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Textes d'opinion

Un écran de fumée

La décision d'Ottawa de ne plus augmenter au taux de 6% par année ses transferts aux provinces et territoires en matière de santé à partir de 2017 aura-t-elle un impact sur le financement et la façon de gérer le système de santé? C'est ce que l'on serait tenté de croire en observant les réactions des commentateurs et des premiers ministres provinciaux réunis à Victoria ces derniers jours.

Certains affirment que l'augmentation moins rapide des sommes fédérales diminuera la capacité des provinces d'offrir des services. Pourtant, les sommes fédérales ne sont pas spécifiquement dépensées en services de santé, mais se retrouvent plutôt dans le fonds consolidé de chaque province.

Qu'Ottawa transfère des montants qui correspondent en moyenne à 40% des dépenses provinciales en santé comme il y a quelques décennies, à 21% comme aujourd'hui, ou à une proportion inférieure comme ce sera le cas après cette décision, n'a aucune incidence directe sur les budgets totaux en santé des provinces.

Chaque province décide de son budget en santé sur la base de ses capacités fiscales et de ses priorités. Les dépenses en santé par habitant diffèrent déjà d'une province à l'autre, de 5096$ au Québec à 6266$ en Alberta.

Cela ne change rien non plus pour le contribuable, qui est le même que ses impôts aillent directement à Québec ou passent par Ottawa avant de se rendre à Québec. Ce débat ne reflète en réalité que la volonté des politiciens provinciaux de disposer de fonds additionnels sans avoir l'odieux de hausser davantage les impôts des contribuables.

Les premiers ministres de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique ont par ailleurs déclaré ces derniers jours que la nouvelle formule de transfert entraînera une balkanisation du système de santé en 13 systèmes. Loin d'être à craindre, des expériences différentes dans chaque province permettraient de mieux évaluer ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas.

Il existe déjà 13 systèmes de santé distincts au pays. Ils fonctionnent en gros de la même façon, mais leurs similarités reflètent d'abord un consensus de la classe politique dans chaque province et non l'influence d'Ottawa.

Contrairement à une croyance largement répandue, ce n'est pas la Loi canadienne sur la santé (dont le respect par une province est une condition pour recevoir la totalité des transferts fédéraux), mais bien les lois provinciales qui établissent en sa quasi-totalité le système de santé public au Canada.

La loi fédérale empêche notamment la mixité du financement, comme l'exigence de frais modérateurs ou la possibilité de payer un montant additionnel pour être traité plus vite dans un hôpital public. Dans le cadre de cette contrainte, les provinces ont toutefois une très grande latitude pour faire des réformes en ayant davantage recours au secteur privé, comme c'est le cas en Europe.

Une gamme de services peut déjà être obtenue en payant de sa poche dans des cliniques privées plutôt que d'attendre plus longtemps pour les obtenir dans un hôpital public. Des changements aux lois provinciales pourraient même permettre le développement d'un système parallèle entièrement privé, incluant des services hospitaliers, où des patients se feraient soigner dans des institutions à but lucratif et paieraient de leur poche ou au moyen d'assurances privées. Dans la mesure où un système public accessible à tous continuerait d'exister, une telle évolution respecterait toujours les conditions de la Loi canadienne sur la santé.

C'est le débat sur cette ouverture accrue au privé qu'il faut faire, de façon à réduire les coûts et à améliorer la qualité des services aux patients. Le débat à savoir si davantage d'argent devrait ou non venir d'Ottawa n'est, quant à lui, qu'un écran de fumée.

Yanick Labrie est économiste à l'Institut économique de Montréal.

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