Les bananes de St-Jérôme en péril
Ce titre loufoque serait ma suggestion à un site satirique comme Le Navet, The Onion ou La Pravda pour un faux article qui irait un peu comme suit :
Hier, l’administration Coderre a annoncé son intention de taxer lourdement les bananes livrées par bateau au Port de Montréal, mais qui ne sont pas dévorées par des Montréalais. Cette taxe n’est que justice, selon le maire. « La livraison de bananes vers St-Jérôme entraîne une hausse de l’achalandage dans le Port de Montréal, ainsi qu’un cortège sans fin de camions de livraisons qui empruntent nos rues et nos boulevards. Il pourrait y avoir un déversement de bananes à tout moment sur l’île alors que Montréal ne profite pas des retombées économiques ou nutritives de ces bananes », explique le pétillant élu. Opinant vigoureusement du bonnet lors de cette annonce majeure, les maires de Laval et de Ste-Thérèse étaient venus appuyer la démarche de la métropole en songeant à l’imiter.
Un lecteur saurait tout de suite qu’il s’agit d’une satire, qu’une telle nouvelle est si invraisemblable qu’elle ne risque pas de se produire. À moins que… Remplacez les bananes par le pétrole et, tout à coup, l’exercice paraît moins saugrenu puisqu’on reconnaît le discours des premiers ministres du Québec et de l’Ontario au Conseil de la fédération.
Après tout, pourquoi le Québec verrait-il d’un bon œil un pipeline sur son territoire s’il n’y a pas d’emplois associés à son opération, si les retombées ne sont pas au rendez-vous, si ce pétrole est en partie dirigé vers les exportations? Le problème de ce raisonnement apparaît évident lorsqu’on pousse la logique jusqu’au ridicule, comme dans la satire ci-haut. Si chaque ville et village cherchait son intérêt dans tout ce qui transite par son territoire, le commerce et l’économie en souffrirait!
Qu’une chose soit claire : avoir des réserves sur les projets de pipelines se défend très bien. On peut exiger des contrôles, des procédures d’urgence, des garanties. Le gouvernement est légitime d’exiger que l’exploitation d’une infrastructure comme un pipeline respecte une réglementation sévère. Par contre, on ne peut penser que tout ce qui se fait au Québec doit toujours n’être qu’exclusivement pour nous et nous seuls. Il faut permettre que des bateaux empruntent la voie maritime du St-Laurent, que des trains et des camions se rendent de l’Ontario vers les provinces maritimes, et vice-versa.
Tenter d’arrêter le commerce qui transite par le Québec équivaut à une demande de rançon : donnez-nous des retombées économiques sinon… pas de projets! Le problème, c’est que demain, qui se permettra de jouer les brigands de grands chemins à nos dépens?
Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.