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Accroître le rôle du pharmacien pour améliorer l’accès aux soins

Alors que le réseau public de santé au Québec peine à répondre adéquatement aux besoins des patients, et que les coûts du système augmentent rapidement, accroître le rôle du pharmacien dans les services de première ligne constitue sans contredit un pas dans la bonne direction. Ces responsabilités accrues sont susceptibles d’améliorer l’accès aux soins pour les patients et de dégager des économies, ce dont le réseau public a grandement besoin.

Communiqué de presse : Rôle accru des pharmaciens pour réduire l’attente en santé : la réforme ne va pas assez loin
 

En lien avec cette publication

Pharmacists can help reduce health-care wait times, if we let them (Montreal Gazette, 1er mai 2015)   Débat avec Yanick Labrie (À la une, Canal ARGENT, 30 avril 2015)

Entrevue avec Yanick Labrie (Mario Dumont, LCN, 30 avril 2015)

Accroître le rôle du pharmacien pour améliorer l’accès aux soins

En décembre 2011, le gouvernement du Québec adoptait le projet de loi 41 visant à élargir le champ d’exercice des pharmaciens et ainsi améliorer l’accès aux soins pour les patients. Le changement législatif autorisait en principe les pharmaciens à offrir sept nouveaux services pharmaceutiques, dont la prolongation ou l’ajustement d’une ordonnance, la substitution d’un médicament en cas de rupture d’approvisionnement ou encore la prescription d’un médicament pour des affections mineures qui ne nécessitent pas de diagnostic. La réforme a cependant tardé à se mettre en œuvre et ces nouveaux actes ne sont toujours pas offerts, étant donné l’achoppement des négociations sur leur rémunération entre le gouvernement et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires(1).

Alors que le réseau public de santé au Québec peine à répondre adéquatement aux besoins des patients, et que les coûts du système augmentent rapidement, accroître le rôle du pharmacien dans les services de première ligne constitue sans contredit un pas dans la bonne direction. Ces responsabilités accrues sont susceptibles d’améliorer l’accès aux soins pour les patients et de dégager des économies, ce dont le réseau public a grandement besoin.

Un accès aux soins toujours aussi difficile

Les difficultés d’accès aux soins de première ligne constituent le talon d’Achille du système de santé au Québec. Malgré les ressources de plus en plus importantes qui y sont consacrées depuis vingt-cinq ans, les temps d’attente pour obtenir les soins requis demeurent toujours aussi préoccupants. En comparaison avec les autres provinces, c’est au Québec qu’on retrouve les délais les plus longs avant d’obtenir un rendez-vous avec un médecin de première ligne(2).

Selon les données d’enquête du Commissaire à la santé et au bien-être, à peine 22 % des médecins omnipraticiens rapportent que la plupart de leurs patients peuvent obtenir un rendez-vous le jour même ou le jour suivant lorsqu’ils en ont besoin. En guise de comparaison, 59 % des médecins ontariens admettent être de cet avis, ce qui est aussi le cas de plus de 75 % des médecins de plusieurs pays, notamment en Europe(3) (voir Figure 1). Cette situation est d’autant plus préoccupante que le Québec compte 15 % plus de médecins de famille en proportion de la population que l’Ontario(4).

En ce qui concerne l’accès à des services médicaux le soir ou les fins de semaine, la situation au Québec n’est guère plus encourageante. Plus de 60 % des patients québécois partagent l’opinion qu’il est « assez difficile » ou « très difficile » d’avoir accès à des soins médicaux en dehors des heures normales de bureau(5). À court d’options, plusieurs patients sont par conséquent contraints de se présenter aux urgences des hôpitaux. En 2012-2013, l’engorgement dans les urgences était à ce point préoccupant que l’attente s’élevait à 9 heures en moyenne, soit près de deux heures de plus qu’il y a une décennie(6).

Ces difficultés d’accès découlent en bonne partie de l’incapacité d’une importante frange de la population québécoise à se trouver un médecin de famille. En 2013, encore près d’un adulte sur quatre n’avait pas de médecin régulier au Québec, le plus fort pourcentage au pays(7).

Les avantages de recourir aux pharmaciens

À l’heure actuelle, un pourcentage élevé de patients au Québec se présentent à l’urgence d’un hôpital ou consultent un omnipraticien en cabinet ou en clinique pour des troubles de santé bénins nécessitant une intervention médicale relativement simple. Selon un rapport récent du Commissaire à la santé et au bien-être, plus de 60 % des visites à l’urgence des hôpitaux concernent des conditions de santé mineures qui pourraient être mieux soignées ailleurs(8). Il va de soi que ces visites accaparent un volume important de ressources médicales et une partie non négligeable du temps des médecins.

Étant nettement plus accessibles les soirs et les fins de semaines que les médecins, les pharmaciens occupent une place toute désignée pour prendre en charge plusieurs patients aux prises avec des affections mineures. En recourant aux pharmaciens, de nombreux patients éviteront les longs délais d’attente avant de voir un médecin dans le réseau public et bénéficieront d’un accès plus rapide aux soins requis. Des responsabilités accrues conférées aux pharmaciens seront aussi susceptibles d’alléger le fardeau qui pèse actuellement sur d’autres ressources en santé plus onéreuses, tels les médecins et les départements d’urgence des hôpitaux. Cela permettra aux médecins de consacrer plus de temps aux cas plus urgents ou plus complexes, entraînant une utilisation plus efficiente des ressources et des deniers publics.

À l’échelle internationale, les pharmaciens sont de plus en plus intégrés aux services de première ligne et collaborent avec les médecins et d’autres professionnels afin d’améliorer l’efficience du système de santé et l’accès aux soins. Au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, notamment, l’autorisation de prescrire des médicaments et de renouveler des ordonnances est en vigueur depuis plusieurs années(9). Les avantages qui en ont résulté sont bien documentés.

En Angleterre, les pharmaciens possèdent depuis 2005 un pouvoir accru d’offrir des services pharmaceutiques, dont celui de prescrire des médicaments dans certaines situations. Plusieurs pharmacies ont mis en œuvre ces dernières années divers programmes de prise en charge des affections mineures. Selon une évaluation récente, ces nouveaux services offerts par les pharmaciens ont permis de libérer du temps de travail pour de nombreux médecins généralistes et de générer des économies d’environ 23 millions de dollars canadiens par année à l’échelle du pays. La majorité des patients (58,1 %) auraient consulté leur médecin de famille si le service n’avait pas été offert par le pharmacien, ce qui aurait vraisemblablement occasionné des coûts additionnels pour le système de santé(10). Au-delà de ces économies cependant, il est raisonnable de penser que les gains les plus importants ont été réalisés par les patients eux-mêmes, en ayant accès plus rapidement aux soins requis.

Plusieurs pays ont également créé des programmes visant à confier des responsabilités aux pharmaciens en matière de suivi des patients atteints de maladies chroniques(11). L’octroi d’un rôle accru au pharmacien pour la révision et la gestion des médicaments a permis d’améliorer l’adhésion au traitement et de réduire les risques de santé et les admissions évitables à l’hôpital. Ces services ont procuré des bénéfices importants pour les patients atteints de maladies chroniques, tels l’hypertension, l’asthme ou le diabète(12).

Au Canada, on estime que plus de deux millions de personnes souffrent d’un problème d’hypertension mal contrôlé. La mise en place d’un programme de gestion de l’hypertension en pharmacie communautaire permettrait non seulement de réduire le niveau de pression sanguine de plusieurs patients, mais serait également susceptible de générer d’importantes économies pour le système public de santé. Les économies potentielles sont évaluées à 70 millions à l’échelle du Canada, et ce, même dans l’optique où seulement un patient sur quatre bénéficiait du programme(13).

Un rôle accru aux pharmaciens dans les autres provinces

Conscients des avantages que peuvent procurer les services des pharmaciens pour améliorer l’accès aux soins de première ligne, les gouvernements de plusieurs provinces ont commencé ces dernières années à déléguer certaines tâches qui incombaient traditionnellement aux médecins. Ainsi, de plus en plus, on accorde aux pharmaciens le droit de prescrire des médicaments pour traiter des conditions mineures, de renouveler des prescriptions et de mettre en place des cliniques de vaccination, entre autres services (voir Tableau 1).

L’Alberta a été la première province à permettre aux pharmaciens de prescrire des médicaments en 2007 pour le traitement d’affections mineures. Plusieurs provinces ont ensuite emboîté le pas, dont la Saskatchewan, le Manitoba et les provinces atlantiques. Depuis février 2012, les pharmaciens en Saskatchewan sont rémunérés pour la prescription de médicaments visant à traiter diverses conditions de santé ne requérant pas le diagnostic d’un médecin. Une évaluation récente a montré un très haut niveau de satisfaction de la clientèle, tant au chapitre de l’amélioration de la condition qu’à l’égard de la qualité des services rendus par le pharmacien. Seulement 5,6 % des patients se sont dits d’avis qu’un médecin aurait été mieux à même d’accomplir cette tâche(14).

Dans toutes les provinces, à l’exception du Québec et du Manitoba, les pharmaciens offrent également des services de révision et de gestion de la médication, lesquels sont couverts publiquement. Les honoraires versés aux pharmaciens varient d’une province à l’autre selon l’étendue des services rendus et le type de maladie dont souffrent les patients.

En Ontario, le programme MedsCheck offre depuis 2007 à certains patients atteints d’une maladie chronique la possibilité d’obtenir une consultation individuelle complète avec un pharmacien une fois par année afin d’optimiser l’efficacité de leur médication et d’en favoriser l’adhérence. Le gouvernement paie l’honoraire du pharmacien, qui oscille entre 60 $ pour une révision de base en succursale et 150 $ pour un tel service offert à domicile(15). En regard du succès et de la popularité du programme, le gouvernement ontarien a décidé de l’élargir en 2010 afin d’en accroître l’accessibilité pour un plus grand nombre de patients(16).

Depuis quelques années, les gouvernements de sept provinces rémunèrent également les pharmaciens afin d’administrer des vaccins pour prévenir certaines maladies infectieuses, dont la grippe(17). Ces provinces présentent toutes des taux d’immunisation contre la grippe plus élevés que le Québec, où moins du quart de la population reçoit le vaccin(18). En Ontario, le programme mis en place en 2012 a rapidement bénéficié d’un appui important au sein de la population. En 2013-2014, plus de 765 000 Ontariens ont reçu un vaccin contre la grippe dans une pharmacie(19). Lorsque sondés, 99 % des patients ontariens rapportent qu’ils recommanderaient à des amis ou des membres de la famille de se faire vacciner par un pharmacien(20).

Conclusion

En ce moment, même en tenant compte de l’entrée en vigueur éventuelle de la réforme autorisant les pharmaciens à offrir de nouveaux services professionnels, le Québec reste à la traîne par rapport aux autres provinces canadiennes. Davantage de responsabilités pourraient être confiées aux pharmaciens, à l’image de ce qui a été mis en œuvre dans ces autres provinces, notamment l’Alberta et l’Ontario.

Les pharmaciens sont les professionnels de la santé les plus accessibles à la population(21). La littérature scientifique laisse peu de doute sur les avantages que peut amener l’élargissement de leur rôle au sein du système de santé. Plusieurs études confirment que la mise en œuvre de réformes conférant des responsabilités accrues aux pharmaciens dans d’autres pays a contribué à améliorer l’accès ainsi que la qualité des soins offerts aux patients, tout en réduisant le fardeau sur le système public de santé.

S’il faut saluer la mise en œuvre prochaine de la réforme, la décision du gouvernement de ne pas rémunérer certains des nouveaux actes professionnels autorisés et d’interdire aux pharmaciens d’exiger un tarif pour ces mêmes actes risque fort de décourager l’offre de ces services. En allant dans ce sens, la réforme pourrait rater son principal objectif, soit celui d’améliorer l’accès aux soins pour les patients.

Cette Note économique a été préparée par Yanick Labrie, économiste à l’Institut économique de Montréal et titulaire d’une maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

* * *

Références

1. Voir notamment Amélie Daoust-Boisvert, « Québec impose ses conditions aux pharmaciens », Le Devoir, 27 novembre 2014, p. A3. Il est à noter que malgré l’adoption récente du projet de loi 28, le 21 avril dernier, les négociations se poursuivent entre le gouvernement et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires à ce sujet.
2. Commissaire à la santé et au bien-être, Perceptions et expériences de soins de la population : le Québec comparé, Résultats de l’enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund de 2013, janvier 2014.
3. Commissaire à la santé et au bien-être, Perceptions et expériences des médecins de première ligne : le Québec comparé, Résultats de l’enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund de 2012, janvier 2013, p. 46.
4. Claude E. Forget, « Le mystère des médecins québécois “évanouis” : comment améliorer l’accès aux soins », Institut C.D. Howe, Commentaire no 410, mai 2014, p. 5.
5. Commissaire à la santé et au bien-être, op. cit., note 2, p. 27.
6. Commissaire à la santé et au bien-être, Les urgences au Québec : évolution de 2003-2004 à 2012-2013, septembre 2014, p. 14-15 et 50; calculs de l’auteur à partir des données sur les temps de séjour moyens pour les visites en ambulatoire et celles sur civières.
7. Statistique Canada, Tableau CANSIM no 105-3024 : Personnes déclarant avoir un médecin de famille régulier, population à domicile de 15 ans et plus, Canada, provinces et territoires, 2013.
8. La Presse canadienne, « 60 % des visites à l’urgence sont inutiles », Le Devoir, 18 septembre 2014.
9. Cara Tannenbaum et Ross T. Tsuyuki, « The Expanding Scope of Pharmacists’ Practice: Implications for Physicians », Canadian Medical Association Journal, vol. 185, no 14, août 2013, p. 1228-1232.
10. W. Baqir, T. Learoyd, A. Sim et A. Todd, « Cost Analysis of a Community Pharmacy “Minor Ailment Scheme” Across Three Primary Care Trusts in the North East of England », Journal of Public Health, vol. 33, no 4, 2011, p. 551-555; Banque du Canada, « Moyenne annuelle des taux de change », Département des marchés financiers, mars 2015.
11. Elias Mossialos et al., « From “Retailers” to Health Care Providers: Transforming the Role of Community Pharmacists in Chronic Disease Management », Health Policy, 2015 (à paraître).
12. Voir notamment Yazid N Al Hamarneh et al., « Pharmacist Intervention for Glycaemic Control in the Community (the RxING Study) », BMJ Open, vol. 4, no 3, 2013; Valérie Santschi, Ross T. Tsuyuki et Gilles Paradis, « Evidence for Pharmacist Care in the Management of Hypertension », Canadian Pharmacist Journal, vol. 148, no 1, 2015, p. 13-16; George Adulin et Soheyla Mahdavian, « The Effectiveness of Pharmacist Interventions on Asthma Management: A Systematic Review », Journal of Asthma and Allergy Educators, vol. 3, no 6, 2012, p. 264-273.
13. Sherilyn K. D. Houle et al., « Effect of a Pharmacist-Managed Hypertension Program on Health System Costs: An Evaluation of the Study of Cardiovascular Risk Intervention by Pharmacists – Hypertension (SCRIP-HTN) », Pharmacotherapy, vol. 32, no 6, 2012, p. 527-537.
14. Kerry Mansell et al., « Evaluating Pharmacist Prescribing for Minor Ailments », International Journal of Pharmacy Practice, vol. 23, 2015, p. 95-101.
15. Canadian Foundation for Pharmacy, « Fees and Claims Data for Government-Sponsored Pharmacist Services, by Province », octobre 2014.
16. Ministère [ontarien] de la Santé et des soins de longue durée, Élargissement du programme MedsCheck: Le gouvernement McGuinty permet plus de consultations individuelles avec un pharmacien, Communiqué de presse, 8 novembre 2010.
17. Canadian Foundation for Pharmacy, op. cit., note 15.
18. Statistique Canada, Tableau CANSIM no 105-0501 : Profil d’indicateurs de la santé, estimations annuelles, selon le groupe d’âge et le sexe, Canada, provinces et territoires, régions sociosanitaires et groupes de régions homologues, 2013.
19. Sony Poulose et al., « Pharmacist-Administered Influenza Vaccine in a Community Pharmacy: A Patient Experience Survey », Canadian Pharmacist Journal, vol. 148, no 2, 2015, p. 64-67.
20. John Papastergiou et al., « Community Pharmacist-Administered Influenza Immunization Improves Patient Access to Vaccination », Canadian Pharmacist Journal, vol. 147, no 6, 2014, p. 359-365.
21. À ce sujet, voir Yanick Labrie, Chapitre 2 : « Les pharmacies au Canada : des services de santé privés accessibles », dans L’autre système de santé : quatre domaines où le secteur privé répond aux besoins des patients, Cahier de recherche, Institut économique de Montréal, mars 2015, p. 19-26.

 

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