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Textes d'opinion

Salaire minimum à 15 $: la «bombe atomique» ciblerait les régions

Tous les économistes sont d'accord pour dire que si le salaire minimum passait soudainement de 10,75 $ à 15 $/heure, certains emplois seraient détruits. La raison en est bien simple: si la valeur créée par un employé est inférieure à son salaire, il n'est pas avantageux pour l'entreprise de maintenir son emploi. Ce fait est largement accepté par la profession, même par les économistes qui sont pour cette mesure. Le débat qui subsiste concerne plutôt le nombre d'emplois qui seraient détruits.

La plus forte estimation est celle de Pierre Fortin, pour qui environ 160 000 emplois disparaîtraient si le salaire minimum horaire passait à 15 $ en 2017. Pour d'autres, ce sont 20 000 emplois qui auraient été détruits si cette mesure avait été adoptée en 2015. 

Personne ne s'est toutefois intéressé jusqu'à maintenant à l'effet particulier de ces pertes d'emplois dans les régions rurales du Québec où les salaires sont généralement inférieurs à ceux des grands centres urbains.

Le niveau des salaires que les entreprises ont la capacité d'offrir est largement attribuable à la région où elles se trouvent. Généralement, les occasions d'affaires sont plus nombreuses pour les entreprises situées près des grands centres urbains et les salaires offerts y sont plus élevés. Malgré cette différence entre les grands centres urbains et les régions, le salaire minimum s'applique de façon uniforme partout sur le territoire, pénalisant davantage l'emploi en région. 

Plus il y a de travailleurs qui reçoivent un salaire inférieur à 15 $ l'heure dans une région, plus la proportion de ceux dont les emplois seraient à risque advenant une hausse soudaine du salaire minimum à ce niveau est élevée. 

Nous avons fait l'exercice de calculer cette main-d'oeuvre à risque dans les municipalités régionales de comté (MRC) du Québec. Trois régions seraient particulièrement touchées : la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, l'Outaouais et le Bas-Saint-Laurent. Onze des 25 MRC où la proportion de la main-d'oeuvre à risque est la plus élevée s'y retrouvent. Cette proportion varierait de 56 % pour la MRC du Rocher-Percé à 41 % pour la MRC de Pontiac. 

Bien sûr, tous ces emplois ne disparaîtraient pas du jour au lendemain. Ce serait le cas dans les entreprises les plus précaires ou celles qui sont incapables de s'ajuster. Une partie de ces travailleurs conserveraient leur emploi et verraient leur salaire augmenter. Cependant, il est fort possible qu'on leur demande d'accomplir plus de tâches ou d'assumer davantage de responsabilités. Ou encore que leurs heures de travail diminuent et qu'ils reçoivent moins de bénéfices non financiers. 

L'effet serait si important qu'il défie même toute projection. Que se passe-t-il lorsque, du jour au lendemain, la moitié de la main-d'oeuvre est mise à risque de telle façon? Pierre Fortin comparait l'effet du salaire minimum à 15 $ à celui d'une «bombe atomique».

Le salaire minimum a plusieurs effets néfastes. Il réduit l'emploi chez les jeunes et les travailleurs non qualifiés, puisque ce sont des employés dont le travail crée une plus-value bien souvent faible. Du fait que les entreprises doivent souvent hausser leurs prix pour pouvoir augmenter les salaires, il peut aussi rendre les biens de consommation plus chers, ce qui désavantage les travailleurs à petit revenu qu'il est censé aider. Enfin, il encourage le décrochage scolaire en rendant les salaires d'entrée sur le marché plus intéressants, pour ceux qui arrivent à trouver un emploi.

Par ailleurs, comme nous venons de le voir, il aurait aussi pour effet de décourager le développement économique en région, accélérant ainsi l'exode rural auquel font face certaines régions du Québec depuis le milieu du XXe siècle.

Visiblement, les travailleurs en région sont les grands oubliés dans la campagne pour un salaire minimum à 15 $ menée par les syndicats. Si l'on veut vraiment aider les personnes à faible revenu, il existe d'autres outils qui permettent de le faire sans mettre leur emploi à risque. On peut mentionner le relèvement du montant personnel de base sur lequel personne ne paie d'impôt sur le revenu, ou encore une bonification et un élargissement des conditions d'admissibilité du crédit d'impôt pour solidarité ou de la prime au travail. Indépendamment de leur coût, ces mesures comportent beaucoup moins d'effets pervers et auraient l'avantage de ne pas accélérer l'exode rural. 

Mathieu Bédard et Alexandre Moreau sont respectivement économiste et analyste en politiques publiques à l'IEDM. Ils sont les auteurs de « Le salaire minimum à 15 $ accélérerait-il l'exode rural? » et signent ce texte à titre personnel.

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