fbpx

Textes d'opinion

Moi, Isabelle, 57 ans, infirmière et retraitée

Vendredi, une entente est intervenue dans les négociations collectives du secteur public entre les négociateurs du gouvernement et les infirmières. Cette entente ne règle toutefois pas la question des salaires et des retraites, qui seront réglées séparément. Pour que tout le monde puisse comprendre ce dont il est question en matière de régime de retraite, voici l’histoire d’Isabelle, infirmière de profession, qui a pris sa retraite à 57 ans avec une pension de 50 893 $.

Isabelle a commencé à travailler comme préposée aux bénéficiaires à temps partiel, mais elle a aussi poursuivi ses études. Avec ses diplômes, Isabelle a pu obtenir des postes plus rémunérateurs au fil des ans. Chaque fois, elle a gravi les échelons salariaux. Au lieu de 33,86 $ de l’heure, ce que gagne une infirmière régulière à l’échelon le plus élevé, son salaire d’infirmière clinicienne est de 41,26 $ . En salaire annuel, Isabelle gagnait donc 80 457 $.

Ce fameux échelon le plus élevé, elle l’a atteint il y a pratiquement cinq ans. Comme ce sont les cinq dernières années qui sont prises en compte pour le calcul de la rente de retraite, ce sont des années très bien payées qui sont multipliées par 2 % pour chaque année d’ancienneté.

Avec 34 ans d’ancienneté, elle a pu prendre sa retraite le 30 novembre dernier, même si elle n’avait pas encore 60 ans. Dans le secteur public, on peut prendre sa retraite sans pénalité à 60 ans, voire même à 55 ans si on a accumulé 35 années de service. C’est le cas de son amie Denise, 55 ans, dont le parcours professionnel est similaire, mais qui avait commencé à travailler à 19 ans seulement. « En 1979, ce n’était pas si exceptionnel pour les jeunes filles », se rappelle-t-elle. La rente de Denise est donc de 56 132 $.

Comme Isabelle n’a que 34 ans de service, elle a pris sa retraite avec une année d’anticipation. Cela la pénalise de 4 %, soit 2121 $ par année. Mais pour s’éviter une année de travail de plus, elle s’est dit que le jeu en valait la chandelle.

En fait, Isabelle n’a pas encore atteint la fin de sa 34e année de service. Mais elle a pu devancer ses plans de retraite parce qu’elle a accumulé des congés de maladie qui sont transférables d’une année à l’autre. Pas 200 jours de congé de maladie, comme Mme Bonheur, seulement 89. « Cela m’a permis de prendre ma retraite dès le 30 novembre, tout en complétant mon année la plus payante jusqu’au 31 mars », explique-t-elle. « D’ici la fin de l’année, je vais donc recevoir mon plein salaire et recevoir ma rente à partir du 1er avril prochain ».

Elle a fait des efforts pour accumuler ces congés de maladies. « En les prenant dans ma dernière année, mes congés sont payés selon mon salaire actuel. Ils valent beaucoup plus cher que si je les avais pris il y a cinq ou dix ans », raisonne-t-elle.

Pendant ce temps, à la table de négociation…

Cette histoire, fictive, ressemble néanmoins à bien des cas réels. Dans le cadre des négociations dans le secteur public, le gouvernement a voulu négocier certaines clauses évoquées ici. Par exemple, on souhaitait calculer la rente de retraite sur les huit meilleures années, au lieu de cinq. Cette règle de calcul aurait mieux lié les prestations aux cotisations qui ont été versées par l’employée et l’employeur.

Dans le cas d’Isabelle, sa rente aurait diminué de 2291 $ annuellement, soit 4,3 % de moins. Dans l’ensemble du secteur public, ce sont des centaines de millions de dollars qui auraient été économisés. Mais le gouvernement semble avoir cédé sur cette disposition.

Pour la prise de retraite sans pénalité, le gouvernement voudrait relever à 62 ans l’âge minimal. Ceux qui veulent prendre leur retraite plus tôt pourraient encore le faire, mais seraient pénalisés de 4 % par année. L’espérance de vie a augmenté considérablement au cours des dernières décennies, et non seulement vit-on plus vieux, mais en meilleure santé! Il serait impensable de maintenir à jamais un âge aussi bas de prise de retraite sans pénalité.

Bien entendu, Isabelle mérite sa retraite. Son régime a été négocié et on ne peut revenir en arrière. Par contre, pour l’avenir, le gouvernement et les syndiqués doivent prendre en compte que tout ce qui améliore la rente de retraite d’Isabelle provient des impôts payés par les contribuables. Et eux aussi souhaitent épargner pour leurs vieux jours.

La vertu d’un exemple chiffré est peut-être de nous faire réaliser que les concessions demandées par le gouvernement à ses employés ne sont pas particulièrement extravagantes, tant pour le calcul de la rente sur 8 années que pour l’âge de la retraite!

Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

Lire le billet sur le site du Journal de Montréal

Back to top