La mauvaise prescription
Je connais un moyen facile de contrôler les coûts croissants des soins de santé : il suffit de forcer les patients à attendre une année complète au lieu de seulement cinq mois avant de recevoir leur traitement.
Absurde, dites-vous? Sans aucun doute. Dans les domaines où les gouvernements sont fortement impliqués, tels que les soins de santé, la réduction des dépenses passe plus souvent qu’autrement par le rationnement des services dont les gens ont besoin. Même si je suis d’avis qu’une cure d’amaigrissement ne ferait pas de tort au gouvernement, il y a certainement des façons plus intelligentes de réduire les dépenses publiques.
Malheureusement, l’approche du rationnement est aussi celle que les gouvernements (fédéral et provinciaux) ont choisi d’adopter dans l’espoir de réduire la facture publique de médicaments. C’est ainsi qu’on a vu se succéder au fil des dernières années toute une kyrielle de mesures allant en ce sens : restrictions sur le nombre de médicaments remboursés par les régimes publics d’assurance, allongement des délais de remboursement, plafonnement des prix, etc. Les patients sont évidemment ceux qui en subissent les conséquences, en étant privés des médicaments dont ils ont besoin ou en devant attendre plus longtemps avant de les obtenir.
En matière de politiques pharmaceutiques, le gouvernement actuel au Québec semble déterminé plus que jamais à donner lui aussi priorité à la maîtrise comptable des coûts. Il compte imposer, dès le 1er octobre prochain, un plafond au remboursement des médicaments antiulcéreux de la classe des IPP (inhibiteurs de la pompe à protons) couverts par le régime public (RGAM), une mesure qu’il estime susceptible de générer des économies s’élevant entre 32 millions et 41 millions de dollars annuellement.
La mesure risque de donner bien des maux de ventre à tous ceux qui seront incités à changer, contre leur gré et pour des raisons non médicales, leur médication. Près de 700 000 assurés du RGAM prennent actuellement un médicament de la classe des IPP pour traiter divers troubles digestifs, dont les reflux gastriques et les brûlements d’estomac.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique avait tenté l’expérience, sans succès, en adoptant en 2003 une politique de remboursement similaire forçant la substitution thérapeutique de médicaments. Le système mis en place faisait en sorte qu’un seul médicament dans la classe des IPP était remboursé par le régime d’assurance médicament public. La politique encourageait ainsi les patients à changer leur prescription au profit d’un médicament que les autorités gouvernementales jugeaient équivalent, même si celui-ci était composé d'une molécule chimique totalement différente. Des chercheurs ont par la suite montré que, contrairement aux attentes, la politique a entraîné une augmentation des visites à l’hôpital et une hausse globale des dépenses de santé.
Les patients québécois doivent-ils s’attendre à un scénario différent dans ce cas-ci? Rien n’est moins sûr. Les économies que le gouvernement estime pouvoir dégager avec sa stratégie seraient illusoires, selon une étude du Canadian Health Policy Institute qui vient tout juste de paraître. Au contraire, la politique est plutôt susceptible d’entraîner des coûts nets additionnels pour le système de santé de l’ordre de 50 millions de dollars. Comme les patients ne réagissent pas tous de la même façon à la prise de médicaments, on pourrait observer une hausse du nombre de consultations médicales, d’analyses de laboratoire et de visites aux urgences.
Les programmes gouvernementaux centralisés qui appliquent un contrôle bureaucratique mur à mur ne fournissent jamais les services les mieux adaptés aux besoins de la population. Non seulement cela, ils coûtent généralement plus cher lorsqu’on tient compte de l’ensemble des coûts. L’histoire devra-t-elle encore une fois se répéter avant qu’on en tire définitivement la leçon?
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.