Cliniques d’infirmières praticiennes – L’entêtement bureaucratique du ministre Barrette
La clinique sans médecin SABSA, à Québec, se démène pour sa survie. Sans subvention de l’État, elle pourrait fermer ses portes le 1er mai prochain. Alors que cette clinique dessert une population plus vulnérable que la moyenne, souvent sans médecin de famille, pourquoi le ministre de la Santé s’entête-t-il à lui refuser du financement ? Parce que la clinique SABSA ne fonctionne pas dans le cadre hyper-réglementé d’un groupe de médecine familiale.
L’approche de SABSA est bien différente. Il n’y a pas de médecin sur place, mais des professionnelles de la santé coordonnées par une infirmière praticienne. D’ailleurs, moins de 5 % des consultations nécessitent une référence vers un professionnel de la santé extérieur à la clinique, ce qui démontre que l’équipe en place répond aux besoins sans médecin omnipraticien sur place. En somme, ça marche, même si ce n’est pas dans les critères du ministère.
Tout le problème du réseau public de santé québécois se résume dans cette triste histoire, anecdotique certes, mais combien révélatrice des façons de faire d’une bureaucratie qui oublie son objectif premier de répondre aux besoins des patients.
Des échecs à répétition en première ligne
Malgré l’importance des sommes dévolues, l’accès aux soins de première ligne constitue toujours le talon d’Achille du système de santé québécois. Depuis les années 1970, avec la création des CLSC, puis encore dans les années 2000 avec les GMF, les solutions que le ministère tente d’implanter sont toujours imposées d’en haut et échouent immanquablement.
Présentement, 293 CLSC, environ 250 GMF et plus de 800 cabinets privés constituent principalement les services de première ligne, en plus des 118 hôpitaux. Malgré ces ressources, le quart de la population québécoise n’a pas de médecin de famille régulier, contre 8,3 % en Ontario. Parmi les médecins de famille, une proportion de seulement 13 % déclare donner un rendez-vous le jour même ou le jour suivant à la majorité de leurs patients. En Ontario, c’est 37 % qui y parviennent. Cette désorganisation entraîne des conséquences. Ainsi, 21 017 hospitalisations auraient pu être évitées par un meilleur accès aux soins de première ligne, de même que des milliers de décès.
Les infirmières praticiennes peuvent s’occuper à bas coûts des cas d’amygdalites, d’otites ou de sinusites, prescrire des antibiotiques pour les affections courantes, prescrire la pilule anticonceptionnelle ou faire des points de suture, par exemple. Leur capacité de poser des diagnostics simples et de prescrire des médicaments, auparavant l’apanage des médecins, leur permet d’offrir un meilleur accès à des soins de base.
Les cliniques dirigées par les infirmières praticiennes constituent une solution originale, qui a émergé spontanément en répondant à des besoins bien réels. C’est le cas de la clinique SABSA, où les patients ne paient pas les soins reçus grâce à une subvention de la Fédération interprofessionnelle de la Santé du Québec (FIQ). C’est aussi le cas pour plusieurs cliniques où les coûts sont très raisonnables. Il faut dire qu’une infirmière praticienne coûte environ trois fois moins cher qu’un médecin omnipraticien. D’ailleurs, la demande semble au rendez-vous puisque six projets privés ont vu le jour depuis un an.
Le public, le privé… ou le patient ?
Pour certains, le fait que des cliniques privées apparaissent est en soi une tare. C’est oublier que le secteur privé, c’est aussi une coopérative de solidarité en santé, comme la clinique SABSA. Surtout, c’est ignorer que, sans la flexibilité offerte par le secteur privé, l’expérience des cliniques dirigées par des infirmières praticiennes n’aurait même pas été tentée. Le secteur privé permet aux bonnes initiatives d’émerger justement parce que le ministère de la Santé ne peut pas bloquer aussi facilement les bonnes idées des entrepreneurs qui répondent aux besoins des patients.
Peut-être que, grâce au désir d’imiter le secteur entrepreneurial, le ministère de la Santé finira par percevoir que les solutions émergentes méritent d’avoir leur chance, après tant d’échecs des solutions uniformes et imposées d’en haut. Ce n’est pas inédit, puisque le gouvernement de l’Ontario a lui-même mis sur pied 25 cliniques dirigées par des infirmières praticiennes. Encore faut-il permettre à davantage d’infirmières de se spécialiser en soins de première ligne. L’Ontario en compte près de 2000, contre 225 au Québec, loin derrière.
Au-delà du clivage entre les tenants du public et du privé, l’immense majorité des Québécois sont en faveur d’une approche centrée sur le patient. Il serait temps de faire davantage confiance aux professionnels de la santé qui oeuvrent sur la première ligne et qui sont les plus aptes à imaginer et à mettre en oeuvre des solutions qui fonctionnent concrètement. Laissons-les entreprendre. Tant qu’un patient reçoit les soins dont il a besoin, par un professionnel compétent et reconnu, est-il vraiment important de contrôler chaque fois si ces soins sont reçus dans tel type d’établissement, par tel type de professionnel, selon tel formulaire du ministère de la Santé, dans telle plage horaire, etc. ?
Les patients peuvent faire eux-mêmes le choix du professionnel qu’ils souhaitent rencontrer bien mieux que les bureaucrates qui tentent d’imposer un modèle unique. Une approche libéralisée des soins de santé replacerait enfin le patient et ses besoins au coeur de notre système de santé.
Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l'Institut économique de Montréal. Alexandre Moreau, analyste en politiques publiques à l’IEDM. Ils sont les auteurs de « Cliniques de superinfirmières : une solution flexible pour un meilleur accès aux soins de santé ». Ils signent ce texte à titre personnel.
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