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Textes d'opinion

Si on essayait la fin du monde?

Quand j’étais jeune étudiant et rebelle, dans mes années au cégep, je voulais m’acheter un coffre. Un vrai. Une grosse boîte noire en acier, avec serrure électronique, pour y déposer mes payes. Je détestais les banques. Je refusais de leur prêter mon argent à des taux dérisoires pour qu’elles fassent un profit avec (ce qu’on appelle un compte épargne.) Je me suis calmé avec les années. Je n’ai jamais acheté de coffre. Mais lundi, l’envie m’est revenue.

Quand j’ai lu qu’encore une fois – ce coup-ci en Europe – l’État prend l’argent des pauvres citoyens pour le donner aux grandes banques.

Quoi? Vous pensez que la Commission européenne donnera 60 milliards d’euros, que l’Allemagne, la France, l’Autriche et autres pays membres de la zone euro allongeront 440 milliards en prêts et garanties de prêts, tout ça pour aider le peuple grec? Pour défendre les pauvres Portugais? Par solidarité pour le peuple italien?

Vous pensez que le Fonds monétaire international (FMI) crache 250 milliards – provenant des contribuables du monde entier – pour protéger la veuve et l’orphelin contre les méchants spéculateurs?

Ne soyez pas naïfs. Si les pays d’Europe endettent aujourd’hui leurs citoyens, et que la banque centrale imprime des Euros – réduisant du coup la valeur des Euros que possèdent les épargnants –, c’est pour sauver… les banques!

Faut les comprendre. Les banquiers européens détiennent des centaines de milliards de dettes grecques. Les plus exposées sont les banques allemandes et françaises. Elles ont prêté 119 milliards $ aux Grecs, et possèdent plus de 900 milliards $ de dettes d’autres pays en difficulté comme le Portugal, l’Irlande et l’Espagne. Faudrait surtout pas que le PDG d’une de ces banques soit pris pour vendre sa Maserati… Allez contribuables, videz vos poches!

En somme, les politiciens pigent dans le portefeuille de tous les Européens, et versent l’argent aux grandes banques d’Europe et à leurs actionnaires. On redistribue la richesse des pauvres aux riches. Comme on le fait depuis deux ans aux États-Unis. On force les responsables à prêter aux irresponsables.

C’est ça ou l’apocalypse

Il le faut, nous dit-on. Car sinon, ce sera la « fin du monde ». Les faillites de banques vont entraîner toute l’économie dans un trou noir! C’est drôle, plus de 230 banques ont fermé aux États-Unis depuis le début de la crise. L’aviez-vous remarqué? La FDIC – l’agence qui garantit les dépôts bancaires aux États-Unis – s’assure que les faillites s’opèrent de façon ordonnée. Les banques solides ravissent les parts de marché des banques qui tombent, ainsi que leurs clients. Et personne ne meurt!

Si ça marche pour ces banques, ça peut fonctionner pour un dinosaure comme la banque Goldman Sachs, ou le géant suisse UBS, non? Ces banques qui passent plus de temps à jouer au casino qu’à prêter à des entreprises. Bien sûr, une banque d’affaires comme Goldman Sachs, qui détient des tonnes de produits dérivés – des contrats où l’on parie sur le prix futur d’à peu près n’importe quoi – coulerait beaucoup de monde avec elle. Mais quelle solution de rechange avons-nous? Laisser ces banques prendre des risques énormes en sachant que les contribuables payeront toujours la facture si ça tourne mal?

Surtout que la stratégie de renflouer les banques semble loin de fonctionner. Qu’a-t-on réglé depuis deux ans? Le chômage atteint toujours des sommets aux États-Unis. Le marché immobilier recommence à plonger. L’économie est sur un respirateur artificiel, et les soupes populaires n’ont jamais été aussi populaires.

Pire: en prenant les dettes du privé et en les mettant sur le dos des contribuables, on a aggravé la situation. Car c’est maintenant nous (les États et les citoyens) qui, lourdement endettés, avançons fatalement vers la faillite. Or nous, qui va nous sauver?

Tant qu’on refuse de laisser les mauvais parieurs – la plupart des grandes banques – encaisser leurs pertes et manger leurs bas, on retarde la véritable reprise économique. Tant qu’on refuse de laisser l’économie se purger de ses mauvaises créances, et qu’on refile la facture aux citoyens, on empire le problème. Et on sème les graines d’une crise bien plus violente à venir.

Si on essayait la «fin du monde» pour changer?

David Descôteaux est chercheur à l’Institut économique de Montréal.

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