Sans carburant, pas d’élan
Mardi, un collectif publiait son Manifeste pour un élan global dénonçant la production, le transport et la consommation de pétrole. Dans ce texte presque lyrique, les auteurs à l’hyperbole fréquente s’opposent à « l’éradication de la vie » pour créer de la richesse. Ce texte nous laisse perplexes. Certes, les auteurs s’engagent eux-mêmes à consommer moins et à produire mieux, une excellente chose. Ils conscientisent et tentent d’influencer les Québécois par le biais du débat public, faisant ainsi oeuvre utile.
Là où il y a péril, c’est dans l’intransigeance qui va jusqu’à supprimer le choix des autres. Ces dissidents autoproclamés dénoncent l’inaction des familles québécoises comme étant immorale. Pour nous, contraindre les Québécois à un mode de vie frugal en invoquant l’urgence d’agir ne peut être compatible avec l’idéal de la démocratie et de la liberté. Convaincre, oui. Contraindre, non !
Il est d’ailleurs saisissant qu’on invoque le respect de la démocratie. Si la majorité des Québécois (plus de 78 %) est d’avis que les changements climatiques sont un problème important, une très large portion d’entre eux ne partage pas les solutions prônées par les auteurs du manifeste. Un sondage réalisé par Léger en 2014 pour le compte de l’IEDM révélait que les Québécois étaient beaucoup moins enthousiastes à l’idée de payer pour réduire leur consommation de 25 % : moins du tiers (29 %) des répondants était prêt à payer pour atteindre cet objectif de réduction. Lorsqu’on leur présentait le coût réel de telles mesures, soit entre 1500 $ par et 2000 $ par ménage, seulement 12 % des répondants se disaient prêts à en assumer les coûts.
La politique du grand bond en arrière
Dans un document intitulé « Pour un Québec libéré du pétrole en 2030 » qui a été mis à jour en 2011, le groupe écologiste Équiterre proposait une panoplie de mesures pour réduire d’environ le quart la consommation de pétrole. Selon nos calculs, le coût en serait de 6,4 milliards de dollars par année. Le manifeste propose, pour la même échéance de 2030, une réduction de la consommation totale de pétrole de 50 %, soit le double. Le coût de telles mesures serait exorbitant.
Cette vision, cet « élan » comme l’appellent les auteurs, n’aurait pas les conséquences positives qu’ils envisagent pour les générations futures. Plutôt que de protéger « nos enfants, nos petits-enfants et ceux qui suivront », nous leur laisserions une société éclatée, rationnée, inerte, bien éloignée de ce que des parents souhaiteraient léguer à leurs descendants.
Il est particulièrement révélateur que les signataires du manifeste se réjouissent de l’abondance d’énergie renouvelable au Québec, mais qu’on souligne du même souffle comment cette énergie a été obtenue « en inondant la taïga, en déplaçant des nations autochtones, en détournant des rivières et en noyant épinettes, lichens et caribous ». On comprend que si la Baie-James devait se construire aujourd’hui, ils s’y opposeraient. S’inscrivant dans le courant d’immobilisme qui caractérise le Québec contemporain, on se demande quel type d’énergie trouverait grâce à leurs yeux. Que proposent-ils donc ? Qu’on s’éclaire à la chandelle ? Même dans ce cas, la paraffine des chandelles est un sous-produit du pétrole !
Nos poètes énergétiques se lamentent de cette « noirceur nouvelle [qui] se répand sur le Québec » sans se rendre compte un instant de l’ironie dans leur propos. Dans un monde où vivent, mangent, boivent, se transportent, se vêtissent plus de 7 milliards d’individus, leurs propositions ne s’apparentent pas du tout à un élan, mais bien à un grand bond en arrière qui causerait le dénuement et la misère pour l’immense majorité.
La pensée magique
Quiconque reconnaît d’emblée que le Québec est une petite partie du monde se doit d’évoquer les solutions globales. C’est le noeud du problème actuel. Alors que « la survie même de notre espèce est mise en cause », les auteurs semblent croire que le Québec servira sans aucun doute de modèle, imité par les nations du monde dans un concert d’applaudissements et de bonne humeur ! Aujourd’hui le Québec, demain la Chine, l’Inde, les États-Unis… Quant à l’Afrique, elle est déjà à l’avant-garde : après tout, le Chad, le Mali et le Burundi consomment moins d’un baril de pétrole par jour par 1000 personne, contre 64 pour le Canada.
Puisqu’il est question de pensée magique, le manifeste dénonce ceux qui prétendent à « une croissance infinie […] dans une biosphère dont les ressources sont limitées ». La croissance économique « infinie » grâce aux hydrocarbures est effectivement impossible. Cependant, toute l’histoire économique montre à quel point la créativité, l’inventivité et la détermination humaines, elles, sont sans limites. La solution est dans l’innovation, beaucoup plus abstraite qu’une politique-cadre contraignante, mais beaucoup plus efficace.
Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal. Germain Belzile est Senior Fellow à l’IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.