Airbnb : doit-on faire la chasse aux petits revenus d’appoint?
Québec entend réglementer de façon musclée l'hébergement listé sur les sites tels qu'Airbnb. Entre autres mesures, si la nouvelle loi est adoptée, les particuliers qui voudront arrondir leurs fins de mois devront payer une licence de 250 $ ainsi que la taxe d'hébergement. Le gouvernement du Québec, poussé par les associations d'hôteliers, veut lutter contre ces hébergeurs qui louent plusieurs chambres, voire plusieurs appartements ou maisons, disponibles une grande partie de l'année, et qui font ainsi concurrence aux hôtels. Toutefois, les définitions utilisées sont tellement floues, et larges, qu'elles puniront aussi les usagers cherchant un petit revenu d'appoint. Ces mesures sont-elles vraiment justifiées?
Cette nouvelle proposition de loi arrive voilée du prétexte que certains hébergeurs vont plus loin que simplement louer une chambre pendant quelques semaines et font plutôt du « commerce ». Il est très révélateur du malaise économique de notre société qu'on voit d'un mauvais œil que des gens puissent faire du commerce. Pourtant, les offres sur Airbnb qui arrivent à attirer des voyageurs rapportent en moyenne 582 $ par mois à leurs hôtes, un revenu d'appoint qui n'est ni substantiel ni suffisant pour bâtir un empire de l'hébergement au Québec.
La réglementation propose de détecter ces hôtes suspects qui osent faire du commerce en ayant plus d'une offre sur les sites de partage, et qui sont disponibles de façon plus qu'occasionnelle.
Dans les faits, ces règles s'appliqueraient à la quasi-totalité des usagers puisque qu'à Montréal c'est 82,7 % des offres qui sont disponibles plus de 90 jours par année. Pourtant, difficile de parler de commerce, les usagers avec plusieurs offres représentent moins d'un tiers des hôtes d'Airbnb. Ce n'est pas très surprenant. Après tout, lorsque vous avez une chambre d'invités à la maison, un sofa-lit, ou un matelas gonflable, vous l'avez toute l'année.
Croire qu'une disponibilité élevée serait révélatrice d'un vilain commerçant Internet, faisant concurrence aux gentils commerçants hôteliers, relève d'une incompréhension totale de ce qu'est l'économie de partage et de ces façons innovantes qu'ont les gens d'améliorer leur situation financière. On devrait célébrer leur ingéniosité, et leur esprit d'entreprise, plutôt que de chercher à les décourager.
En plus d'être taxés, les particuliers devront ouvrir leurs portes à des fonctionnaires pour se faire dire si leurs chambres méritent trois, quatre, ou cinq étoiles. Pourtant les sites de partage d'hébergement possèdent déjà des systèmes de notation des hébergements, basés sur la réputation, qui fonctionnent très bien. Tellement bien, en fait, que les sites de réservations d'hôtels les utilisent eux aussi.
Peu importe pour le gouvernement et le lobby hôtelier : les retraités, les familles monoparentales et les étudiants qui souhaitaient arrondir leurs fins de mois de façon honnête devront maintenant débourser 250 $ annuellement pour faire se déplacer un fonctionnaire jusqu'à chez eux pour une inspection, prendre une assurance responsabilité civile d'au moins 2 millions, et seront obligés d'afficher leur classification à la vue du public. Pour les particuliers contrevenant à l'une de ces règles, les amendes iront de 2500 à 25 000 $ par jour. Il n'est pas exagéré de parler d'intimidation réglementaire.
Les hôteliers, au lieu de se remettre en question face à la popularité de ces sites, veulent que l'État intervienne pour protéger leurs parts de marché contre des particuliers qui cherchent simplement un petit revenu supplémentaire.
Si l'on veut mettre tout le monde sur un pied d'égalité, il aurait mieux valu égaliser par le bas, en réduisant ou en retirant la taxe d'hébergement au lieu de l'élargir aux particuliers. En effet, la taxe d'hébergement est une taxe qui n'est même pas obligatoire. Les régions touristiques doivent demander l'autorisation à Québec pour pouvoir l'appliquer. Il aurait été beaucoup plus simple de tout simplement l'abolir pour tout le monde.
Ce qui manque dans ces débats, c'est le point de vue des voyageurs. Ce type d'hébergement démocratise le tourisme en le rendant accessible à des gens qui n'avaient pas les moyens de voyager par le passé. Moi-même, alors que j'étais étudiant, je n'aurais pas pu me permettre d'aller à des conférences universitaires à l'étranger si ce n'avait été des sites de partages d'appartement. Aussi, lorsque j'ai dû accepter un travail dans une autre ville alors que j'étais toujours doctorant, c'est grâce à ce genre de site que j'ai pu joindre les deux bouts.
Si le gouvernement entend mettre tous les types d'hébergement sur un pied d'égalité, ce doit être par la réduction des taxes et de la réglementation pour tous. Les taxes augmentent le prix des séjours au Québec, et la fonction de réglementation est aujourd'hui mieux accomplie par la technologie et les systèmes d'évaluation sur Internet. Au lieu de faire la chasse à ces gens qui se démènent pour améliorer leur condition financière à travers des initiatives comme le partage d'hébergement, on devrait les citer en exemple et arrêter de leur mettre des bâtons dans les roues.
Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.