6700 décès en trop dans les CHSLD?
À pareille date l’an dernier, nous parlions de la fin temporaire des transferts de patients infectés par la COVID-19 vers les CHSLD. Cette pratique allait toutefois reprendre un mois plus tard. Lorsque l’on considère le nombre extrêmement élevé de décès qu’a connu le Québec dans ses CHSLD, on peut comprendre les fortes critiques que suscite cette pratique – et avec raison. Il vaut toutefois la peine de se pencher un peu plus longuement sur la question.
Premièrement, il faut reconnaître l’ampleur du phénomène. En date du 1er mars, 75 % des décès liés à la COVID-19 au Québec provenaient des CHSLD. À titre comparatif, les centres de soins de longue durée comptaient pour 43 % des décès en France, 34 % au Royaume-Uni, et 28 % en Allemagne. Si les morts du Québec étaient distribués de la même façon que dans ces pays, cela signifierait entre 5800 et 6700 vies d’aînés québécois qui auraient pu être épargnées. Même si le ratio de décès dans les foyers de soins au Québec avait été comparable à la moyenne du reste du Canada (59 %), ce sont quelque 4000 décès d’aînés qui auraient pu être évités.
Mais qu’est-ce que ces pays européens ont fait différemment? La première des choses a été d’augmenter de façon importante leur capacité à prendre en charge des cas, notamment par l’ajout de personnel soignant. Bien entendu, cela s’avère plus difficile au Québec considérant la pénurie de main-d’œuvre et la saturation chronique de nos établissements hospitaliers en temps normal. Il faut le dire, les temps d’attente auxquels les Québécois sont tristement habitués sembleraient invraisemblables dans les pays d’Europe.
Bref, en faisant de deux systèmes en surchauffe des vases communicants, soit les hôpitaux et les CHSLD, toutes les planètes étaient bien alignées pour un échec retentissant. Cet épisode tragique était malheureusement difficile à éviter compte tenu des faiblesses structurelles de notre système de santé et de la façon dont nous nous occupons de nos aînés.
En effet, il faut considérer le fait que le Québec a recours de façon disproportionnée aux établissements de soins de longue durée pour prendre soin de ses aînés. Ce sont 9,5 % des aînés québécois qui vivent dans une résidence pour personnes âgées ou un CHSLD, alors qu’il s’agit du lot de seulement 2 % des Italiens et de 3,5 % des Britanniques, par exemple. Afin que le Québec puisse se comparer à ces pays à ce chapitre, une amélioration considérable de l’offre de soins à domicile s’avérerait sans l’ombre d’un doute nécessaire.
Monstre bureaucratique
Et, contrairement à ce que certains crient haut et fort sur la place publique, ce n’est pas à coup de millions que nous allons régler le problème. En effet, le système canadien de soins de santé figure tristement parmi les systèmes universels les plus coûteux de la planète, avec des dépenses de près de 30 % supérieures à la moyenne de l’OCDE. Les dépenses de santé du Canada et du Québec progressent en réalité à un rythme bien plus rapide que la croissance démographique ou économique. Mais c’est cette incapacité à convertir des budgets toujours plus généreux en des résultats concrets qui bénéficient réellement à la population qui porte à croire que le système nécessite une réforme de fond.
Les Québécois sont nombreux à penser que notre système de santé est devenu un monstre bureaucratique qui peine à répondre à nos besoins. Le véritable désastre des CHSLD sera à tout jamais un exemple criant des limitations du modèle québécois en matière de santé et de soins aux personnes âgées. Il est permis d’espérer que cela nous mène à réfléchir sur des façons plus souples, plus rapides et plus efficaces de fournir des soins à la population, et en particulier aux plus vulnérables d’entre nous. C’est une question de vie ou de mort.
Peter St. Onge est chercheur associé senior à l’IEDM, Maria Lily Shaw est économiste à l’IEDM. Ils sont les auteurs de « COVID-19 et le désastre des SLD au Québec: près de 6700 vies auraient pu être épargnées » et signent ce texte à titre personnel.