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Saint Göran : un hôpital concurrentiel dans un système universel

Le ministre de la Santé a récemment lancé un ultimatum aux hôpitaux du Québec afin que les séjours à l’urgence ne dépassent plus 24 heures. Alors que le ministère et nos hôpitaux échouent depuis des années à diminuer de façon significative le temps d’attente, les performances affichées par un hôpital suédois (le Saint Göran, un hôpital de Stockholm financé par l’État et géré par une entreprise privée, la multinationale Capio) devraient inspirer les décideurs de notre système de santé.

Communiqué de presse : Urgences : un hôpital suédois montre que l’attente n’est pas inévitable
 

En lien avec cette publication

Comment un hôpital suédois réduit le temps d’attente à l’urgence (Blogue de l’IEDM du Journal de Montréal, 17 octobre 2017)

Quebec can learn from Swedish hospital on wait times (Montreal Gazette, 17 octobre 2017)

Entrevue avec Patrick Déry (Sophie sans compromis, BLVD 102.1 FM)  

Cette Note économique a été préparée par Patrick Déry, analyste en politiques publiques à l’IEDM, en collaboration avec Jasmin Guénette, vice-président aux opérations de l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Le ministre de la Santé a récemment lancé un ultimatum aux hôpitaux du Québec afin que les séjours à l’urgence ne dépassent plus 24 heures(1). Alors que le ministère et nos hôpitaux échouent depuis des années à diminuer de façon significative le temps d’attente, les performances affichées par un hôpital suédois devraient inspirer les décideurs de notre système de santé.

Saint Göran est un hôpital de Stockholm financé par l’État et géré par une entreprise privée, la multinationale Capio. Il se distingue de ses pairs sur différents indicateurs de performance, notamment l’attente à l’urgence, la satisfaction des patients et celle de son personnel, tout en coûtant moins cher à l’État que les hôpitaux publics de Stockholm. Quel est le secret de son succès, et quelles leçons peut-on en tirer pour le Québec?

La recette suédoise

En Suède, comme au Canada, l’État finance la plus grande partie des soins. Lorsqu’il se rend dans un établissement de santé, le patient suédois doit donner son numéro d’identification personnel, ou personnummer, l’équivalent de notre numéro d’assurance sociale. La procédure est la même, peu importe que l’établissement soit géré par le public ou le privé.

À la différence du Québec, le patient suédois doit payer une modeste contribution de sa poche, assortie d’un plafond annuel d’environ 170 $. Ce « copaiement », présent dans tous les établissements de santé financés par l’État(2), n’a pas d’impact sur l’accessibilité des soins : la proportion de patients suédois devant renoncer à des soins pour des raisons financières est inférieure à celle des patients québécois, selon le Commonwealth Fund(3). Le système de santé suédois se distingue d’ailleurs en ce qui a trait à son degré d’équité et à ses résultats cliniques. Il fait aussi mieux que le Canada sur le plan de l’accès aux soins(4). Le cas de Saint Göran permet donc de voir comment un hôpital géré par une entreprise privée peut s’intégrer dans un système universel à payeur unique, que ce soit en Suède ou, si on voulait tenter l’expérience, au Canada.

La sauce Capio

Au tournant du XXIe siècle, le comté de Stockholm a choisi d’avoir recours à l’entreprise privée pour gérer l’hôpital Saint Göran(5). En plus de la grande latitude accordée à tous les hôpitaux suédois sur le plan de la gestion(6), Saint Göran est pénétré de la culture de Capio. Son modèle d’affaires, essentiellement, est de soigner bien et efficacement les patients afin de générer des profits.

Pour atteindre cet objectif, l’entreprise s’appuie constamment sur des indicateurs de performance internes et externes, dont ceux du Conseil de comté de Stockholm, l’autorité locale responsable du financement des soins de santé dans la région de la capitale suédoise.

L’obsession de Capio pour la qualité et l’optimisation des soins a permis des gains de productivité importants à Saint Göran au fil des années. L’entreprise est à ce point confiante en ses méthodes que, lors du dernier appel d’offres, elle a proposé ses services au comté sur la base d’une rémunération inférieure de 10 % à celle des hôpitaux comparables de Stockholm et à celle qu’elle recevait auparavant(7).

Cette réduction du financement public n’a pas entraîné de diminution du nombre de patients traités. Au contraire, l’urgence de Saint Göran, qui voyait quelque 35 000 patients passer ses portes il y a une quinzaine d’années, en a soigné plus de 86 000 en 2016. L’ouverture d’une nouvelle urgence ultramoderne doit faire monter ce nombre au-delà de 100 000(8).

Parallèlement aux gains de productivité, Saint Göran impose la cadence aux autres hôpitaux de Stockholm et continue de relever la barre année après année sur des mesures qui sont fondamentales pour les patients : cibles de performance fixées par l’autorité locale, atteintes des garanties de soins et taux d’infections nosocomiales, entre autres(9). La publication de ces données est une condition imposée par le Conseil de comté de Stockholm et crée une saine émulation entre les fournisseurs de soins, qu’ils soient publics ou privés(10).

De vraies urgences
26 minutes pour voir un médecin

Le service d’urgence de Saint Göran est lui aussi significativement plus performant que celui des autres hôpitaux de Stockholm. Le temps d’attente médian pour voir un médecin y était de 26 minutes en 2016. Aucun hôpital suédois ne fait mieux(11).

En comparaison, un patient admis à l’une des urgences du Québec doit attendre plus de deux heures et quart, en moyenne, seulement pour voir un médecin(12). Même en tenant compte des limites à comparer une médiane avec une moyenne, le Québec demeure à des années-lumière des performances de Saint Göran.

Durée de séjour moins longue

À Saint Göran, la durée médiane de séjour à l’urgence pour l’ensemble des patients est de 2,8 heures, encore une fois mieux que la plupart de ses pairs à Stockholm. Un peu moins du quart des patients (23 %) attendent plus de 4 heures à l’urgence(13).

Au Québec, la moitié des patients (51 %) attendent plus de 4 heures, ce qui correspond à peu près à la médiane(14). Par contre, il existe un écart énorme entre la durée médiane de séjour pour les patients ambulatoires, soit ceux qui sont « capables de marcher » (3,2 heures), et celle des patients sur civière, qui représentent le tiers des visites à l’urgence (9,5 heures). Pour ces derniers, l’attente médiane peut atteindre 15, voire 20 heures dans les grands hôpitaux du Québec(15).

8 heures à Saint Göran, 48 heures au Québec

Les séjours interminables à l’urgence, fréquents au Québec et présents à un certain degré ailleurs à Stockholm, sont anecdotiques à Saint Göran. Seulement 1 % de ses patients passent plus de huit heures à l’urgence, contre 7 à 14 % dans les principaux hôpitaux de Stockholm(16). Au Québec, il n’est pas rare qu’un patient doive attendre plus de 24 heures − et parfois plus de 48 heures − sur une civière avant d’être admis dans une unité de soins.

L’écart est encore plus frappant lorsqu’on compare Saint Göran avec des hôpitaux québécois dont les urgences accueillent un volume de patients semblable. En somme, la proportion de séjours de plus de 48 heures au Québec est semblable à celle de séjours de plus de huit heures à Saint Göran (voir le Tableau 1).

Tableau 1

On pourrait penser que Saint Göran bénéficie de conditions plus favorables ou qui rendent toute comparaison avec le Québec impossible. L’hôpital reçoit pourtant sa part de clientèle âgée : en 2016, un patient sur six ayant séjourné à l’urgence était âgé de plus de 80 ans(17). Les Suédois utilisent aussi leurs urgences dans une proportion semblable aux Québécois(18).

Patients satisfaits, employés heureux

Le degré élevé de productivité de Saint Göran n’a pas été atteint au détriment des patients, puisque ceux-ci évaluent que la qualité des soins reçus est comparable ou meilleure que dans les autres hôpitaux de Stockholm(19) (voir la Figure 1). On y trouve aussi moins de patients en surcapacité, c’est-à-dire au-delà de ce que l’urgence peut normalement accueillir. Quant aux employés de Saint Göran, leur degré de satisfaction est également plus élevé qu’ailleurs à Stockholm, tandis que le taux de roulement du personnel médical et le nombre de journées d’absence pour maladie sont plus bas(20).

Figure 1

L’implication des employés semble contribuer à cet état de choses. Par exemple, le triage est la responsabilité d’équipes multidisciplinaires, afin que l’état du patient puisse être évalué rapidement par des médecins et des infirmières d’expérience. La méthode a été mise en place à l’initiative des employés. Autre facteur favorisant l’efficience : la radiologie d’urgence est intégrée au département d’urgence. Enfin, les patients stables et dont le diagnostic est clair peuvent être admis directement dans les unités de soins dédiées, ce qui leur permet d’être traités plus rapidement et « réduit la pression sur le département d’urgence »(21).

Ce n’est pas magique, seulement économique

Il n’y a rien de magique ou d’ésotérique dans les résultats de Saint Göran, seulement l’application de principes économiques élémentaires.

Le premier est celui de la décentralisation. Au lieu de concentrer les décisions au sein d’une autorité centrale qu’on suppose omnisciente, on fait confiance aux gestionnaires des différents départements, et eux-mêmes laissent une latitude décisionnelle à ceux qui sont en contact avec le patient pour gérer le quotidien et améliorer le fonctionnement de l’hôpital. Capio se fait d’ailleurs un point d’honneur de rappeler que « l’organisation est construite du bas vers le haut et en fonction des besoins des patients »(22). Au Québec, plusieurs croient encore que des politiciens et des bureaucrates peuvent microgérer une organisation aussi complexe que le système de santé dans son ensemble(23).

Le second principe est que tout est mesuré. En plus des nombreux indicateurs qui proviennent de la publication des données des hôpitaux, un sondage annuel du Conseil de comté de Stockholm mesure le degré de satisfaction des patients. Ces données, comme bien d’autres, sont publiques. À Saint Göran, la fréquence annuelle est apparue insuffisante. Un projet pilote a donc été mis en place dans quelques départements afin de recueillir systématiquement l’opinion de tous les patients au moment de leur départ, l’objectif étant à terme de l’étendre à tout l’hôpital(24). En comparaison, au Québec, moins du quart des hôpitaux sondent leurs patients au moins une fois par année(25).

Le troisième est la mise en concurrence à l’intérieur du système. Ceci encourage l’amélioration continue, en permettant, d’une part, à différentes régions d’utiliser différentes solutions de financement et de prestation des soins et, d’autre part, aux hôpitaux de se comparer(26).

Le quatrième est d’avoir fait confiance à l’initiative d’entrepreneurs privés qui, poussés par le profit, ne rognent pas dans les soins aux patients mais, au contraire, consacrent leurs efforts à les soigner mieux et plus vite. Cette pratique est bonne tant pour la rentabilité de l’établissement que pour les patients, qui sont remis sur pied plus rapidement et passent moins de temps à l’hôpital.

Un mythe tenace au Québec et entretenu par plusieurs commentateurs, politiciens et, malheureusement, trop de médecins, veut qu’accorder que plus de place à l’entreprise privée dans la prestation des soins mettrait en péril l’accès et la qualité, et se ferait au détriment des patients. L’expérience de Saint Göran démontre que ce n’est tout simplement pas vrai.​

Du monopole à la concurrence

L’hôpital Saint Göran n’offre pas la solution miracle ou le modèle unique. Outre la Suède, les systèmes de santé de pays comme l’Australie, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, pour n’en nommer que quelques-uns, ont deux points en commun : ces pays font tous appel à la concurrence et, sur le plan de l’accès aux soins et de l’équité, ils devancent tous le Canada(27).

Il n’y a aucune raison valable de se priver de la contribution du secteur concurrentiel dans la prestation de soins hospitaliers, puisque cette contribution ne menace d’aucune façon l’accessibilité aux soins. Elle serait en fait tout autant à l’avantage du gouvernement, qui pourrait réaliser des économies, qu’à celui du patient, qui serait soigné plus rapidement, et toujours sans débourser. Les gouvernements provinciaux pourraient ainsi décider, à l’instar du Conseil de comté de Stockholm, de confier la gestion d’un hôpital à un exploitant privé, tout en conservant le financement public tel que nous le connaissons.

Une forte décentralisation de la gestion du réseau public serait également bienvenue. Le tout, combiné à la publication d’indicateurs de performances par les établissements, mènerait sans aucun doute à la diffusion des meilleures pratiques et à l’amélioration générale de notre système de santé, qui fait piètre figure en termes d’accès lorsqu’on le compare à celui des autres pays développés.

Références

1. Tommy Chouinard, « Barrette utilise la voie légale pour réduire l’attente aux urgences », La Presse, 23 août 2017.
2. Cette contribution varie de 100 à 400 couronnes (15 à 61 $) par consultation, et ne peut excéder un total de 1100 couronnes (environ 167 $) par année. Sweden.se, Health Care in Sweden; 1177 Vårdguiden, Patientavgifter i Stockholms län; Banque du Canada, Convertisseur de devises, 2017.
3. Commissaire à la santé et au bien-être, Perceptions et expériences de la population : le Québec comparé − Résultats de l’enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund de 2016, 2017, p. 25.
4. Eric C. Schneider, Dana O. Sarnak, David Squires, Arnav Shah et Michelle M. Doty, Mirror, Mirror 2017 : International Comparison Reflects Flaws and Opportunities for Better U.S. Health Care, The Commonwealth Fund, juillet 2017, p. 5.
5. Le mandat, accordé en 1999, a été renouvelé depuis, et prolongé jusqu’en 2021. Capio, Capio Annual Report 2016 − The best achievable quality of life for every patient, 2017, p. 154.
6. Le système suédois est très décentralisé, ce qui permet aux instances locales de choisir la méthode de financement et les fournisseurs de soins dans leur région. Cette logique d’autonomie s’étend aux hôpitaux, qui ont l’entière responsabilité de la gestion des soins et du personnel, incluant les médecins, qu’ils embauchent et congédient. Voir Jasmin Guénette, Johan Hjertqvist et Germain Belzile, « Les soins de santé en Suède : décentralisés, autonomes, concurrentiels et universels », Le Point, IEDM, juin 2017.
7. Capio, Capio Annual Review 2013, 2014, p. 3 et 32.
8. Capio S:t Görans Sjukhus, « Kvalitetsredovisning 2016, Sjukhusgemensamma resultat », 5 avril 2017, p. 20; Randeep Ramesh, « Private healthcare: the lessons from Sweden », The Guardian, 18 décembre 2012; Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 54.
9. Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 57; Capio, Capio Annual Report 2015, 2016, p. 38-39. Données confirmées par le Conseil de comté de Stockholm.
10. LIR France, France Santé 2017 – Imaginons la santé, entrevue avec Daniel Forslung du Conseil de comté de Stockholm, diffusée sur YouTube, 24 novembre 2016.
11. Socialstyrelsen, Väntetider och patientflöden på akutmottagningar − Rapport februari 2017, Stockholm läns landsting, Février 2017, p. 74; Johan Ingero, Den förskräckliga succén – Historien om akutsjukhuset S:t Göran, Timbro, 13 mars 2017.
12. Commission de la santé et des services sociaux, L’étude des crédits 2017-2018 : Réponses aux questions particulières − Opposition officielle − volume 2, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Réponse no 179.
13. Socialstyrelsen, op. cit., note 11, p. 65 et 72; Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 57; Conseil de comté de Stockholm, demande d’information.
14. Institut canadien d’information sur la santé, L’Enquête 2016 du Fonds du Commonwealth, Tableaux de données.
15. Demande d’accès à l’information, septembre 2017. Les patients ambulatoires représentent 67,78 % des séjours à l’urgence, et ceux sur civière, 32,22 %. Commission de la santé et des services sociaux, L’étude des crédits 2017-2018 : Réponses aux questions particulières − Opposition officielle − volume 2, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Réponse no 178.
16. Capio S:t Görans Sjukhus, op. cit., note 8, p. 22.
17. Capio S:t Görans Sjukhus, op. cit., note 8, p. 21; Commissaire à la santé et au bien-être, Apprendre des meilleurs : étude comparative des urgences du Québec, Gouvernement du Québec, p. 5.
18. En 2016, en Suède, 37 % des patients avaient effectué une visite à l’urgence au cours des deux dernières années, contre 38 % pour le Québec. Commissaire à la santé et au bien-être, op. cit., note 3, p. 40 et 42.
19. Capio S:t Görans Sjukhus, op. cit., note 8, p. 32; Nationell Patientenkät, Akutmottagningar 2016; demande d’information au Conseil de comté de Stockholm.
20. Hälso- och sjukvårdsförvaltningen, Benchmarking av akutsjukhusens effektivitet – Kärnverksamheterna på Danderyds sjukhus, Capio S:t Görans sjukhus och Södersjukhuset, Stockholm läns landsting, 31 mars 2015, p. 8, 31 et 32; Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 57; Capio, Capio Annual Report 2015, 2016, p. 38-39. Données confirmées par le Conseil de comté de Stockholm.
21. Capio, Capio Annual Review 2013, 2014, p. 33; Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 54.
22. Capio, Capio Annual Report 2015, 2016, p. 10, 74 et 133; Capio, Capio Annual Report 2016, 2017, p. 4, 14, 75 et 139.
23. Germain Belzile et Jasmin Guénette, « La centralisation en santé : une recette vouée à l’échec », Le Point, IEDM, 13 juillet 2017.
24. Capio, Capio Annual Report 2015, p. 36; LIR France, France Santé 2017 – Imaginons la santé, entrevue avec Britta Wallgren, diffusée sur YouTube, 24 novembre 2016.
25. Commissaire à la santé et au bien-être, op. cit., note 17, p. 41.
26. Jasmin Guénette, Johan Hjertqvist, Germain Belzile, op. cit., note 6.
27. Eric C. Schneider, Dana O. Sarnak, David Squires, Arnav Shah et Michelle M. Doty, op. cit., note 4, p. 5.

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