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Textes d'opinion

Pénurie de médecins spécialistes : on fait quoi?

L’interdiction faite aux médecins de facturer des frais accessoires continue de produire ses effets. Une quarantaine de médecins spécialistes ont décidé de quitter le régime public depuis le début de l’année, suite à la réforme.

Plusieurs médecins sont d’avis qu’en leur interdisant de facturer aux patients des frais pour le remboursement d’équipements médicaux dispendieux, le gouvernement les force à travailler à perte. Ils votent donc avec leurs pieds.

Selon la compilation effectuée par La Presse, des spécialités comme la dermatologie, la gastroentérologie et l’orthopédie sont touchées. Les patients qui attendent déjà risquent d’attendre encore plus (essayez d’ailleurs d’obtenir un rendez-vous avec un dermatologue à l’intérieur du système public. Bonne chance).

Comment remédier à cette pénurie de médecins spécialistes? Quand la demande de soins dépasse l’offre et qu’on ne veut pas empêcher les gens d’être soignés, augmenter l’offre et faire jouer la concurrence est généralement une bonne chose.

Une première mesure serait de lever le contingentement artificiel qui pèse sur la profession médicale et de permettre plus d’admissions, et éventuellement plus de diplomation (pourvu que les standards de réussite soient maintenus). Par contre, cela ne fera pas une grande différence pour les patients qui attendent aujourd’hui, la formation d’un nouveau médecin pouvant prendre jusqu’à une dizaine d’années.

À plus court terme, on pourrait laisser travailler les médecins diplômés à l’étranger, qui peinent à faire reconnaître leurs qualifications ici même s’ils ont travaillé pendant des années dans leur pays d’origine. Dans un contexte de rareté, se priver ainsi de main-d’œuvre compétente, prête pour le marché du travail et qui n’attend que de soigner des patients est un non-sens.

Permettre la pratique mixte

Il serait aussi très facile pour le ministre de la Santé de permettre aux médecins d’œuvrer dans le régime public tout en maintenant une pratique privée, ce qu’on appelle la pratique mixte, qui est présentement interdite. Pourtant, la plupart des pays développés la permettent.

Les médecins qui se sentent coincés dans le système public finissent par le quitter complètement. Du point de vue d’un système qui se veut universel, c’est le pire des deux mondes : plutôt que de perdre un certain nombre d’heures de travail d’un médecin, on le perd en entier. Les patients fortunés s’arrangent, les autres attendent encore plus longtemps.

En permettant la pratique mixte, le médecin qui serait attiré par un type de pratique différent de celui que lui impose le ministère pourra répartir sa pratique entre celle couverte par l’État et celle qui lui convient. Plusieurs médecins choisiraient vraisemblablement de travailler plus d’heures. Comme l’avait noté une publication de l’IEDM il y a quelques années, cela serait l’équivalent d’ajouter quelques milliers de spécialistes dans le système de santé!

…et l’assurance duplicative

Une mesure complémentaire à la pratique mixte serait de permettre l’assurance duplicative ou, concrètement, l’assurance privée pour des services qui sont aussi couverts par notre carte-soleil.

Présentement, les soins podiatriques, de physiothérapie, de chiropratique et plusieurs examens d’imagerie, entre autres, ne sont pas couverts par l’assurance maladie et doivent être payés de notre poche. La raison principale est que le panier de services a été fixé il y a près de 50 ans. Pourquoi, en effet, êtes-vous couvert par l’assurance maladie si vous avez mal au genou, mais pas si vous avez mal au pied?

Les assurances que plusieurs Québécois détiennent par l’entremise de leur employeur couvrent déjà plusieurs des services mentionnés ci-dessus. Par contre, même si bien des assureurs sont prêts à l’offrir, il est interdit d’assurer les services qui sont en principe couverts par l’État. C’est la raison pour laquelle vous devez sortir la carte de crédit si vous ne voulez pas attendre jusqu’à trois ans pour voir un dermatologue.

Encore ici, la modification serait toute simple. Le gouvernement n’aurait qu’à autoriser que les services couverts par la RAMQ puissent eux aussi faire l’objet d’une assurance privée, comme cela se fait dans plusieurs pays développés. De cette façon, les soins prodigués par les médecins qui quittent le régime public demeureraient accessibles au plus grand nombre, plutôt que d’être restreints aux plus riches d’entre nous ou à ceux qui acceptent de se saigner pour se faire soigner, comme c’est le cas présentement. En plus, cela libérerait de la place au sein de notre système étatique, qui n’arrive toujours pas à satisfaire les besoins des patients.

Certains répondront que cela ne réglera pas tous les problèmes et que des patients se trouveront en fait, via leurs assurances, à payer pour des services qui devraient être remboursés. Ils ont raison. Il reste que rendu au point où nous en sommes, des milliers de patients seraient soulagés qu’on leur offre sans délai de nouvelles options. Commençons donc par celles qui sont faciles à mettre en œuvre.

Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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