Pourquoi Leitão a tant aimé la présentation de l’IEDM?
Vincent Marissal souligne dans sa chronique d’aujourd’hui dans La Presse à quel point le ministre des Finances, Carlos Leitão, a apprécié la présentation de l’IEDM devant la commission parlementaire des Finances la semaine dernière. Les bons mots du ministre pour notre institut avaient d’abord été relevés par quelques-uns de nos opposants traditionnels avant d’être repris par Michel Pepin, correspondant parlementaire de la radio de Radio-Canada.
Mon collègue Jasmin Guénette et moi-même étions là pour donner notre opinion sur le projet de loi 28. Notre présentation portait sur l’équilibre budgétaire, tel qu’en fait foi notre mémoire, accessible en ligne.
Laissez-moi vous résumer le cœur de notre présentation avant que je ne m’attarde aux réactions que cela suscite. Essentiellement, nous disions quatre choses :
1-Que le déficit du Québec est structurel
Ce constat est celui de plusieurs économistes, du Rapport d’experts sur l’état des finances publiques du Québec, et du ministre des Finances lui-même. En 2013-2014, le déficit était de 2,5 milliards de dollars, alors qu’il était de 3,2 milliards en 2009-2010. Diminuer le déficit de 700 millions en quatre années, c’est peu et ça pourrait bien indiquer qu’il y a des pressions constantes à la hausse dans les dépenses publiques. Six ans après la récession, ce n’est pas normal qu’on peine à revenir au déficit zéro. Bref, le véritable défi qui s’annonce pour les finances publiques ne sera pas tant l’équilibre budgétaire l’an prochain, mais plutôt l’équilibre budgétaire dans les dix années suivantes.
2-Qu’il s’agit d’un problème de dépenses
Dans notre présentation, nous avons rappelé plusieurs hausses de taxes et d’impôt qui ont été imposées déjà. Ainsi, les revenus du gouvernement ont constamment augmenté. Et les dépenses aussi! En fait, elles ont augmenté jusqu’en mars 2014 exactement à la même vitesse que ce qui avait été projeté si le gouvernement ne faisait aucun effort de contrôle des dépenses, une conclusion bien étayée et bien résumée par un graphique qui dit tout. En somme, jusqu’à présent, ce sont les contribuables qui ont été sollicités pour lutter contre le déficit, pas les dépenses publiques. C’est en train de changer sous ce gouvernement, qui contrôle mieux ses dépenses, et c’est tant mieux.
3-Que l’austérité n’est qu’une vue de l’esprit
On peut dire qu’il n’y a pas grand-chose de contestable dans les deux premiers points de cette analyse. Les faits parlent d’eux-mêmes. Dire que l’austérité n’est qu’un slogan vide de sens, voilà au contraire une affirmation qui fait ne fait pas consensus. Pourtant, c’est bien ce que toute personne peut vérifier par elle-même en regardant les données budgétaires du gouvernement puisque les dépenses publiques augmentent année après année. Bon, je reconnais que cela présuppose une définition de l’austérité basée sur la réduction des dépenses de l’État. D’autres, comme Pierre Fortin, parlent de l’austérité comme incluant les hausses répétées du fardeau fiscal. En moyenne, les gens semblent plutôt croire que l’austérité est synonyme de compressions draconiennes. D’ailleurs, ça m’étonnerait que les syndicats dénoncent avec autant de virulence les hausses d’impôt des riches et des entreprises!
4-Qu’il faudra « faire les choses autrement » à plus long terme
La dernière partie de notre présentation propose au gouvernement et aux députés de tous les partis une réflexion à plus long terme sur la livraison des services publics. Notre postulat, c’est qu’il faut que les services publics soient offerts de la manière la plus efficace possible. Ce qu’on appelle « faire les choses autrement » ne permet pas vraiment d’économies à court terme parce que ça ne réduit pas les dépenses ni les services publics. Mais cela permet de contrôler les coûts toujours galopants en augmentant l’efficacité des services. Nous avons présenté trois exemples de ce que peut signifier « faire les choses autrement », tirés de plusieurs publications de l’IEDM : l’organisation des services policiers (inspiré de l’Angleterre), l’assurance-santé duplicative (inspiré du Danemark) et l’autonomie des écoles (inspiré de la Suède).
Les réactions et les sous-entendus
Pour revenir aux commentaires élogieux du ministre des Finances à notre égard, certains les voient comme une source de surprise, qualifiant l’IEDM de « droite » et voyant là un positionnement idéologique de Carlos Leitão. Pour ma part, je ne suis pas vraiment étonné qu’il soit d’accord avec notre analyse de la situation. J’aimerais croire que c’est un peu parce qu’elle a été bien préparée, qu’elle s’appuyait sur des faits bien documentés et qu’une telle analyse offrait un éclairage utile dans les débats publics. Il est bien possible toutefois que l’enthousiasme du ministre et la surprise des journalistes viennent de l’originalité de notre point de vue, qu’on entend peu dans les débats.
Quand tout le monde dénonce l’austérité, qu’on ne parle que de compressions et de services diminués, qu’on évoque même un second report de l’équilibre budgétaire ou d’autres taxes et impôts, notre analyse détonne en effet! Les commentaires laissent sous-entendre qu’il s’agit d’une perspective partiale, biaisée, teintée d’un parti pris. À mon avis, notre présentation en commission parlementaire représente peut-être bien une perspective parmi d’autres, mais cela ne l’empêche pas d’être rigoureusement exacte lorsqu’elle présente des faits, et pertinente dans l’analyse proposée. Peut-être même davantage que d’autres perspectives largement véhiculées…
Youri Chassin est économiste et directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.