarants, Canada, provinces et régions métropolitaines de recensement (RMR), mesure de faible revenu fixe de 2002, 1992-1999 à 2008-2015.
5. Entre 1990 et 2015, en dollars constants de 2007. Voir l’Annexe technique pour le détail des calculs.
6. On observe la même tendance, avec un lien plus faible, si l’on prend le taux de personnes à faible revenu. Voir l’Annexe technique (Tableaux A-1 et A-2).
7. Voir l’Annexe technique (Figure A-1).
8. Le lien est statistiquement significatif et fort (R² = 0,41). On observe d’ailleurs la même tendance en utilisant le taux de faible revenu. Voir l’Annexe technique (Figure A-1).
9. Wen-Hao Chen, Yuri Ostrovsky et Patrizio Piraino, « Lifecycle Variation, Errors-In-Variables Bias and Nonlinearities in Intergenerational Income Transmission: New Evidence from Canada », Labour Economics, 2017, Vol. 44, p. 1-12; Miles Corak, Matthew J. Lindquist, et Bhashkar Mazumder, « A Comparison of Upward and Downward Intergenerational Mobility in Canada, Sweden and the United States », Labour Economics, vol. 30, 1er octobre 2014, p. 185‑200.
10. « L’État-providence et les pauvres », Note économique, IEDM, 1er octobre 2000; Kassia Antoine, Raju Jan Singh et Konstantin M. Wacke, « Poverty and Shared Prosperity: Let’s Move the Discussion beyond Growth », Forum for Social Economics, vol. 46, no 2, 2017, p. 192-205; George J. Borjas, « Does Welfare Reduce Poverty? », Research in Economics, vol. 70, no 1, mars 2016, p. 143-157.
11. Mathieu Bédard, Vincent Geloso et Youcef Msaid, « La réduction des dépenses publiques favorise la croissance économique », Note économique, IEDM, 8 octobre 2015.
12. Vincent Geloso et Steven Horwitz, « Inequality: First, Do No Harm », The Independent Review, vol. 22, no 1, 2017, p. 121-134. ​

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