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Textes d'opinion

Où tracer la ligne d’un «choix de société» qui va trop loin?

Qui n’a pas entendu parler d’Al Capone qui a fait fortune grâce à la contrebande d’alcool?  De 1920 à 1933, les États-Unis avait interdit la consommation d’alcool durant une période de prohibition réclamée par des religieux et des groupes de gauche. Parce que l’alcool était illégal mais très en demande, le crime organisé s’est chargé de répondre aux besoins.

Face à l’échec retentissant de la prohibition, cette politique fut abandonnée. C’est un peu le même constat d’échec qui pousse le gouvernement canadien à légaliser la marijuana. Cependant, comme les puritains d’autrefois, bien des groupes militent encore aujourd’hui contre les produits et les comportements jugés malsains.

Parmi ces produits honnis, la cigarette arrive en tête de liste. L’industrie du tabac est probablement l’une des plus réglementée et le tabagisme est le comportement le plus encadré par nos lois et règlements. Cela fournit un bon exemple de jusqu’où un comportement risqué peut être réglementé et taxé au Canada.

On peut aussi y voir des indices de ce qu’un gouvernement pourrait éventuellement adopter comme réglementation d’autres industries comme l’alcool, la restauration rapide ou les boissons gazeuses, d’autres « choix de société » qui sont en fait des choix du gouvernement en place, tout bêtement.

En fait, l’emballage neutre n’est pas encore adopté pour le tabac que déjà le Sénat étudie une politique similaire pour les aliments destinés aux enfants. Aucune mascotte ne pourrait être commercialisée, par exemple.

La Coalition Poids applaudit d’avance cette campagne anti-mascottes. La belle intention justifiant cette énième intrusion réglementaire, c’est qu’on doit mieux protéger les enfants. Mais qui est ce « on »? Est-ce vraiment le travail du gouvernement, ou ne serait-ce pas plutôt la responsabilité des parents?

Des règles déjà sévères

Prenons le cas du tabac pour voir jusqu’où le gouvernement se permet d’intervenir dans nos vies au nom de notre propre santé. Toute publicité est interdite à l’industrie du tabac. Les gouvernements provinciaux ont interdit de fumer dans pratiquement tous les lieux de travail, et dans les endroits ouverts au public. L’emballage est aussi strictement contrôlé, incluant des avertissements de santé doublés d’illustrations explicites couvrant 75 % des paquets. Les points de vente sont limités à certains commerces, et on intervient avec vigueur pour lutter contre la contrebande.

En pratique, les cigarettes ont complètement disparu de la vue du public en raison de l’interdiction d’étalage. Néanmoins, le gouvernement fédéral actuel songe à imposer l’emballage neutre, qui consiste à rendre les paquets aussi peu attrayants que possible : couleur quelconque, taille et forme identique, sans couleur de marque distinctive, de logo ou d’autres éléments de conception.

Les paquets de cigarettes sont vus comme l’ultime endroit où les marques peuvent se faire voir, bien qu’uniquement par les fumeurs qui achètent ces cigarettes. La logique derrière l’idée de l’emballage neutre consiste à standardiser l’apparence des paquets et à les enlaidir autant que faire se peut pour transmettre le message qu’il est mal de fumer.

Qu’un gouvernement se permette de faire des leçons de morale à ses citoyens qui achètent un produit par ailleurs légal peut faire sourciller. Il est encouragé en cela par divers groupes anti-tabac, revendiquant constamment des règles et des lois plus strictes. Ces groupes, ainsi que de nombreux professionnels en santé publique, voient dans le tabac la principale cause de mort évitable, ce qui rend légitime à leurs yeux de protéger les gens contre leurs propres choix.

Pourtant, en termes de santé publique, les fumeurs paient déjà le prix des soins de santé requis en raison de leur consommation de tabac. Ces coûts de santé bruts ont été estimés à 4,4 milliards de dollars au Canada, alors que les recettes des taxes sur le tabac la même année s’élevaient à 5,3 milliards de dollars. Bref, les fumeurs financent déjà en bonne partie les soins de santé des non-fumeurs.

Jusqu’où les règles et lois régiront-elles nos vies?

La prohibition n’est pas une option viable, comme bien des gouvernements l’ont appris à leurs dépens. Par contre, imposer des contraintes n’est pas un phénomène nouveau et semble être à la mode depuis longtemps. Toujours dans l’idée d’améliorer la santé de la population, la Chine communiste a longtemps imposé deux séances d’exercice quotidien à des millions d’étudiants et de travailleurs. Disons qu’ils n’avaient pas vraiment le loisir de refuser.

Je n’ai aucun doute que ce genre d’imposition ait bel et bien eu un résultat heureux pour la santé de certains Chinois. Mais qui serait prêt à accepter une telle dictature? Est-ce qu’on n’oublie pas la valeur intrinsèque de la liberté ici? Seriez-vous prêts à sacrifier chaque fois un peu plus de votre liberté pour gagner un peu de santé, un peu de bonheur? Jusqu’où seriez-vous prêt à aller?

La réglementation ne devrait pas être l’option par défaut de nos sociétés

Les nouveaux puritains qui savent mieux que vous et moi ce qui est bon pour nous proposent en conséquence des politiques publiques fondées sur une posture morale précise. Ils tentent de convaincre le gouvernement qu’il vaut mieux sacrifier un peu de la liberté de choix des citoyens au nom de la santé publique. C’est le cas avec l’interdiction des mascottes pour enfant comme de l’emballage neutre des produits du tabac, de l’alcool, des boissons sucrées, etc.

Il s’agit à mon avis d’un danger pour deux raisons. D’une part, on mise bien souvent sur des politiques dont l’efficacité est encore incertaine. Par exemple, d’après les meilleures études sur le sujet, l’emballage neutre des produits du tabac aurait un effet sur la réduction des taux de tabagisme. On peut raisonnablement penser qu’il y a existence de cet effet, et même qu’il va dans la bonne direction, soit la diminution du tabagisme. Par contre, on n’en connaît pas encore l’ampleur.

La raison de cette ignorance est bien simple : l’Australie est le seul pays au monde où l’emballage neutre s’applique, depuis 2012. Les études sur les effets de cette politique se concentrent donc sur les données provenant de ce pays. Or, puisque l’emballage neutre a été introduit en même temps qu’on changeait et qu’on agrandissait les avertissements de santé avec images explicites, les experts ne peuvent pas distinguer les effets de chacune de ces deux mesures indépendamment de l’autre. Ce n’est techniquement pas possible.

Avec les expériences en Grande-Bretagne et en France, où l’emballage neutre a été adopté en mai dernier, on disposera éventuellement de nouvelles données plus éclairantes. En ce moment, toutefois, personne n’a la réponse à la question toute simple : quel est l’effet de l’emballage neutre? Une question plutôt essentielle, vous en conviendrez, si on veut dépasser le stade des bonnes intentions et s’éviter des conséquences inattendues plus dramatiques.

Mon inquiétude, c’est que le gouvernement s’apprête à adopter une nouvelle contrainte réglementaire sans fonder son analyse dans des données probantes.

D’autre part, le plus grand danger est celui qu’on fait peser sur la liberté dans nos sociétés. À mon avis, nous vivons encore dans une société libre où tout devrait être permis à moins qu’il y ait une très bonne raison de l’interdire. Il faut se méfier de cet élan puritain qui pousse nos gouvernements à régenter nos vies et à brimer notre liberté parce que certains n’approuvent pas nos « choix de vie ». Si les données ne sont pas encore probantes, comme c’est le cas pour l’emballage neutre des produits du tabac, le cours normal des choses devrait être de s’abstenir de légiférer, pas l’inverse.

Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l'Institut économique de Montréal et auteur de « The State of Tobacco Policy in Canada: The Case of Plain Packaging ». Il signe ce texte à titre personnel.

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