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Textes d'opinion

Le mythe du chômage technologique

Si vous suivez l’actualité, vous avez sans doute entendu parler des avancées en intelligence artificielle. Vous avez peut-être eu vent d’une « 4e révolution industrielle » et de pertes d’emplois massives dues à l’automatisation. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent. Votre emploi est-il à risque? Que vont faire les 3,5 millions d’Américains qui conduisent des semi-remorques lorsque celles-ci vont se conduire automatiquement?

Les robots font peur à la population. Pourtant, il y a consensus chez les économistes sur le fait que l’automatisation apporte des résultats bénéfiques en fin de compte. Les travailleurs migrent vers de meilleurs emplois, passant d’une chaîne de production à des emplois de programmation sur ces mêmes machines. Mieux, ils changent de domaine, gagnant en pouvoir d’achat grâce aux biens moins coûteux produits par les robots.

Quand une usine de Ford a automatisé une partie de sa production, Walter Reuther, président de longue date du syndicat automobile américain, a apparemment demandé à un cadre : « Comment allez-vous faire en sorte que ces machines achètent des Ford? » L’argument de Reuther est fautif. Les employés de Ford ne représentent qu’une minuscule partie des acheteurs d’automobiles. On ne peut pas créer la prospérité simplement en faisant en sorte que les employés achètent ce qu’ils produisent.

Certains blâment l’automatisation, les ordinateurs, les robots et le passage au numérique, qu’ils considèrent comme autant de facteurs entraînant les salaires à la baisse. Dans les faits, la technologie fait augmenter les salaires. Un travailleur mieux outillé produit plus.

Voyons ce que l’histoire nous enseigne. Si les prémisses de l’apocalypse du chômage technologique étaient valides, nous l’aurions déjà vécue. En 1800, quatre Américains sur cinq vivaient de l’agriculture. De nos jours, c’est 1 Américain sur 50. L’arrivée des machines sur les fermes n’a pas ruiné les autres.

En 1910, 1 travailleur américain sur 20 œuvrait dans l’industrie ferroviaire. Vers la fin des années 1940, quelque 350 000 personnes travaillaient comme opérateurs de téléphones chez AT&T. Dans les années 1950, des centaines de milliers d’opérateurs d’ascenseurs ont perdu leur emploi grâce à l’arrivée du bouton. Si les forgerons poussés au chômage par les automobiles ou les réparateurs de télévision mis à la porte par les circuits imprimés ne s’étaient jamais trouvé un nouvel emploi, le taux de chômage ne serait pas 6 %, mais plutôt 50 %, et il augmenterait constamment.

Chaque mois, aux États-Unis, un pays qui compte 160 millions d’emplois, 1,7 million d’emplois disparaissent. Chaque mois, dans une manifestation parfaitement normale de création destructrice, plus d’un pour cent des emplois n’existent plus. Faillites, mises à pied et coupes expliquent ce phénomène.

Par contre, chaque mois où les nouvelles sont bonnes, on annonce un gain net de 200 000 emplois. Le un pour cent d’emplois détruits par mois est intéressant pour ceux qui s’inquiètent du chômage technologique. Cela représente plus de 10 % par an. Si les gens étaient au chômage de façon permanente, en quelques années seulement, un tiers de la population active serait à la rue, et cette proportion grimperait constamment. En 2000, plus de 100 000 personnes travaillaient dans des clubs vidéo. Aujourd’hui, voyez-vous d’anciens employés de ces clubs quêter dans la rue?

On pourrait sauver tous les emplois facilement en arrêtant toute innovation. L’année prochaine, vous feriez exactement ce que vous faites aujourd’hui. Le capital et le travail seraient utilisés de la même façon à perpétuité. En ce sens, on aurait chacun le même salaire pour toujours. C’est bien si vous êtes confortable en ce moment. Si vous êtes jeune ou pauvre, c’est peu désirable.

Les protections pour les emplois établis, dans les faits, coûtent déjà cher à certains pays. Il suffit de regarder les taux de chômage des jeunes : 50 % en Grèce ou chez les Noirs d’Afrique du Sud, par exemple.

Aider les plus pauvres est une cause noble, mais on ne peut subventionner 1,7 million d’emplois par mois. La rééducation dirigée d’en haut n’est pas non plus une solution. Les sages décideurs du gouvernement ne connaissent pas le futur, et ils vont finir par enseigner l’utilisation de machines qui n’existent plus. Seuls les travailleurs savent comment se rééduquer et se relocaliser, comme l’ont fait les centaines de milliers d’entre eux qui ont migré au Dakota du Nord, attirés par le boom pétrolier. Le travail doit être aussi flexible que le capital. Pour cela, les travailleurs ont besoin de liberté, et non de programmes gouvernementaux.

Dans l’esprit de John Rawls, nous devons nous demander dans quelle société nous préférerions naître, sans savoir où dans cette société nous aboutirons. Une société dans laquelle tous les emplois sont protégés, où les bureaucrates décident qui est subventionné et qui ne l’est pas, et où, comme en France, l’économie glisse dans la stagnation accompagnée d’un haut taux de chômage des jeunes? Ou une société où les lois sur le travail sont flexibles, où les travailleurs décident de leur futur, et où l’économie crée de la prospérité pour tous?

Choisissez, et arrêtez de vous en faire avec le chômage technologique.

Adapté d’un texte du professeur Deirdre McCloskey paru dans Reason Magazine.

Jasmin Guénette est vice-président aux opérations de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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