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Textes d'opinion

Non, le Québec n’est pas une économie de succursales!

Au cours des derniers mois au Québec, il a beaucoup été question de fuite de sièges sociaux, de vente et de rachats d’entreprises. Un débat qui a soulevé les passions autant dans les médias qu’à l’Assemblée nationale.

En effet, la vente de l’entreprise québécoise Rona, symbole du Québec inc., au géant américain Lowe’s a reçu toute l’attention médiatique, et ce, encore aujourd’hui. 

Par contre, très peu d’écho concernant la transaction de la compagnie québécoise MTY propriétaire de plusieurs chaînes canadiennes de restaurants. MTY vient d’acquérir, il y a trois semaines, l’entreprise Kahala Brands, une compagnie dont le siège social est situé en Arizona et qui possède 18 chaînes de restaurants dans 25 pays.

Même s’il s’agit d’une très bonne nouvelle pour le Québec, l’impact de cette annonce a été somme toute minime. Pourtant, les deux transactions, celles de MTY et Rona, sont intimement liées.

Comment demander l’ouverture des frontières des autres pays à nos investissements, pour qu’en profitent nos MTY, nos Couche-Tard et nos Saputo, sans que ce soit réciproque? Qu’on ait des entreprises d’ici, qui sont des leaders internationaux présents dans plusieurs pays, suppose qu’on accepte que parfois nos entreprises soient rachetées par des entreprises étrangères.

On peut bien avoir un pincement au cœur quand une de nos entreprises est rachetée par une entreprise étrangère. Mais il faut surtout saisir l’opportunité pour se demander comment on peut créer les conditions favorables à ce que de nouveaux St-Hubert, RONA et Alcan apparaissent.

La meilleure façon d’encourager l’émergence de nouvelles entreprises fortes, capables d’acquérir des entreprises étrangères, favoriser l’établissement de sièges sociaux au Québec et retenir aussi celles qui sont déjà ici, est d’adopter des règles fiscales favorables aux entreprises. Ça veut dire des impôts faibles, mais aussi des impôts neutres.

La raison pour laquelle les règles de fiscalité doivent être neutres, c’est pour ne pas influencer les décisions. Si nos taxes influencent un certain type de transaction au détriment d’une autre, ça veut dire que les transactions se feront pour des raisons fiscales plutôt qu’économiques. La fiscalité canadienne n’est malheureusement pas toujours neutre. Récemment Serge Godin, le propriétaire du groupe CGI, donnait un exemple. Il dénonçait le fait que notre fiscalité encourage la vente de son entreprise plutôt que de la laisser à ses enfants. C’est donc dire que nos règles encouragent activement le fait de vendre les entreprises québécoises plutôt que de les garder « dans la famille ». Encourager la vente au détriment de l’héritage, c’est créer artificiellement une occasion de plus pour que des entreprises d’ici partent à l’étranger.

On dit parfois que le Québec manque de repreneurs d’entreprises. C’est vrai, mais il faut faire certaines nuances. La Presse dénonçait dans un article le chiffre de 40 000 entreprises menacées par le manque de repreneurs, une donnée parfois avancée pour décrire l’urgence de la situation. D’autres sources parlent de 10 000 entreprises qui seraient dans cette situation. Bien entendu, ces chiffres sont sensationnels et ce ne sont pas toutes les entreprises qui ont vertu à être reprises. C’est par exemple le cas des petites entreprises où certaines compétences du propriétaire sont fondamentales aux opérations, comme dans un petit salon de coiffure. Je ne parle pas ici de ces entreprises, mais des entreprises relativement importantes, dont le nombre est sans aucun doute bien inférieur à 10 000 et dont la valeur est tellement grande qu’elles doivent être reprises par une autre compagnie. C’est ce genre d’entreprise qui est susceptible d’être acquise par un groupe étranger, entre autre par manque de relève locale.

D’un point de vue économique, il n’y a pas de raison de s’opposer à ce que des entreprises étrangères acquièrent des entreprises québécoises et canadiennes. Il s’agit de l’heureuse contrepartie au fait que des entreprises comme MTY acquièrent des entreprises étrangères. Et, surtout, c’est une décision qui appartient au propriétaire de l’entreprise et qui ne regarde que lui. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’il faille l’encourager activement par notre système fiscal.

Il est possible de faire quelque chose pour contrer la diminution graduelle du nombre de sièges sociaux au Québec depuis 30 ans. On peut créer les conditions économiques et fiscales pour que les entreprises conservent leurs sièges sociaux au Québec de leur plein gré, ou même qu’elles viennent s’y installer. Une chose est sûre, pour que le Québec acquière ou conserve des sièges sociaux, il faut qu’il soit accueillant avec eux.

Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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