La crise au Venezuela est le résultat de politiques publiques désastreuses
Le Venezuela fait actuellement face à une crise humanitaire très grave. Le pays manque de biens de base, de nourriture, de médicaments. Guy Taillefer dans Le Devoir croit que cette crise est principalement due à la « montée en force de la droite politique » qui est responsable d'une « obstruction viscérale de la part des élites politiques et économiques traditionnelles ».
Monsieur Taillefer poursuit en écrivant que « si, par miracle, ces élites avaient accepté un tant soit peu d'atténuer leurs objections, la gauche aurait été autorisée à gouverner avec plus de cohérence et, dans la durée, de façon plus structurante ».
L'échec du chavisme serait donc dû au fait qu'on ne l'ait pas laissé aller assez loin. La vérité est que l'échec du chavisme est la conséquence prévisible de politiques publiques désastreuses, qu'une compréhension même sommaire de l'analyse économique aurait pu aisément prédire.
Alors que le Venezuela est le pays avec les plus grandes réserves de pétrole au monde, il est au sommet de l'indice de la misère économique de Bloomberg pour la deuxième année consécutive, avec une immense longueur d'avance sur les 62 autres pays industrialisés représentés au classement. L'inflation, qui atteindra 500 % cette année et 1 600 % en 2017 selon le FMI, semble suivre la voie qu'a suivie le Zimbabwe il y a 15 ans, avec une crise économique semblable.
Il ne s'agit pas que de chiffres. Les enfants meurent dans les hôpitaux, faute de médicaments, de nourriture, et d'électricité pour faire fonctionner le matériel médical. Des émeutes de la faim ont eu lieu dans plusieurs villes, alors que le maire d'un arrondissement de Caracas annonçait que la population chassait maintenant les chiens, chats et pigeons dans les rues pour se nourrir et que des militaires s'étaient fait prendre à piller des fermes pour s'alimenter.
Les pénuries de biens de base étaient prévisibles et n'ont rien à voir avec l'opposition politique ou économique au chavisme, ou même avec l'effondrement du cours du pétrole. Les pénuries ont commencé en 2014, alors que le prix du pétrole était toujours à 100 $ le baril. Elles sont le résultat direct des politiques économiques adoptées sous le chavisme.
Un des éléments essentiels de n'importe quel cours d'économie 101 est l'effet des contrôles de prix. Si un prix maximum est instauré et que ce prix maximum est trop faible, les tablettes des magasins se videront rapidement. Il y aura pénurie. Chavez et son successeur Maduro ont appliqué des contrôles de prix à de plus en plus de biens: la nourriture, les médicaments, les soins de santé, les couches et le papier de toilette. Soit la liste des biens manquants actuellement aux Vénézuéliens.
Il est difficile de comprendre comment, au 21e siècle, un bien comme le papier de toilette puisse venir à manquer. Il est encore plus difficile de comprendre comment l'absence d'un bien aussi banal et inintéressant puisse contribuer à pousser un pays vers la ruine et les émeutes.
Le magazine de politique étrangère The Atlantic explique la situation. Les accords des syndicats avec les entreprises obligent les employeurs à fournir du papier hygiénique. En cas de non-respect, et dans le contexte actuel, les travailleurs pourraient déclencher une grève prolongée, ce qui risquerait de provoquer la nationalisation de l'entreprise par le gouvernement. Le papier de toilette étant presque impossible à trouver à cause des contrôles de prix, les entreprises doivent s'alimenter auprès de contrebandiers, qui livrent de grandes quantités pour que le risque en vaille la peine.
Dans le cas du chef d'entreprise suivi par le journaliste de The Atlantic, une fois le papier de toilette de contrebande livré en secret et à prix d'or, la police est aussitôt arrivée pour le saisir. Le chef de l'entreprise et trois de ses cadres font depuis face à des poursuites pénales et des peines d'emprisonnement. Le gouvernement s'est alors vanté d'avoir ainsi démantelé une vaste opération d'accaparement économique, faisant partie de la guérilla économique pilotée par les États-Unis. Cette histoire complètement abracadabrante est emblématique de l'« obstruction viscérale » des « élites économiques traditionnelles » fomentée par Washington que dénoncent les supporters du régime.
En filigrane, dans la façon dont certains intellectuels rapportent les événements du Venezuela, on peut entrevoir la minimisation et le déni de l'échec du socialisme vénézuélien. On prépare le terrain pour pouvoir dire que la raison de l'échec du socialisme, c'est qu'il n'a pas été assez pur et profond. De la même façon, il est courant aujourd'hui de prétendre que le communisme fut une perversion de la vision de Marx. Cette affirmation, aussi banale puisse-t-elle nous paraitre, ne se retrouve toutefois pas chez les écrits des soviétologues. Au contraire, selon ces derniers, l'influence profonde de Marx sur la théorie et la pratique communistes est facile à déceler.
La crise au Venezuela n'est pas à prendre à la légère. Pourtant, elle était prévisible vu les politiques publiques catastrophiques qui ont été adoptées. Ses effets pervers sont bien réels et explicables par l'analyse économique sans avoir recours à une conspiration des élites politiques ou économiques, ou d'une puissance étrangère au Venezuela. Le « socialisme du 21e siècle » de Chavez et Maduro en est responsable.
Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.