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Textes d'opinion

Solidarité européenne?

C’est avec un profond soupir de soulagement que la planète a accueilli le plan historique de 110 milliards d’euros mis au point par le Fonds monétaire international et l’Union européenne afin de sauver la Grèce de la faillite.

Cette mesure exceptionnelle satisfait tous les politiciens, analystes et commentateurs occupés depuis plusieurs mois à chercher un plan de sauvetage qu’on pense maintenant avoir trouvé. Mais nous sommes-nous demandé pourquoi on insiste tant pour la secourir?

Certes, on brandit le spectre de l’effet domino: la faillite de la Grèce pourrait entraîner celle du Portugal et de l’Espagne, ce qui fragiliserait toutes les économies européennes et pourrait se solder par une crise de l’euro, voire une crise à l’échelle de la planète. Autrement dit, il faut sauver la Grèce pour protéger notre propre avenir économique. Présenté ainsi, l’argument semble convaincant. Mais résiste-t-il à l’analyse?

D’une part, rien ne garantit que le plan de sauvetage évitera la contagion, surtout à plus long terme. On aura alors englouti 110 milliards d’euros dans une mesure stérile. D’autre part, la faillite de la Grèce ne signifie pas une perte totale et définitive pour les créanciers, mais plutôt une restructuration et un rééchelonnement de la dette ainsi qu’une décote, comme ce fut le cas pour tous les pays qui se sont retrouvés en cessation de paiement.

À cet égard, les précédents historiques sont nombreux. Il y eut la faillite de la France en 1797, alors que Dominique Ramel, ministre des Finances de l’époque, décida de ne rembourser que le tiers de la dette publique. En janvier 1918, ce fut au tour de la Russie d’annoncer l’annulation de tous les emprunts étrangers, ce qui fit, entre autres, perdre aux Français le tiers de leur épargne. Plus récemment, on pense au Pérou qui détient un record avec des défauts de paiement en 1976, 1978, 1980, 1983 et 1997, sans oublier les cas du Mexique (1982), de la Russie (1998), de l’Argentine (2001), du Pakistan (2008), de Dubaï (2009) et de l’Islande (2009).

Si la faillite d’un État ne revêt pas un caractère exceptionnel, pourquoi faut-il absolument sauver la Grèce alors qu’elle représente à peine 2% du PIB de l’Union européenne?

Or, on sait que de 2005 à 2010, la dette publique grecque a été achetée par des banques (43%), des fonds communs de placement (22%), des régimes de retraite (15%), des gestionnaires d’actifs (8%) et des fonds spéculatifs (4%). Qui profite réellement du plan de sauvetage? Les institutions financières, évidemment! Voilà donc qui sont ces «nécessiteux» qu’il faut s’empresser de secourir.

Là encore, on nous dira qu’il est impératif de prévenir les faillites bancaires pour préserver la stabilité économique des pays concernés. Ah? Depuis un mois, 22 banques ont fermé leurs portes aux États-Unis. Depuis septembre 2008, ce sont 228 banques qui ont jeté l’éponge sans qu’on en fasse cas. Alors pourquoi le sort des créanciers de la Grèce serait-il plus important?

En somme, nous avons d’un côté un État qui s’est sabordé en vivant au-dessus de ses moyens et de l’autre des institutions financières qui ont pris de mauvaises décisions en prêtant à un débiteur peu solvable. Aujourd’hui, on demande aux contribuables européens, mais aussi américains et canadiens, de payer pour les exubérances d’un État cleptomane et pour les pertes des banques. Et pour camoufler le répugnant et révoltant transfert colossal de richesse qu’on nous impose, on nous parle de «solidarité européenne». Dans mon dictionnaire, c’est tout simplement… du vol!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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