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Textes d'opinion

La vie en colocation et le salaire minimum

Le salaire minimum a fait l’objet de beaucoup d’attention ces derniers jours. Des syndicats réclament une hausse à 15$ de l’heure comme en Californie, des politiciens de gauche trouvent que c’est une bonne idée et l’IRIS parle même de 15,10$ de l’heure.

À la lecture de la dernière étude de l’IRIS, on réalise cependant qu’elle n’utilise pas les seuils de faibles revenus ou la mesure du panier de consommation pour faire leurs calculs. Les auteurs proposent plutôt un « salaire viable » plus élevé que les critères largement répandus pour mesurer la pauvreté en posant de nombreuses hypothèses. Ces derniers précisent ainsi que la semaine de travail est de 37,5 heures, qu’un couple sera composé de deux travailleurs au salaire minimum, que s’ils ont deux enfants, ça leur prend une voiture s’ils vivent à Montréal et même deux s’ils vivent à Saguenay. Que la personne seule doit avoir un trois et demi (ou un quatre et demi, ce n’est pas clair). Qu’on doit pouvoir aller au restaurant. Bref, on doit gagner beaucoup d’argent.

Après toutes ces hypothèses, on peut conclure si ça nous chante que tout le monde devrait travailler pour 15,10$ de l’heure minimum. Ou alors, on tire plus sobrement les conclusions des différentes situations explorées. Dans ce cas, on constate qu’en travaillant au salaire minimum :

  • On ne peut pas vivre seul à Montréal, ça prend un coloc;
  • Si on veut de l’argent pour des sorties, 37,5 heures n’est probablement pas assez et il faudra travailler un peu plus, comme bien des gens;
  • Un couple avec deux enfants devra prendre le transport en commun plutôt que d’avoir une voiture, et prendra Uber une fois de temps en temps (c’est moins cher que le taxi!);
  • En région, l’équation deux adultes = deux voitures ne tient pas si on en a pas les moyens, ou alors on propose ses services sur Uber quelques heures par semaine pour rentabiliser la deuxième auto;
  • Si on veut améliorer son sort, on est mieux de convaincre son employeur d’augmenter son salaire ou d’obtenir une promotion;
  • Qu’en somme, le travail au salaire minimum n’est pas le paradis et qu’il vaut peut-être mieux retourner aux études.

Bon, je peux comprendre que certains ne seraient pas enchantés de ces idées. Par contre, on peut certainement s’entendre pour dire qu’il n’y a rien là d’inconcevable. Moi-même, j’ai des colocs!

Le travailleur pauvre : un problème répandu?

Compter sur un travail au salaire minimum pour vivre exige de faire des choix comme ceux décrits plus haut. Mais est-ce si fréquent?

Dans ce débat, c’est le truc rhétorique le plus ancien qui soit que de faire imaginer au lecteur un travailleur dans une telle situation. Toutes les discussions des dernières semaines ou presque partent de cette fausse prémisse, puisque rares sont les jeunes, les étudiants ou les travailleurs à temps partiel qui comptent uniquement sur leurs revenus pour vivre.

En effet, 65 % des travailleurs au salaire minimum ont entre 15 et 24 ans, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (voir p. 227). Ils entrent sur le marché du travail, y font leurs premières armes, et monteront bien vite les échelons vers des emplois mieux rémunérés.

Entre 85 % et 95 % des travailleurs au salaire minimum ne vivent pas seuls, selon les données de Statistique Canada citées dans une récente étude de l’Institut Fraser (voir p. 6). Ils vivent chez leurs parents, en colocation ou avec un conjoint.

En somme, les « pauvres » qui travaillent au salaire minimum sont très peu nombreux. Par exemple, les familles monoparentales comptent pour 2,2 % seulement de tous les travailleurs au salaire minimum. Il s’agit de données canadiennes, mais en 2008, la proportion était aussi de 2,2 % au Québec . On parlait alors de 4400 personnes.

S’il s’agit ici de combattre la pauvreté, pourquoi ne pas appuyer financièrement ceux qui ne comptent que sur un emploi au salaire minimum et qui n’arrivent pas? On pense à la fiscalité avantageuse pour les familles ainsi qu’à la prime au travail, octroyée par le gouvernement du Québec pour permettre aux petits revenus d’être nettement plus avantageux que l’aide sociale.

L’étude de l’IRIS ne réclame cependant pas une hausse de la prime au travail. Pourtant, c’est la solution la plus efficace, la plus ciblée et la moins dispendieuse pour aider les pauvres.

Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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Lire le billet sur le site du Journal de Montréal.

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