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Comment définir la responsabilité sociale de l’entreprise et la durabilité?

La responsabilité sociale de l’entreprise et la durabilité sont deux concepts largement utilisés. La conduite des entreprises et des gouvernements est en partie jugée d’après ces concepts. Militants, politiciens et chefs d’entreprise les emploient. Mais que signifient-ils exactement? S’accordent-ils avec une gestion efficiente dans une société libre? Dans quelle mesure sont-ils même utiles? La présente Note économique vise à clarifier ces points.

Communiqué de presse : La responsabilité sociale des entreprises et la durabilité vont de pair avec la recherche de profit
 

En lien avec cette publication

Devrait-on limiter la recherche du profit des entreprises? (Le Devoir, 30 janvier 2017)

Right-sizing corporate social responsibility (National Post, 3 février 2017)

   

Comment définir la responsabilité sociale de l’entreprise et la durabilité?

La responsabilité sociale de l’entreprise et la durabilité sont deux concepts largement utilisés. La conduite des entreprises et des gouvernements est en partie jugée d’après ces concepts. Militants, politiciens et chefs d’entreprise les emploient. Mais que signifient-ils exactement? S’accordent-ils avec une gestion efficiente dans une société libre? Dans quelle mesure sont-ils même utiles? La présente Note économique vise à clarifier ces points.

Responsabilité sociale de l’entreprise

Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise a été défini de diverses façons. Sa première mention moderne – qui a lancé les travaux contemporains sur la question – nous vient d’un livre publié par l’économiste américain Howard R. Bowen en 1953, Social Responsibilities of the Businessman. Bowen l’a défini comme « l’obligation pour les gens d’affaires d’appliquer des politiques, de prendre des décisions ou de suivre des lignes de conduite qui sont souhaitables compte tenu des objectifs et valeurs de notre société ».

Une définition plus large inclurait d’autres mesures visant à produire des résultats socialement désirables, comme la protection de l’environnement, ce qui irait au-delà de ce qu’envisage cette définition plus neutre. Si l’entreprise a toujours pour objectif premier de maximiser ses profits, l’application de mesures additionnelles en vue du « bien commun » pourra améliorer sa rentabilité. Elles accroîtront ses ventes en renforçant son image et sa réputation, diminueront ses coûts en réduisant son utilisation de ressources, stimuleront la participation des employés par des activités « vertes » internes, rehausseront son acceptabilité sociale grâce à la meilleure opinion qu’on se fait d’elle, etc.

De telles définitions de la responsabilité sociale de l’entreprise n’entraînent pas de conséquences néfastes et peuvent être acceptées sans qu’aucun problème n’en résulte.

Or, certaines personnes souhaitent aller encore plus loin en imposant aux entreprises une définition de la responsabilité sociale qui s’étendrait au-delà des contraintes déjà établies par les lois et règlements. Ainsi, l’entreprise devrait maximiser le bien-être de toutes les « parties prenantes », y compris les travailleurs, les consommateurs, la collectivité dans son ensemble et les générations futures. Cette définition plus extrême est beaucoup plus problématique pour les actionnaires et la société en général.

Milton Friedman, lauréat du prix Nobel d’économie en 1976, s’est notoirement opposé à une définition plus large de la responsabilité sociale. Comme il l’écrivait, « l’entreprise n’a qu’une seule responsabilité sociale – utiliser ses ressources et entreprendre des activités destinées à accroître ses profits, et cela aussi longtemps qu’elle respecte les règles du jeu, soit de pratiquer une concurrence ouverte et libre, sans tromperie ni fraude »(1). Comme nous le savons depuis Adam Smith, ceci entraînera un accroissement général du bien-être de la société sans que ce soit un objectif direct de la recherche du profit. En détournant l’entreprise de la recherche du profit, on risque de ralentir ou même de renverser l’accroissement du bien-être.

La responsabilité sociale est-elle rentable ou coûteuse pour une entreprise? Une entreprise peut-elle « bien faire tout en faisant le bien »? La réponse dépend du type d’activités dont il est question.

Pour survivre et prospérer, les entreprises doivent satisfaire les désirs de leurs clients. Si certaines formes de responsabilité sociale sont payantes pour l’entreprise qui les applique (en stimulant la participation de ses employés, améliorant sa gestion des risques, rendant ses clients plus satisfaits), ces pratiques tendront à se répandre d’elles-mêmes sous l’impulsion de la recherche du profit. Par contre, si l’entreprise trompe ses clients, elle ne sera pas en affaires très longtemps, parce que ceux-ci iront ailleurs.

Mais que penser des pratiques nuisibles à la productivité et que des partisans bien intentionnés de la responsabilité sociale veulent souvent imposer dans leur entreprise? Si elles étaient instaurées, les actionnaires, consommateurs ou employés en subiraient les contrecoups sous forme de baisse des profits, de hausse des prix ou de réduction des salaires.

Il est beaucoup moins efficace de réglementer une entreprise à l’interne par des politiques agressives de responsabilité sociale que de laisser le gouvernement en encadrer les activités (ou de simplement permettre au marché de le faire). Pensons aux conditions de travail. Obliger une entreprise à bonifier les salaires et autres avantages sociaux (par des congés plus nombreux ou des services de garderie gratuits, par exemple) au-delà de ce que décrète déjà la réglementation gouvernementale et permettent les conditions du marché mènerait à une augmentation des coûts, nuirait à sa compétitivité et pourrait même compromettre sa survie.

Pourquoi certains préconisent-ils néanmoins une définition militante de responsabilité sociale pour les entreprises? Probablement parce qu’ils ne peuvent faire triompher leur point de vue dans l’arène politique, leurs objectifs étant impopulaires ou trop coûteux. En résumé, si on l’interprète étroitement, la responsabilité sociale de l’entreprise n’est ni une menace, ni une panacée. Si on la pousse à son extrême, elle peut gêner les entreprises dans ce qu’elles font le mieux – produire les biens et services que les clients désirent au coût le plus bas. Elle ne peut ni ne doit remplacer la discipline de marché ou la réglementation.

Durabilité

Un autre concept largement employé mais mal défini est celui de durabilité, lequel remonte aux années 1960 et au début des années 1970(2).

Plusieurs livres publiés à l’époque nous ont avertis de catastrophes imminentes si l’humanité ne s’amendait pas. Dans son livre influent paru en 1962, Rachel Carson(3) prédisait que, très bientôt, le printemps serait silencieux, sans gazouillis d’oiseaux ni bourdonnements d’insectes. En 1968, le fameux environnementaliste Paul Ehrlich(4) prédisait des famines généralisées dans un avenir rapproché, notamment en Europe et en Amérique du Nord. En 1972, le Club de Rome(5) annonçait un épuisement prochain des ressources de base à travers le monde, y compris des métaux et de l’énergie, ainsi qu’un effondrement économique mondial.

Ces frayeurs environnementales n’ont pas eu de suite, mais elles ont lancé des mouvements voués à la durabilité.

Le concept de base de la durabilité soulève un point important : que la multitude des choix individuels doit tenir compte de la rareté des ressources. Autrement dit, la durabilité doit être possible sur le plan économique(6).

Comme la responsabilité sociale des entreprises, la durabilité a du sens si on la définit de manière étroite. Ainsi, en 1986, le Rapport Brundtland définissait le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »(7).

Plus récemment, les Nations Unies ont produit une liste de 17 objectifs de développement durable, adoptés en 2015, qui étendent le concept bien au-delà des intentions des premiers penseurs environnementalistes. Ces objectifs incluent presque toute proposition jugée bénéfique, comme celle de « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » (objectif 3). La résolution de l’ONU prévoit que « le sport est lui aussi un élément important du développement durable »(8).

L’UNESCO, elle-même un organe de l’ONU, considère que la culture fait partie du développement durable(9). Une conception aussi large de la « durabilité » est inévitablement accompagnée d’appels en faveur d’interventions gouvernementales de toutes sortes. On l’invoque même pour préconiser un revenu minimum garanti(10).

Pourtant, si la durabilité signifie « tout ce qui favorise le bien-être futur de l’humanité et de notre planète », elle n’est pas un concept particulièrement utile. On ne peut pas tout faire, ni atteindre tous les objectifs. Il faut faire des compromis : on ne peut en même temps restreindre la croissance, aider les plus démunis et maintenir les incitations à produire pour ceux qui ne sont pas pauvres.

Cependant, si nous définissons plus étroitement la durabilité, elle aura encore pour objet d’assurer que nous limiterons la pollution et que nous ferons en sorte de ne pas épuiser nos ressources. En fait, les marchés sont une institution idéale pour garantir la durabilité, définie de cette façon.

Premièrement, les marchés nous avertissent de la rareté des ressources parce que le cours de celles-ci augmentera. Chaque fois qu’une pénurie fait grimper les prix, chacun s’adapte en utilisant moins cette ressource ou en la remplaçant par d’autres, plus abondantes.

Deuxièmement, la rareté et le coût plus élevé d’une ressource nous incitent à en découvrir davantage. Le cuivre est un bon exemple puisque ses réserves ont fortement augmenté tandis que son prix a dégringolé au cours des 200 dernières années(11). De 1995 à 2015 seulement, les réserves mondiales conventionnelles de cuivre ont plus que doublé, passant de 310 à 720 millions de tonnes(12).

Troisièmement, puisqu’il peut être très payant d’innover pour remplacer des ressources raréfiées, un système de libre entreprise remédie habituellement aux pénuries avant même qu’elles ne se produisent. Le cuivre en est encore un bon exemple puisqu’on n’en a pratiquement plus besoin dans les réseaux téléphoniques depuis l’invention de la fibre optique et des téléphones cellulaires. En fait, le monde n’a jamais manqué d’une ressource essentielle à la croissance. Recourir à la réglementation pour restreindre la croissance actuelle en vue d’assurer que les générations futures disposeront de ressources est donc inutile.

Enfin, le libre marché favorise la croissance, un meilleur niveau de vie et un environnement plus sain(13). Presque tous les pays les plus riches (suivant le PIB réel par habitant) offrent un degré élevé de liberté économique et, comme l’illustre la Figure 1, une société plus riche a les moyens de prendre les questions environnementales au sérieux et d’affronter quelque problème qui survient(14). D’après l’Indice de performance environnementale du Center for Environmental Law and Policy de l’Université Yale, l’environnement se porte beaucoup mieux dans les pays riches que dans les pays en développement(15).

Conclusion

La responsabilité sociale de l’entreprise et la durabilité sont des concepts importants. Cependant, s’ils sont interprétés trop largement, ils peuvent causer un tort grave aux entreprises et à notre économie. Il est essentiel de leur donner un sens concret et pratique. L’objet de la responsabilité sociale de l’entreprise devrait être d’exploiter un commerce d’une manière légale et responsable. Celui de la durabilité devrait être de nous assurer de pas épuiser nos ressources et de limiter la pollution.

S’ils sont bien compris, ces deux concepts complètent la recherche du profit – plutôt que de lui nuire –, dans un contexte où les lois et règlements sont respectés et où l’on s’en remet au mécanisme du marché pour déterminer les prix. Ils peuvent aider les entreprises et l’ensemble de la société à atteindre un objectif que nous partageons tous : une vie meilleure, aujourd’hui et dans les années à venir. (Tableau 1)

Cette Note économique a été préparée par Germain Belzile, chercheur associé senior à l’IEDM, en collaboration avec Michel Kelly-Gagnon, président et directeur général de l’IEDM.

Références

1. Milton Friedman, Capitalism and Freedom, University of Chicago Press, 1982, p. 112.
2. Edward B. Barbier, « The Concept of Sustainable Economic Development », Environmental Conservation, vol. 14, no 2, juillet 1987, p. 102.
3. Rachel Carson, Silent Spring, Houghton Mifflin Company, édition anniversaire, 2002.
4. Paul R. Ehrlich, The Population Bomb, Sierra Club, 1968; Pierre Lemieux, « Running Out of Everything », Library of Law and Liberty, 3 juin 2014.
5. Donella H. Meadows et al.The Limits to Growth: A Report for the Club of Rome's Project on the Predicament of Mankind, Universe Books, 1972.
6. Lawrence Reed Watson, « Enviropreneurship in Action », dans Terry L. Anderson et Donald R. Leal, Free Market Environmentalism for the Next Generation, Palgrave Macmillan, 2015.
7. Commission mondiale pour l'Environnement et le Développement, Rapport de la Commission mondiale pour l'Environnement et le Développement : Notre avenir commun, transmis à l'Assemblée générale des Nations Unies, 1987, p. 40.
8. Assemblée générale des Nations Unies, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l'horizon 2030, 21 octobre 2015, p. 10 et 15.
9. UNESCO, La culture pour le développement durable.
10. Wouter Achterberg, « From Sustainability to Basic Income », dans Michael Kenny et James Meadowcroft (dir), Planning Sustainability, Routledge, 1999, p. 128-147.
11. Bjørn Lomborg, The Skeptical Environmentalist: Measuring the Real State of the World, Cambridge University Press, 2001, Figure 79.
12. USGS, National Minerals Information Center, Copper, Statistics and Information, 2016.
13. Johan Norberg, In Defense of Global Capitalism, Cato Institute, 2003, p. 63-104.
14. Tom Murphy, « Air pollution is deadly and hurts the world's poor the most », Humanosphere, 16 mai 2016. Pour en savoir plus sur la courbe environnementale de Kuznet, représentée dans la Figure 1, et les effets de l'augmentation de la richesse sur l'environnement, lire Matt Welch, « Capitalism Makes You Cleaner », Reason, Octobre 2015.
15. Environmental Performance Index, Global Metrics for the Environment: The Environmental Performance Index Ranks Countries' Performance on High-Priority Environmental Issues—2016 Report, Yale University, 2016, p. 18-19.​

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