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Textes d'opinion

Endosser l’injustice

Voilà bientôt deux ans qu’a commencé le conflit de travail qui oppose la direction du Journal de Montréal à ses 253 employés.

Si le différend persiste, il a néanmoins muté, au fil du temps. Ce qui n’était, initialement, qu’un conflit privé occupe maintenant la classe politique, depuis que le Parti Québécois a donné suite aux doléances de la CSN, en déposant un projet de loi pour moderniser les dispositions relatives aux « briseurs de grève » et pour redéfinir la notion d’« établissement ».

Au grand bonheur de Mme Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, le porte-parole de l’opposition en matière de travail, M. Guy Leclair, a d’ailleurs déclaré que le Code du travail contient de « méchantes lacunes », car il déséquilibre le rapport de force à l’avantage de l’employeur.

La CSN et le PQ ont raison, et leur souci d’équité est admirable! Le Code du travail ne devrait privilégier personne; il devrait, au contraire, créer un contexte où les adversaires s’affrontent à armes égales. On peut pécher par défaut d’équité, mais certainement pas par excès. Ainsi, pourquoi la CSN et le PQ se contentent-ils d’une demi-mesure, en demandant qu’on révise uniquement les dispositions antibriseurs de grève? Pourquoi ne pas corriger tous les aspects du Code qui créent des injustices?

Par exemple, certains travailleurs peuvent être victimes d’intimidation, au moment de la signature des cartes en vue d’une accréditation syndicale, ou lors de votes à main levée. N’est-il, donc, pas nécessaire et urgent de rendre obligatoire le vote secret? D’ailleurs, des sondages ont révélé que de 71 % à 77 % des Québécois sont favorables à pareille mesure. Pour paraphraser le slogan de la CSN, qui incite au boycottage du Journal de Montréal, je dirais que s’opposer au vote obligatoire, « c’est endosser l’injustice! »

On pourrait aussi réviser la formule Rand, qui oblige tous les employés d’une unité d’accréditation à payer une cotisation syndicale, qu’ils soient ou non membres du syndicat, et qu’ils soient ou non représentés par ledit syndicat. Ainsi, un travailleur à temps partiel doit s’acquitter de sa cotisation, et ce, même s’il ne peut compter sur les services du syndicat en cas de litige avec l’employeur. Être obligé de payer pour un service qu’on ne veut pas, ou qu’on ne nous fournit pas, c’est inacceptable. Bafouer le droit de non-association, « c’est endosser l’injustice! »

Un Code du travail devrait favoriser des négociations saines et le compromis. Pourtant, certaines dispositions encouragent l’affrontement et prolongent inutilement les conflits, le tout aux frais des contribuables. Plus précisément, les cotisations syndicales sont déductibles du revenu imposable au fédéral, et donnent droit à un crédit d’impôt au provincial. Elles sont non imposables pour les centrales syndicales, tout comme le sont les indemnités versées par les fonds de grève. Pourquoi l’activité syndicale bénéficie-t-elle de pareils privilèges, alors que le fardeau fiscal qui pèse sur l’ensemble des Québécois est toujours plus lourd? Accorder un traitement de faveur à un groupe, « c’est endosser l’injustice! »

De fait, comme si ces cadeaux fiscaux étaient insuffisants, le Code du travail n’exige pas que les syndicats rendent disponibles publiquement leurs états financiers; seul un membre peut y avoir accès. En revanche, la population, qui assume les coûts de tous les passe-droits fiscaux, est maintenue dans l’ignorance. Accepter l’absence de transparence syndicale, « c’est endosser l’injustice! »

La classe politique veut corriger les « méchantes lacunes » du Code du travail? Soit! Mais qu’elle les corrige toutes, car modifier uniquement ce qui est à l’avantage des syndicats, « c’est endosser l’injustice! »

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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