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Textes d'opinion

Israël Kirzner: le doyen de l’école autrichienne

Israël Kirzner est l’économiste le plus prestigieux de l’école autrichienne d’économie qui soit encore vivant. Né en 1930, il est le continuateur direct d’une lignée d’économistes appartenant à l’école fondée par Carl Menger en 1871.

Sa vie a été marquée par sa passion qu’il a démontrée à chercher à comprendre le fonctionnement des marchés. Fils de rabbin, et lui-même ordonné rabbin, il est né à Londres. Il a fait ses études en Afrique du Sud avant d’émigrer vers les États-Unis, où il a mené la majeure partie de sa carrière. Il a étudié l’économie sous la direction de l’un des principaux penseurs autrichiens, Ludwig Von Mises qui a supervisé sa thèse de doctorat. Kirzner a eu l’originalité et le courage d’enrichir son analyse des apports des autres sciences sociales face à la mathématisation croissante de la discipline économique.

Cette passion s’est transmise par son enseignement : il a enseigné et supervisé des thèses de doctorat pendant plus de trente ans à l’Université de New York, où il est toujours professeur émérite. Il est le mentor de la plupart des membres de la jeune garde des économistes autrichiens qui contribuent à son rayonnement aujourd’hui, comme Peter Boettke et Mario Rizzo.

Ses travaux ont prolongé ceux de Friedrich Hayek, notamment, qui voyait le marché non comme une machine qui s’ajusterait automatiquement, mais comme un processus de découverte. Alors que les partisans de l’économie orthodoxe (dite néoclassique) considèrent que l’offre et la demande s’ajustent mécaniquement, les Autrichiens récusent cette analyse, car elle ne prend pas en compte le passage du temps et la situation d’information imparfaite dans laquelle se trouvent les acteurs. Le marché tend vers l’équilibre entre l’offre et la demande, mais n’est jamais en équilibre parfait. Ce sont ces imperfections qui constituent des opportunités de profits qui ne demandent qu’à être découvertes.

Israël Kirzner a ainsi introduit un acteur central au cœur de l’analyse économique étonnamment négligé par le reste de la discipline : l’entrepreneur. Si Joseph Schumpeter avait attiré l’attention sur son rôle en tant qu’innovateur, Kirzner en fait l’acteur clef d’ajustement des marchés. L’entrepreneur est un individu vigilant qui reste toujours à l’affut des occasions de faire du profit et qui trouve de nouvelles manières d’offrir des biens et des services à partir de ressources inexploitées. Ce n’est pas un robot rationnel et il ne dispose pas toujours de toutes les informations nécessaires. Bien souvent, l’entrepreneur prend des risques et doit anticiper des besoins futurs. D’ailleurs, le livre de Kirzner livre Concurrence et esprit d’entreprise, paru en 1973, est une référence universitaire incontournable pour comprendre le rôle de l’entrepreneur dans une économie de marché.

En fait, le marché est un processus constant d’essais et d’erreurs au sein duquel les producteurs tentaient de découvrir d’un côté les diverses préférences des consommateurs et, de l’autre, le meilleur moyen de combiner des ressources pour offrir un bien y répondant à moindre coût. Cela permet de faire circuler des informations sur les préférences de chacun et la rareté des ressources.

L’économie de marché permet ainsi de distinguer les actions qui bénéficient au plus grand nombre et celles qui n’y bénéficient pas. Il a une fonction de sélection. Si, en tant que producteur, je propose un produit dont personne ne veut, je fais faillite. À l’inverse, si j’introduis un nouveau bien dont chacun bénéficie au quotidien, il y a de fortes chances pour que je m’enrichisse. Le marché constitue le meilleur système pour accroître le bien-être de tous grâce à sa structure d’incitations qui oriente les acteurs du marché vers des comportements productifs.

Les analyses du marché et du rôle d’entrepreneur d’Israël Kirzner ont conduit à justifier la moralité de l’économie de marché et de ses deux composantes essentielles : le profit et l’entrepreneur. Le profit a un rôle social en stimulant les entrepreneurs afin qu’ils produisent ce que les gens désirent. Ils ont moralement le droit de récolter les fruits de leur travail en raison du bienfait de leur rôle pour l’ensemble de la société. Notre institut a justement publié un cahier de recherche sur le rôle de l’entrepreneur selon la perspective autrichienne.

La contribution intellectuelle d’Israël Kirzner ne se limite pas à ses propres recherches. Il a aussi fait connaître à des générations d’étudiants la tradition de l’école autrichienne. Il l’a fait par différents canaux : ses séminaires (dont certains peuvent être vus en ligne), sa biographie de Ludwig Von Mises et ses articles expliquant l’originalité de cette école. Ses idées sont plus que jamais pertinentes aujourd’hui, notamment pour rendre compte du développement de la multitude de nouvelles technologies de l’information qui ne sont pas le fait de bureaucrates, mais d’entrepreneurs ayant pris des risques pour trouver de nouveaux moyens de répondre à nos besoins de communiquer.

Jasmin Guénette est vice-président aux opérations de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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