Voitures électriques : pourquoi le modèle américain n’est pas applicable au Québec
Notre étude récente sur les impacts des quotas de vente de voitures électriques et hybrides , a fait beaucoup de bruit. Globalement, l’étude a été très bien reçue dans les principaux médias, qui en ont fait la manchette. Un éditorial du Devoir a même endossé nos chiffres et nos conclusions.
Il vaut la peine de rappeler les éléments clés de cette publication : le gouvernement du Québec a décidé de forcer les constructeurs automobiles à vendre un certain pourcentage de voitures électriques et hybrides. Ce pourcentage va augmenter rapidement jusqu’en 2025. Étant donné que les manufacturiers auront beaucoup de difficulté à respecter la réglementation, ils devront acheter des crédits pour chaque voiture conventionnelle vendue (c’est-à-dire à essence). En théorie, ceci devrait avoir le même effet qu’une taxe et mener à une hausse du prix des voitures à essence.
Le rêve californien
Certaines critiques de notre étude ont cependant laissé entendre qu’en Californie, une politique semblable n’a pas donné lieu à des problèmes importants. Et, de façon superficielle, la politique québécoise de quotas de ventes de voitures zéro-émission semble en effet copiée sur la politique américaine.
Examinons donc le cas des politiques Zero Emission Vehicules des États-Unis afin de voir s’il s’applique bien au Québec. Actuellement, la Californie et neuf autres États du Nord-Est obligent les manufacturiers automobiles à atteindre un quota de vente de véhicules zéro émission sur leur territoire.
Il se vend effectivement plus de voitures électriques et hybrides en Californie qu’ici, mais ce n’est pas uniquement en raison des subventions. Il faut aussi comprendre le contexte de cet État. Le prix moyen d’un véhicule pour particulier acheté au Québec en 2016 était d’environ 36 000 $ CAD, contre plus de 67 000 $ CAD pour la Californie, selon la National Automobile Dealers Association. Les Californiens sont immensément plus riches que les Québécois et cela se reflète dans les dépenses de consommation. Or, plus de 90 % des acheteurs de VE se situent dans le quintile le plus riche de la population, peu importe l’endroit. On ne doit donc pas se surprendre que le marché de la voiture électrique (VÉ) soit plus dynamique en Californie qu’au Québec.
Les citoyens californiens ont aussi droit à toute une panoplie d’avantages qui font augmenter la demande pour les VÉ : une subvention fédérale allant jusqu’à 7 500 $ US, une subvention de la Californie jusqu’à 2 500 $ US et des subventions locales qui peuvent atteindre des milliers de dollars ; le droit d’utiliser les voies réservées (un avantage non négligeable dans le réseau routier engorgé de la Californie du sud), etc. Globalement, tout cela compte pour beaucoup plus qu’au Québec.
Des raisons supplémentaires, qu’on ne retrouve pas au Québec, rendent les VÉ plus attrayants en Californie. Le transport à longue distance par avion n’est pas cher aux États-Unis, ce qui atténue un des désavantages des VÉ, qui servent avant tout pour des déplacements courts. Le climat est aussi un facteur: les Californiens n’ont pas à s’inquiéter de la perte de puissance de leur batterie par temps très froid.
La multiplication des crédits
Au-delà de ces distinctions, il existe une grande différence entre les politiques québécoise et américaine de quotas de vente de VÉ : il est possible, dans les neuf États sauf la Californie, de compter les véhicules électriques vendus dans n’importe quel des dix États comme faisant partie de leur propre quota. Autrement dit, si GM vend un VÉ en Californie, cela créera des crédits dans chacun des dix États imposant des quotas.
Comme cette clause dite « Travel provision » ne s’applique pas en Californie pour des achats faits ailleurs, les manufacturiers ont tout intérêt à concentrer leurs ventes de VÉ dans cet État pour multiplier les crédits générés dans les dix États participants. Le résultat : on stimule les ventes de VÉ en Californie, alors que de nombreux États participant au programme n’en vendent à peu près pas et que le système déborde de crédits en trop. En fait, plusieurs manufacturiers qui ne vendent que peu ou pas de VÉ ont déjà accumulé des crédits suffisants pour plusieurs années.
Le plus important, et c’est ce que l’on doit retenir, c’est que malgré tous les avantages de la Californie, les ventes de VÉ y plafonnent à 3 % du marché depuis 2014. Le resserrement annoncé des critères, dont l’augmentation du pourcentage de ventes de VÉ sous quotas (jusqu’à 15 % en 2025,) laisse présager des problèmes dans un futur pas très éloigné. Incidemment, le Québec a des cibles semblables, mais il part de beaucoup plus loin, puisque les ventes de voitures électriques et hybrides ne représentent actuellement qu’un peu plus de 1 % des ventes. Comme dirait Jean Perron, il en va loin de la soupe aux lièvres…
En bref, il serait illusoire de penser que le programme québécois de quotas de vente de VÉ ne créera pas de problèmes importants. Comme le rappelle Michael Lord, un gestionnaire de Toyota en Amérique du Nord : « It’s a mandate for us to produce vehicles, but there is no mandate for customers to buy them ».
Germain Belzile est chercheur associé senior à l’IEDM et l’auteur de « Quotas de voitures électriques : une taxe déguisée ». Il signe ce texte à titre personnel.
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