Le Point – Moins de réglementation et plus de concurrence pour enrayer la corruption
Le Québec et le reste du Canada ont fait face à plusieurs scandales de corruption ces dernières années. C’est un problème qui touche tous les pays et toutes les sociétés, mais certaines régions y sont confrontées de façon beaucoup plus importante que d’autres. L’analyse économique a plusieurs choses à nous apprendre à propos de ces disparités et des principes économiques qui peuvent enrayer ce fléau.
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Le Point – Moins de réglementation et plus de concurrence pour enrayer la corruption
Le Québec et le reste du Canada ont fait face à plusieurs scandales de corruption ces dernières années. C’est un problème qui touche tous les pays et toutes les sociétés, mais certaines régions y sont confrontées de façon beaucoup plus importante que d’autres. L’analyse économique a plusieurs choses à nous apprendre à propos de ces disparités et des principes économiques qui peuvent enrayer ce fléau.
Analyse économique de la corruption
La recherche économique démontre que la taille de l’État va de pair avec la corruption. En particulier, la réglementation économique est liée à la corruption(1). La relation va dans les deux sens : la réglementation de l’économie donne lieu à la corruption et la corruption peut inciter un gouvernement à adopter une réglementation qui favorise une entreprise ou un secteur aux dépens des autres, ou aux dépens des citoyens(2).
Par sa nature même, la réglementation empêche les entreprises et les individus de faire des choix qu’ils auraient faits en l’absence de réglementation. Cela crée des incitations à influencer les décisions de l’État et de ses représentants pour obtenir des avantages et privilèges. L’intervention de l’État peut avantager une entreprise en lui octroyant un contrat ou en lui faisant éviter des coûts, par exemple en tolérant qu’elle contourne la réglementation(3).
Dans l’analyse économique de la corruption, les avantages et privilèges qui découlent de l’intervention économique de l’État sont donc échangés contre des gains. Ceux-ci sont d’ordre financier lorsqu’une entreprise offre un pot-de-vin à un représentant de l’État, mais ils peuvent aussi être d’une autre nature, comme un statut élevé au sein d’un parti politique, lorsqu’un politicien corrompu n’empoche pas directement le pot-de-vin mais le verse plutôt à son parti et consolide ainsi son rôle et son influence politique.
La Figure 1 montre que l’indice de perception de la corruption de Transparency International est fortement corrélé avec l’indice Economic Freedom of the World publié par l’Institut Fraser, qui mesure la liberté économique dans le monde. Cela signifie que lorsque la taille et la portée de l’État dans l’économie sont moins importantes, il y a moins de corruption.
Les pays scandinaves sont parfois cités comme contre-exemples. Ce sont des pays qui ont la réputation d’avoir des États de taille importante, mais peu de corruption. Toutefois, la taille de l’État « régulateur », qui y est relativement petite, explique la particularité scandinave(4). Bien que les impôts soient élevés et que les dépenses de l’État représentent une part considérable de leur économie, les entreprises ont relativement peu de formalités administratives à suivre, d’autorisations à demander et de règlements à respecter. Lorsque l’analyse est réalisée à partir de cette mesure, ce contre-exemple n’est en plus un(5).
Corruption et concurrence
La corruption n’est donc pas une fatalité. En diminuant la taille de l’État régulateur, on diminue les opportunités de corruption ainsi que la réglementation résultant de la corruption. Une autre politique efficace pour mitiger la corruption est d’avoir recours à une concurrence accrue.
Par exemple, dans le cas des marchés publics, une plus grande concurrence entre les entreprises soumissionnaires est un des remèdes à la corruption recommandés par l’OCDE(6). En effet, moins nombreux sont les concurrents à se disputer un marché public et plus il est facile pour le donneur d’ordre d’en écarter certains, ou pour les soumissionnaires de se mettre d’accord pour truquer l’appel d’offres(7). En abrogeant les règles qui limitent le nombre de participants, comme les appels d’offres spécifiant une technologie ou une certification particulières, et en libéralisant le marché par des accords de libre-échange comme celui en cours de ratification entre le Canada et l’Union européenne(8), on augmente le nombre de soumissionnaires potentiels et le nombre de personnes qui surveillent de près les résultats.
La concurrence ne concerne pas seulement les entreprises. Les représentants de l’État peuvent aussi être soumis à une concurrence vertueuse. En effet, la corruption est possible lorsqu’un seul représentant de l’État, ou un seul organisme, peut offrir une autorisation ou un permis, une situation comparable à celle d’un monopole. Si plusieurs organismes publics ont la possibilité d’offrir la même autorisation et si les usagers ont la possibilité d’aller voir celui de leur choix, la corruption devient beaucoup plus difficile puisque les représentants de l’État corrompus sont alors mis en concurrence avec ceux qui sont intègres(9).
Cette solution est parfois employée pour réduire la corruption dans les services policiers. Si les criminels doivent soudoyer de multiples services de police, ayant chacun juridiction sur leurs activités criminelles, la taille des pots-de-vin peut, à certaines conditions, réduire progressivement jusqu’à disparaître complètement(10).
Conclusion
L’analyse économique de la corruption permet de comprendre les incitations qui mènent à la corruption et les politiques qui peuvent la combattre. La taille de l’État et l’étendue de sa réglementation, ainsi que la concurrence, ont un effet direct sur celle-ci. Comme le disait l’historien et sénateur romain Tacite, « plus l’État est corrompu, plus il y a de lois ».
Dans le cas du Québec, les épisodes récents de corruption ont mené à la Commission Charbonneau, qui a suggéré 60 mesures pour enrayer et prévenir le problème de la corruption dans l’attribution des marchés publics. Parmi ces 60 recommandations, seulement deux s’intéressent à la question de la concurrence(11). Ces deux recommandations sont des solutions efficaces, validées par l’analyse économique de la corruption. Toutefois, bien que prises individuellement toutes les autres recommandations puissent contribuer à réduire la corruption, une large portion d’entre elles finiraient par augmenter la taille de l’État régulateur, ce qui pourrait avoir l’effet contraire.
Ce Point a été préparé par Mathieu Bédard, économiste à l’Institut économique de Montréal. Il est titulaire d’un doctorat en sciences économiques d’Aix-Marseille Université et d’une maîtrise en analyse économique des institutions de l’Université Paul Cézanne. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de divers lois et règlements qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.
Références
1. Fond monétaire international, Corruption: Costs and Mitigating Strategies, Staff Discussion Note no 16/5, mai 2016.
2. Fred S. McChesney, « Rent Extraction and Rent Creation in the Economic Theory of Regulation », The Journal of Legal Studies, vol. 16, no 1, janvier 1987, p. 101-118; Joseph E. Stiglitz, The Price of Inequality: How Today’s Divided Society Endangers Our Future, W.W. Norton, 2012, p. 59; George J. Stigler, « The Theory of Economic Regulation », The Bell Journal of Economics and Management Science, vol. 2, no 1, avril 1971, p. 3-21.
3. Un exemple canadien de contournement de la réglementation pourrait être le « Tunagate » de 1985, lorsque le ministre canadien des Pêches et Océans avait autorisé la commercialisation de thon périmé. CBC digital Archives, « The tainted Star-Kist tuna scandal ».
4. Par exemple, lorsqu’on mesure la taille de l’État par l’étendue de la réglementation (composante 5, « Regulation ») plutôt que par les finances publiques (composante 1, « Size of Government »), le Danemark passe de la 154e position à la 17e, la Finlande de la 148e à la 62e, l’Islande de la 131e à la 44e, la Norvège de la 132e à la 70e et la Suède de la 157e à la 30e. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, Economic Freedom of the World: 2015 Annual Report, Institut Fraser, 2015, p. 11-15.
5. Randall G. Holcombe et Christopher J. Boudreaux, « Regulation and Corruption », Public Choice, vol. 164, no 1, 2015, p. 75-85.
6. L’OCDE a consacré deux forums mondiaux sur la concurrence à la lutte contre la corruption.
7. George R.G. Clarke et Lixin Colin Xu, « Privatization, Competition, and Corruption: How Characteristics of Bribe Takers and Payers Affect Bribes to Utilities », Journal of Public Economics, vol. 88, no 9-10, 2004, p. 2067-2097.
8. Voir Les Perraux, « EU trade deal could help clean up Quebec corruption, PQ finance minister says », The Globe and Mail, 18 octobre 2013.
9. Andrei Shleifer et Robert W. Vishny, « Corruption », The Quarterly Journal of Economics, vol. 108, no 3, août 1993, p. 599-617; Susan Rose-Ackerman, « The Economics of Corruption », Journal of Public Economics, vol. 4, no 2, février 1975, p. 187-203.
10. Susan Rose-Ackerman, Corruption and Government: Causes, Consequences, and Reform, Cambridge University Press, 1999, p. 51; Susan Rose-Ackerman, Corruption: A Study in Political Economy, Academic Press, 1978, p. 159-163.
11. Il s’agit des recommandations 4 et 5, France Charbonneau et Renaud Lachance, Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Tome 3, novembre 2015, p. 101-104.