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Textes d'opinion

Deirdre McCloskey: comment un économiste est devenu une grande économiste

 

Qu’on s’intéresse à son impressionnante carrière universitaire ou à la lutte personnelle qu’elle a menée pour revendiquer sa dignité, l’histoire de Deirdre McCloskey fascine. Son œuvre intellectuelle est imposante, son combat pour faire valoir ses droits est inspirant.

McCloskey s’appelle d’abord Donald à sa naissance en 1942. Le jeune homme étudie l’économie à Harvard, y obtenant son baccalauréat ainsi que son doctorat en 1970. Très rapidement, il émerge en tant que brillant économiste. Sa thèse de doctorat est publiée dans l’American Economic Review, une revue prestigieuse.

Dans les années 1980, McCloskey se tourne vers un sujet peu étudié en économie, soit la rhétorique. Il publie en 1985 The Rhetoric of Economics, qui devient vite un succès. Cet ouvrage est le premier d’une série de livres sur l’argumentation et l’écriture économiques. Les travaux de McCloskey sont fortement utilisés aujourd’hui comme guides pour la rédaction de textes, thèses et recherches économiques, ainsi que pour la construction d’arguments.

Après la rhétorique, Donald s’intéresse aux causes de la croissance. Cette fois-ci, l’économiste se penche sur les facteurs non matériels. Le courant de pensée populaire en économie misait alors fortement sur les facteurs matériels : capital, productivité, technologie. Défiant le courant dominant, il lance l’idée de l’importance des valeurs, des idées et des vertus dans le développement économique : l’importance du non-matériel dans le matériel.

Il détaillera ces recherches plus tard dans la trilogie The Bourgeois Era, dont les livres sont publiés en 2006, 2010 et 2016. Acclamée par la critique, la trilogie explique comment la réhabilitation des valeurs associées à la bourgeoisie des 17e et 18e siècles, bien plus que des facteurs économiques ou matériels, ont encouragé l’innovation, l’entrepreneuriat et la création de richesse. L’élargissement de la classe bourgeoise qui est venue avec le capitalisme a permis la diffusion de ces valeurs.

D’intellectuel à intellectuelle

En 1994, Donald décide de devenir Deirdre. Son parcours, qui dura trois ans, n’a pas été sans peines. Sa sœur, pensant que Deirdre allait regretter son choix, se battait constamment pour annuler ses chirurgies esthétiques. Deirdre, elle, a dû faire face à de nombreux psychiatres qui la traitaient comme si elle souffrait d’une maladie mentale. L’économiste a dépensé quelques dizaines de milliers de dollars pour ses frais médicaux : les assurances ne couvraient pas les chirurgies.

Deirdre a dû se rendre aux Pays-Bas pour suivre un programme de réassignation de sexe avec chirurgies, hormones et thérapies. Une sorte de juste retour des choses, car l’économiste identifie la tolérance comme une des vertus bourgeoises qui aida les Pays-Bas à devenir un pays riche, il y a plusieurs siècles. Son livre Crossing : A Memoir, publié en 1999, raconte son parcours.

C’est cette même tolérance, qui caractérise aujourd’hui à divers degrés toutes les sociétés libérales occidentales, qui a permis à Deirdre de poursuivre son travail et sa vie normale. Le libéralisme prescrit le libre marché et la libre entreprise sur le plan économique, mais aussi la liberté individuelle et la tolérance vis-à-vis les choix de chacun sur le plan social. Malgré les obstacles, peu après sa transition, l’économiste s’est sentie acceptée et reconnue comme femme par son entourage universitaire et par les médias. Lorsqu’elle a annoncé sa transition au recteur de l’université, celui-ci était soulagé, ayant cru qu’elle allait lui annoncer qu’elle était devenue socialiste!

Il serait impossible de parler de tous ses exploits intellectuels. La professeure a publié plus de 400 recherches en plus d’avoir écrit 17 livres. Elle a effectué des recherches sur l’histoire économique, la mauvaise utilisation de statistiques, la philosophie des sciences sociales, l’application de l’économétrie à l’histoire, entre autres. Son CV comporte plus de 18 000 mots. Elle est récipiendaire de six doctorats honorifiques. Elle a enseigné l’économie, l’anglais, la communication ainsi que l’histoire. McCloskey se décrit comme une libertarienne. Ses ouvrages sur l’impact de la culture sur la croissance sont considérés comme son œuvre maitresse (parmi d’innombrables autres œuvres).

Deirdre McCloskey est toujours active dans le monde universitaire. Elle enseigne aujourd’hui plusieurs disciplines à l’University of Illinois at Chicago. Fière défenseure du libre marché, des droits des transgenres, des gais et des lesbiennes, l’universitaire est beaucoup sollicitée pour des entrevues et conférences. Avec raison puisque son parcours intellectuel et personnel font d’elle une femme unique et exceptionnelle.

Jasmin Guénette est vice-président de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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