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Textes d'opinion

Optimisme naïf

La réévaluation du yuan a fait l’objet de nombreuses spéculations au cours des derniers mois. Certains l’espéraient. D’autres la réclamaient. Chose certaine, tous voyaient en elle un sacrifice que la Chine doit consentir pour permettre à l’Occident de retrouver le chemin de la prospérité.

Puis, samedi dernier, les vœux formulés par plusieurs chefs d’État ont été exaucés: la banque centrale de Chine a annoncé l’assouplissement graduel du régime de change qui lie le yuan au dollar américain. Jusqu’à maintenant, et depuis juillet 2008, le taux de change entre la monnaie chinoise et le billet vert était maintenu fixe à un niveau artificiellement bas. Cette politique avait été introduite par le gouvernement de Pékin à l’aube de la crise économique mondiale dans l’espoir de protéger les exportations chinoises.

La réévaluation a été immédiatement accueillie avec enthousiasme. Quelques pointes d’euphorie ont même été enregistrées sur les marchés et chez certains observateurs. Dans l’ensemble, on considère qu’il s’agit là d’une faveur que la Chine consent à l’Occident. Mais est-ce effectivement le cas?

Avant de répondre, mettons les choses au clair: (1) vaut-il mieux être riche ou pauvre? (2) est-il préférable de détenir une monnaie dont le pouvoir d’achat est élevé ou faible? Dans les deux cas, la réponse est évidente.

En réduisant l’attrait du yuan, le régime de change fixe en vigueur depuis 2008 a eu pour effet de gonfler artificiellement la valeur du dollar. Cet effet de richesse a permit aux américains, mais aussi à plusieurs pays occidentaux, d’acheter à bon marché des produits chinois. En revanche, les Chinois ont été forcés de se priver de biens qu’ils auraient eu les moyens de se procurer si leur banque centrale ne manipulait pas le taux de change.

Si l’ancienne politique a avantagé les acheteurs de produits chinois, la réévaluation annoncée samedi aura l’effet contraire. Inversement, elle haussera le niveau de vie des Chinois qui verront leur pouvoir d’achat s’apprécier alors que les prix de leurs importations diminueront. Le régime de change fixe infligeait à la Chine une certaine pauvreté. Avec la réévaluation, elle s’enrichit. Et on estime qu’elle nous fait un cadeau?

On dit que, malgré tout, la nouvelle politique de Pékin avantagera les pays occidentaux, car si les produits chinois coutent plus cher, les consommateurs privilégieront la fabrication locale, ce qui stimulera la production et enclenchera le cercle vertueux de la croissance. Or, rien n’est moins sûr.

D’une part, la fabrication chinoise exige l’achat de matières premières dont les prix sont généralement fixés sur le marché mondial. Or, comme toute appréciation du yuan signifie une réduction des coûts de production, l’effet de la réévaluation pourrait être annulé par une baisse des prix.

D’autre part, même si produire en Chine devient un jour trop onéreux, pourquoi nos entreprises rapatrieraient-elles leurs activités alors qu’elles peuvent se déplacer vers d’autres pays asiatiques comme le Vietnam ou le Bangladesh?

Compter sur le relèvement de la monnaie chinoise pour relancer l’économie mondiale meurtrie par la crise relève de l’optimisme naïf. La sous-évaluation du yuan n’est pas à l’origine des troubles actuels. Sa réévaluation ne peut donc constituer un remède.

En revanche, l’endettement excessif des pays, l’épargne nationale insuffisante, la fiscalité étouffante, les politiques monétaires irresponsables, les plans de sauvetage irréfléchis, les revendications syndicales déraisonnables, et les réglementations paralysantes sont autant de causes de la débâcle économique. Quand nos gouvernements comprendront-ils que c’est à elles qu’ils doivent s’attaquer? Le gros bon sens économique … ce n’est pourtant pas du chinois!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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