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Textes d'opinion

On ne doit pas rendre illégal le travail des gens à faible productivité

Des gens probablement bien intentionnés proposent depuis quelque temps d'augmenter le salaire minimum ‎au Québec à 15 $ l'heure.

Il faut dire qu'à ‎10,75 $ l'heure de salaire minimum, pour les travailleurs sans pourboire, cela donne à peine 430 $ brut par semaine pour vivre. Même à supposer que le travailleur puisse faire 40 heures, ce qui n'est pas toujours le cas, cela donne quelque 22 000 $ de revenu annuel.

Bref, une misère.

Durant l'année 1997, alors que je redémarrais l'IEDM (qui avait été dormant et inopérant depuis plusieurs années), j'ai dû vivre avec moins que cela. Je doute que je puisse refaire la même chose aujourd'hui, et ne souhaiterais à personne de passer toute une vie à un tel niveau de revenu.

Mais une fois les bons sentiments passés, il faut être capable d'analyser cette proposition froidement et objectivement, et d'en discerner les effets pervers probables.

Une première observation s'impose: il y a des gens qui, malgré toute leur bonne volonté, ont une productivité faible, et notamment inférieure à 15$ l'heure. C'est-à-dire que la valeur qu'ils peuvent créer pour un employeur ne vaut pas ce montant. Pour eux, l'établissement d'un salaire minimum élevé équivaut pratiquement à leur interdire la possibilité de travailler, et donc d'acquérir l'expérience requise qui leur permettrait justement d'améliorer leur productivité.

Qui plus est, pour plusieurs petits commerçants, si on déduit tous leurs frais directs et indirects, et que l'on calcule ensuite leurs propres revenus, en tenant compte du nombre d'heures qu'ils travaillent réellement, un tel niveau de salaire minimum viendrait carrément les précariser eux-mêmes. Ils devront soit fermer les portes de leur commerce, soit augmenter encore plus le nombre d'heures qu'eux et/ou les membres de leur famille travaillent, soit encore augmenter leurs prix significativement, à supposer que leur clientèle puisse par ailleurs le tolérer. Par exemple, la cliente de chez Valentine est probablement plus susceptible de réduire sa consommation si les prix augmentent significativement que la clientèle d'un resto plus haut de gamme. 

Dans le cas d'entreprises manufacturières, cela augmentera leurs incitatifs à s'automatiser, et donc à substituer du travail par du capital. Ceci n'est pas en soi une mauvaise chose si c'est le fruit d'un processus naturel. Mais il demeure que cela n'aiderait en rien les travailleurs visés. Même pour les entreprises dont les travailleurs n'œuvrent pas au salaire minimum, une hausse du salaire minimum aura un effet d'inflation assuré sur leur structure salariale, surtout s'ils ont des travailleurs qui gagnent déjà un taux horaire entre ‎15$ et 20$…

Bref, la position des syndicats québécois dans ce dossier (la FTQ, entre autres, milite aussi pour un salaire minimum à 15 $) n'est probablement pas tant altruiste ou désintéressée que cela. Car une hausse des revenus des salariés syndiqués dans cette fourchette signifie aussi une hausse de leurs revenus de cotisations syndicales, mais, surtout, diminue la compétitivité des travailleurs non syndiqués en haussant artificiellement le coût de ces derniers par voie législative.

Soyons clairs: chercher à promouvoir ses propres intérêts n'est pas une mauvaise chose, bien au contraire, quand cela se fait par ailleurs sans violer les droits de propriété et les libertés d'autrui. Mais c'est quand même agaçant quand des gens font cela tout en s'enrobant par ailleurs d'une rhétorique sirupeuse et altruiste.

Enfin, un salaire minimum élevé est un incitatif de plus qui mènera assurément à encore plus de décrochage scolaire, notamment chez les jeunes hommes québécois issus de milieux modestes et par ailleurs déjà trop tentés par cette voix.

Mais alors, que faire?

Tout d'abord, s'assurer que les travailleurs à faible revenu ne se font soutirer aucun revenu, directement ou indirectement, par l'État. C'est déjà dur de travailler en gagnant peu, mais c'est un vrai scandale quand, en plus, on se fait taxer ses maigres gains.

Deuxièmement, enlever le plus d'obstacles législatifs possible (permis, licence, droits, zonage, etc.) qui empêchent la création et le développement des travailleurs autonomes et petits entrepreneurs en démarrage. Bref, favoriser au maximum la mobilité sociale. Par exemple, à Paris, j'ai découvert les bienfaits de Uber (que je n'avais jamais utilisé auparavant). Or, la quasi-totalité des chauffeurs que j'ai rencontrés – et j'ai engagé la conversation avec tous – étaient de jeunes hommes arabes pour qui le marché de l'emploi est peu accueillant, et pour qui Uber constituait un complément de revenu essentiel. Il faut justement encourager ce genre de flexibilité plutôt que de tenter de l'empêcher par divers obstacles législatifs. 

Troisièmement, on pourrait offrir, de façon ciblée, un complément de revenu aux travailleurs à faible salaire, ceci afin que leur revenu total atteigne un niveau jugé acceptable. Différentes formules et programmes sont possibles. Plusieurs existent déjà. Mon option préférée est «l'impôt négatif», par lequel non seulement le travailleur à revenu modeste ne paye pas d'impôt, mais en plus, il se voit octroyer un certain montant par l'État, afin que, au final, son revenu global atteigne un niveau jugé acceptable par rapport à différents critères, dont le coût de la vie.

Mais ce n'est pas l'objet de ce blogue d'analyser les avantages et inconvénients d'une telle option, par rapport à, par exemple, l'instauration d'un revenu minimum garanti. Je tiens simplement à mentionner que de telles options existent.

Ce qu'il faut retenir, c'est que plus on s'éloignera d'un modèle économique où le marché du travail est flexible et fondé sur une interaction volontaire entre employeurs et employés qui tourne autour de l'offre et la demande, plus on créera des troubles sociaux à long terme, dont du chômage structurel et chronique.

Rendre illégal le travail des gens à faible productivité, en haussant arbitrairement le salaire minimum à 15 $, ne fera qu'empirer le sort d'un grand nombre d'entre eux.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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