Radio-Canada devrait recentrer son mandat
La récente décision du gouvernement fédéral de réduire le financement de Radio-Canada a suscité des débats sur la nature de son mandat. Inchangé depuis au moins une vingtaine d’années, ce mandat apparaît maintenant désuet et, considérant les activités actuelles de la société d’État, je crois qu’il devrait être révisé.
Lorsqu’elle a été créée, la Société Radio-Canada/CBC constituait de loin l’acteur le plus important dans le marché canadien de la radiodiffusion. Aujourd’hui, ce n’est qu’un acteur important parmi bien d’autres. Pourtant, elle reçoit toujours beaucoup d’argent des contribuables : près de 1,2 milliard $ en 2011, soit environ les deux tiers de son budget total.
Même terrain que le privé
Je ne m’opposerais pas nécessairement à cette situation si ce n’était du fait que trop souvent, Radio-Canada utilise ces fonds pour imiter les solutions de rechange privées. Comme le professeur Yves Rabeau le souligne dans une publication lancée par l’Institut économique de Montréal le 19 juillet, Radio-Canada joue sur le même terrain que le secteur privé lorsqu’elle choisit les émissions qu’elle diffusera à la télévision et à la radio ainsi que les services qu’elle offrira.
Le meilleur exemple, tel que mentionné par M. Rabeau, est celui du service de musique en ligne gratuit CBC Music. Si vous voulez écouter les plus récentes chansons de Lady Gaga ou des tubes du genre, il suffit de se rendre sur le site Web gratuit de la CBC. Bien sûr, rien n’est vraiment gratuit en ce bas monde – quelqu’un doit payer les redevances aux titulaires des droits d’auteur. Les entreprises privées doivent payer ces coûts de leur poche, ce qui les oblige à facturer un prix à leurs clients. Pendant ce temps, la CBC utilise les fonds publics pour offrir le même service « gratuitement »…
Injuste
À la lumière des progrès technologiques et de l’augmentation des sources de contenu privées dans les dernières décennies, l’utilisation de fonds publics pour concurrencer directement les entreprises privées semble particulièrement injuste. Par contre, si on recentrait le mandat de notre diffuseur public pour insister sur l’information de pointe et la sphère culturelle canadienne, le problème serait atténué.
Après tout, lorsque Radio-Canada ou la CBC diffusent de la musique populaire américaine gratuitement ou présentent des émissions de variétés et des jeux-questionnaires, il est difficile d’affirmer qu’elles font la promotion de la « culture canadienne » (même si le concept n’est pas facile à définir).
Offrir aux téléspectateurs une chaîne d’information continue possédant des correspondants aux quatre coins du monde peut être considéré comme trop coûteux pour les diffuseurs privés du marché canadien (relativement petit comparé à celui des États-Unis). Radio-Canada, toutefois, est bien placée pour offrir ce genre de services. Elle devrait se concentrer à présenter des émissions d’affaires publiques et de vulgarisation scientifique – Découverte est un bon exemple.
Si Radio-Canada mettait davantage l’accent sur ce type d’émissions, elle aurait plus de ressources à leur consacrer et renforcerait ainsi son statut de diffuseur public. Faisant d’une pierre deux coups, elle éviterait aussi d’empiéter sur l’offre des médias privés. Bref, tout le monde (la population canadienne, les diffuseurs privés et Radio-Canada elle-même) ressortirait gagnant d’une telle révision du mandat de notre diffuseur public.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
* Ce texte d'opinion a aussi été publié dans Le Journal de Québec.