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La pauvreté n’est pas une condition permanente au Canada

Le sort des personnes les plus pauvres de notre société est à juste titre un sujet de préoccupation constant dans les débats économiques. Des affirmations couramment entendues peuvent toutefois donner l'impression que les gens à faible revenu sont très nombreux au Canada et que pour la majorité d'entre eux, il s'agit d'une condition permanente. Cette perception est en fait contraire à la réalité. Comme nous le verrons, les résultats des recherches disponibles sont clairs : la mobilité sociale est élevée au Canada. La proportion de personnes à faible revenu qui demeurent dans cette situation est très faible et plus la période de temps choisie pour l'analyse est longue, plus cette proportion baisse.

Communiqué de presse : Seulement 1,5 % des Canadiens vivent de façon prolongée dans la pauvreté

La pauvreté n'est pas une condition permanente : Note économique sur la pauvreté et la mobilité sociale (mai 2001)
 

En lien avec cette publication

Très peu de Canadiens restent pauvres longtemps (Le Journal de Montréal, 23 septembre 2015) Entrevue avec Youcef Msaid (Radio-Canada International, 25 septembre 2015)  

La pauvreté n’est pas une condition permanente au Canada

Le sort des personnes les plus pauvres de notre société est à juste titre un sujet de préoccupation constant dans les débats économiques. Des affirmations couramment entendues peuvent toutefois donner l’impression que les gens à faible revenu sont très nombreux au Canada et que pour la majorité d’entre eux, il s’agit d’une condition permanente. Cette perception est en fait contraire à la réalité. Comme nous le verrons, les résultats des recherches disponibles sont clairs : la mobilité sociale est élevée au Canada. La proportion de personnes à faible revenu qui demeurent dans cette situation est très faible et plus la période de temps choisie pour l’analyse est longue, plus cette proportion baisse.

Le défi méthodologique

Les jugements sur la permanence de la pauvreté se basent souvent sur une illusion statistique. Pour prendre un cas extrême, dans une société où tous les individus âgés de vingt-cinq ans seraient pauvres mais tous ceux âgés de cinquante ans seraient riches, les données statistiques indiqueraient qu’il y a plus ou moins la même proportion de pauvres d’année en année. Cela pourrait laisser croire qu’une portion de la population vit dans la pauvreté en permanence. Dans les faits, ces pauvres seraient des personnes différentes d’une décennie à l’autre et aucun des membres de cette société ne serait pauvre de façon permanente.

On doit aussi considérer le fait qu’un faible revenu lorsqu’on est un jeune adulte ou à l’âge de la retraite n’implique pas nécessairement une privation des biens et services. Les gens ont généralement la possibilité de stabiliser leur niveau de consommation dans le temps au moyen d’emprunts et d’épargne, afin de pallier les fluctuations de revenu qui surviennent tout au long de leur vie(1).

On observe d’ailleurs que les gens ont davantage tendance à emprunter lorsqu’ils sont jeunes, pour financer des études ou l’achat d’une propriété par exemple, et à épargner au fur et à mesure que leur revenu augmente. L’épargne accumulée au fil des ans permet d’acquérir un patrimoine et de maintenir son niveau de vie à la retraite au moment où le revenu d’emploi chute(2).

Les données statistiques sur l’évolution de la distribution des revenus au sein de l’ensemble de la population nous en disent donc très peu sur la progression du niveau de vie des mêmes personnes à travers le temps que rend possible la mobilité sociale.

Il existe deux types de recherche sur la mobilité sociale qui permettent d’éclairer cette situation. Les études intergénérationnelles mesurent l’influence du revenu familial durant l’enfance d’un individu sur son revenu lorsqu’il est devenu adulte. Dans une société mobile, le revenu familial durant l’enfance a peu d’influence sur le revenu de quelqu’un plus tard dans sa vie. Les études intragénérationnelles, quant à elles, suivent l’évolution du revenu pour les mêmes individus sur une période de quelques années. Il y a mobilité sociale si la position relative des individus dans l’échelle des revenus change au fil du temps.

Les études intergénérationnelles

Idéalement, tout le monde devrait avoir l’opportunité de développer ses talents et de réussir sur le plan économique, sans égard à sa situation familiale initiale. Cet aspect de la mobilité sociale se mesure à l’aide d’un indicateur appelé l’élasticité intergénérationnelle du revenu. Dans une société où la mobilité est grande, on s’attend à observer une élasticité proche de 0, alors qu’à l’autre extrême, dans une société fondée sur les privilèges de caste par exemple, l’élasticité s’approcherait de 1.

La Figure 1 présente des estimations comparables de l’élasticité intergénérationnelle du revenu pour 16 pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles. Le Canada fait très bonne figure avec une élasticité de 0,2, se plaçant au quatrième rang de ces pays en termes de mobilité intergénérationnelle. Cela signifie que seulement 20 % de l’avantage (ou désavantage) économique d’une famille persiste à la génération suivante(3). Pour prendre un exemple concret, dans une famille ayant un revenu inférieur de 10 000 $ à la moyenne, les membres de la génération suivante peuvent s’attendre à un revenu inférieur à la moyenne de seulement 2000 $.

Les études intergénérationnelles couvrent une période de temps relativement longue et contrastent le sort des membres de mêmes familles d’une génération à l’autre. Qu’en est-il de la mobilité sociale sur une échelle temporelle plus courte? Les gens à faible revenu demeurent-ils dans cette situation pendant longtemps? Si oui, dans quelle proportion? Les études intragénérationnelles, qui suivent les mêmes individus tout au long d’une période de quelques années, permettent de répondre à ces questions.

Les études intragénérationnelles

Au Canada, il est possible de mesurer la mobilité intragénérationnelle grâce à une banque de données tenue par Statistique Canada. L’étude la plus récente s’appuyant sur ces données révèle que les Canadiens au bas de l’échelle n’y restent en général pas longtemps. En effet, seulement 13 % des personnes qui se trouvaient dans le premier quintile de revenus (le premier quintile comprend le cinquième de la population avec les revenus les plus bas) en 1990 se trouvaient toujours dans ce quintile en 2009, alors que 21 % avaient des revenus qui les plaçaient dans le deuxième quintile, 24 % dans le troisième et 21 % dans chacun des deux quintiles supérieurs(4).

La recherche révèle que le revenu annuel moyen de ceux qui se trouvaient dans le quintile le plus bas en 1990 est passé de 6000 $ à 44 100 $ en 2009 en dollars constants, une hausse moyenne de 635 %. Quant aux individus qui se trouvaient dans le quintile supérieur en 1990, ils ont connu une croissance du revenu de 23 % pour la même période, de 77 200 $ à 94 900 $ (voir Figure 2).

Les membres du quintile supérieur gagnaient en moyenne 13 fois le revenu de ceux du quintile inférieur en 1990, mais les deux groupes (composés des mêmes personnes) n’avaient plus qu’un écart de revenu moyen du simple au double en 2009(5).

Les pauvres aussi s’enrichissent

En se basant sur d’autres séries de données de Statistique Canada, il est possible de suivre l’évolution du revenu annuel des mêmes personnes pour des périodes de six ans. En comparant les résultats de 1993 à 2010, on s’aperçoit que non seulement la proportion de personnes à faible revenu(6) diminue, mais que ces personnes restent dans cette situation de moins en moins longtemps.

Ainsi, entre 1993 et 1998, 25 % des Canadiens se sont retrouvées pour au moins une année en situation de faible revenu. Cette proportion a toutefois chuté à 17 %, durant la période de 2005 à 2010(7), ce qui démontre une amélioration marquée de la situation économique des personnes au bas de l’échelle des revenus.

Ceux qui se retrouvent tout de même dans cette situation y restent par ailleurs moins longtemps qu’auparavant. Entre les périodes 1993-1998 et 2005-2010, la proportion des personnes qui y sont restées seulement une année a augmenté, de 32 à 43 %, alors que la proportion des personnes qui y sont restées six années a diminué, de 15 à 9 % (voir Figure 3).

Si l’on ramène ces chiffres à la population totale, on constate que le phénomène de la persistance du faible revenu sur plusieurs années ne touche qu’une faible minorité de Canadiens. En effet, seulement 3,6 % de l’ensemble des Canadiens sont restés sous le seuil de faible revenu pendant les six années de la période 1993-1998, et cette proportion a chuté à 1,5 % pour la période 2005-2010(8). Cette baisse de la persistance du faible revenu est elle-même une indication que la mobilité sociale s’accroît au fil du temps.

Conclusion

Ce qui compte plus que la position socioéconomique à un moment précis, c’est que ceux qui se retrouvent à l’extrémité inférieure de l’échelle des revenus soient peu susceptibles d’y séjourner longtemps, qu’ils ne soient pas prisonniers de leur statut, et que leurs enfants ne soient pas condamnés à y rester. C’est justement cette situation qui prévaut pour la presque totalité des Canadiens.

Les études montrent qu’il existe une grande mobilité sociale au Canada, à la fois d’une génération à l’autre et durant la vie des individus. Le mouvement des gens entre les strates de revenu est constant. Ceux qui étaient au bas de l’échelle il y a 20 ans ont connu, en moyenne, une croissance fulgurante de leur revenu.

Les affirmations alarmistes parfois entendues sur le fait que la pauvreté est une condition permanente pour une partie importante de la population, et que « les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent », sont donc sans fondement.

Cette Note économique a été préparée par Yanick Labrie, économiste à l’IEDM, et Youcef Msaid, chercheur associé à l’IEDM, avec la collaboration d’Alexandre Moreau, analyste en politiques publiques à l’IEDM.

Références

1. Voir notamment Patrick Villieu, Macroéconomie : consommation et épargne, troisième édition, La Découverte, 2008, p. 42 et 43; Milton Friedman, A Theory of the Consumption Function, Princeton University Press, 1957; Orazio P. Attanasio et Martin Browning, « Consumption over the Life Cycle and the Business Cycle », American Economic Review, vol. 85, no 5, 1995, p. 1118-1137.
2. Voir Dirk Krueger et Fabrizio Perri, « Does Income Inequality Lead to Consumption Inequality? Evidence and Theory », Review of Economic Studies, vol. 73, no 1, 2006, p. 163-193.
3. Miles Corak, « Inequality from Generation to Generation: the United States in Comparison », Graduate School of Public and International Affairs, University of Ottawa, 2012, p. 7.
4. Charles Lammam, Amela Karabegovic et Niels Veldhuis, « Measuring Income Mobility in Canada », Studies in Economic Prosperity, Institut Fraser, novembre 2012, p. 27.
5. Ibid., p. 30.
6. Le seuil de faible revenu après impôt est défini par Statistique Canada à partir des dépenses moyennes des ménages pour l’alimentation, le logement et l’habillement, soit 43 % du revenu disponible. Si un ménage consacre à ces biens une part de son revenu disponible supérieure de 20 points de pourcentage à cette moyenne (soit 63 %), il est considéré comme étant à faible revenu. Ce seuil est ajusté en fonction de la taille du ménage et du coût de la vie spécifique à la région où il habite. Statistique Canada, Les seuils de faible revenu, 2 mai 2013.
7. Statistique Canada, Tableau CANSIM 202-0807 : La persistance du faible revenu, selon certaines caractéristiques, aux 3 ans, 1993-2010.​
8. Pour chaque période, il faut multiplier la proportion des Canadiens ayant connu une situation de faible revenu pendant au moins une année par la proportion de ceux qui sont restés dans cette situation pendant les six années. Pour 1993-1998 : 24,6 % X 14,6 % = 3,6 %; pour 2005-2010 : 17,3 % X 8,7 % = 1,5 %. (Les chiffres ont été arrondis dans le texte.)

 

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