Le prix unique du livre : l’échec français
Regroupés sous la bannière de « Nos livres à juste prix », les promoteurs québécois d’un prix unique du livre s’inspirent largement de l’expérience française. Dommage, car le cas français constitue un échec retentissant. Cette politique d’augmentation artificielle du prix des livres, car c’est bien de cela qu’on parle, a eu pour principale conséquence de réduire les achats de livres sans pour autant sauver les petites librairies.
Dès la fin du XIXe siècle, la France se dote d’un système de prix unique informel pour les livres avant de l’inscrire dans une loi en 1981. Depuis cette date, il est interdit d’offrir un rabais de plus de 5 % sur le prix suggéré pendant une période de deux ans.
Tout comme au Québec, cette politique visait à protéger les petites librairies, dont les parts de marché s’effritaient progressivement, de la concurrence des grandes surfaces. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé. Les librairies indépendantes n’ont obtenu qu’un répit de cinq ans à la suite de l’adoption de la loi. Par la suite, leurs parts de marché ont repris leur tendance à la baisse.
Aujourd’hui, la structure du marché des librairies en France est très similaire à celui des États-Unis, où une telle mesure n’a jamais été mise en oeuvre. Le prix unique a été inefficace sur ce plan.
Des conséquences prévisibles
Le prix unique du livre n’a pas été sans effet pour autant. De 1959 jusqu’à 1981, les familles françaises achetaient de plus en plus de livres, de sorte que ceux-ci représentaient une part grandissante des dépenses totales des ménages. Toutefois, depuis 1981, les dépenses des Français en achat de livres ont d’abord stagné avant de diminuer au cours des années 1990. Les causes de ce déclin sont fort simples. Le prix des livres a monté et les lecteurs en ont moins acheté. Faut-il s’en étonner?
Selon une étude économique de Mathieu Perona en 2004, les familles françaises ont tout simplement choisi d’autres biens culturels à acheter comme les disques. En 1981, alors que le prix unique du livre en France était instauré, les dépenses en livres représentaient 0,45 % du budget des ménages, contre 0,15 % pour les disques. En 2003, on parlait plutôt de 0,37 % pour les livres, contre 0,19 % pour les disques. Ce phénomène s’est probablement produit avec d’autres biens culturels comme les films. En gros, les autres produits culturels ont en partie remplacé le livre.
Dans les dernières années, les substituts aux livres achetés en librairies se sont multipliés. Des livres numériques aux livres audio, en passant par les plateformes d’achats en ligne comme iTunes et les vidéos diffusées en mode continu, les substituts sont plus que jamais disponibles. La majoration du prix du livre par rapport aux autres biens culturels n’en est qu’accentuée.
Étouffer la culture québécoise
Qui a profité de la loi en France? Ni les lecteurs ni les librairies indépendantes.
Personne ne prétend que les fruits et légumes deviendront plus populaires si on en augmente le prix. Alors pourquoi devons-nous expliquer qu’une hausse du prix du livre ne va pas en augmenter la diffusion?
Un principe d’économie aussi simple devrait pourtant être compris de tous, surtout lorsqu’on se rend compte que les Québécois sont parmi les lecteurs les moins assidus au Canada. Quiconque a la culture québécoise à coeur devrait tirer les leçons de l’exemple français… et dénoncer cette mesure obscurantiste!
Vincent Geloso est économiste à l'Institut économique de Montréal. Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Ils signent ce texte à titre personnel.