Syndicalisme: des obligations hors normes
La possibilité d’appartenir à un syndicat découle du principe plus général de la liberté d’association. Ainsi donc, mon attachement envers la liberté m’amène, par conviction, à voir d’un oeil favorable la possibilité pour les travailleurs de se syndiquer.
Le capitaliste (dans le sens de celui qui détient le capital) a besoin des travailleurs, et vice versa. Il a donc tout intérêt à offrir des conditions de travail concurrentielles à ses employés pour les retenir. Ceci étant dit, il est tout à fait rationnel pour les travailleurs, et en particulier ceux qui peuvent être facilement remplacés, de vouloir se liguer afin de d’augmenter leur force de frappe quand vient le temps de négocier les conditions de travail.
En bref, la représentation au moyen d’un syndicat est on ne peut plus légitime quand elle est le fruit d’ententes contractuelles volontaires entre les employés. Or, c’est là que le bât blesse lorsqu’on se penche sur le Code du travail du Québec. Plusieurs de ses dispositions violent en effet ce principe fondamental de liberté, et ce, à plusieurs égards.
La loi permet ainsi l’adoption de clauses dans les conventions collectives qui forcent tous les employés à adhérer au syndicat, sous peine de perdre leur emploi. C’est le cas dans près des trois quarts des milieux syndiqués au Québec.
La disposition dite « formule Rand » force également tous les employés d’un milieu de travail syndiqué, qu’ils soient ou non membres du syndicat, à payer les cotisations. On justifie cette obligation par le fait que même ces travailleurs bénéficieront des conditions de travail négociées par le syndicat. Sauf que ces cotisations servent aussi à financer diverses causes idéologiques ou sociales qui n’ont aucun lien direct avec la représentation des travailleurs.
Ce qui est peu connu, même parmi les employeurs ou les commentateurs généralement bien informés, c’est que de telles mesures iniques sont absolument hors normes par rapport aux standards appliqués un peu partout dans le monde développé.
Une récente publication de l’IEDM à ce sujet (Le modèle de syndicalisation québécois : une anomalie à corriger) permet en effet de constater que la liberté d’association – et de non-association – des travailleurs est beaucoup mieux protégée aux États-Unis, en Europe, ainsi qu’en Australie que chez nous.
Ainsi, les employés non syndiqués des 47 pays membres du Conseil de l’Europe n’ont aucune obligation d’adhérer à un syndicat ni de payer de cotisation syndicale à des fins autres que la négociation collective. Cette situation découle de deux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme rendus en 2006 et 2007 dans lesquels elle déclare que ces deux mécanismes violent la liberté d’association.
Aux États-Unis, 22 États interdisent l’adhésion forcée et le paiement obligatoire des cotisations syndicales. Dans les autres, même si la loi énonce qu’une convention collective peut obliger un employé à devenir membre du syndicat, la jurisprudence subséquente a interprété cette disposition comme forçant simplement le paiement d’une cotisation couvrant les frais de négociation collective. L’employé peut décider de ne pas appuyer financièrement les activités politiques et idéologiques du syndicat.
Les employés non syndiqués en Australie n’ont pas non plus l’obligation d’adhérer à un syndicat ni de payer de cotisation syndicale.
Alors que certains proposent de rendre le Code du travail encore plus strict, notre analyse comparative montre au contraire que c’est en s’appuyant davantage sur le principe de la liberté contractuelle qu’on pourra rendre nos lois du travail plus conformes à ce qui se fait dans d’autres pays libres et démocratiques.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal. Il tient à remercier Louis Fortin, consultant en ressources humaines et chargé de cours en relations industrielles à l’Université McGill, pour sa contribution à la rédaction de cette opinion.