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Textes d'opinion

Manifester le ventre plein

Comme prévu depuis plusieurs mois, c’est samedi 20 mars que se tiendra la manifestation monstre organisée par le Front commun syndical du secteur public. Si tout se déroule comme prévu, 50 000 employés de l’État en colère marcheront de la Place du Canada jusqu’aux bureaux de Jean Charest afin de réclamer de meilleures conditions de travail et de défendre les services publics. Sont également conviés à ce rassemblement tous les citoyens favorables au statu quo en matière de services publics, nonobstant les déficits budgétaires et l’endettement inquiétant du Québec.

On peut comprendre que les conditions des enseignants et des infirmières nécessitent d’être révisées. La situation de ces travailleurs est particulière et insoutenable à long terme. Mais qu’en est-il des dizaines de milliers de cadres et de bureaucrates qui forment l’appareil gouvernemental et qui prendront d’assaut les rues de Montréal dans deux jours? Selon Mme Lucie Martineau, présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, «les gens en ont ras-le-bol dans les ministères et organismes». Ah bon! Mais de quoi sont-ils donc excédés au juste?

À cette question, le Front commun rétorque que les employés de l’État sont désavantagés sur le plan salarial. Or, si l’on se fie à l’étude de l’Institut de la statistique du Québec que les chefs syndicaux se plaisent à citer, on apprend que la rémunération globale par heure travaillée des employés de l’administration québécoise est en avance de 3,6% sur celle des employés du secteur privé (l’étude tient compte seulement des entreprises d’au moins 200 employés). Leur avantage atteint 10,7% si on les compare aux travailleurs québécois non syndiqués. D’autres données de l’ISQ pour 2008 indiquent que la rémunération horaire moyenne s’élève à 25,30$ dans le secteur public, contre à peine 18,15$ dans le secteur privé.

Notons également que la semaine de travail des employés de l’administration québécoise compte environ 1h45 de moins que celle du secteur privé. Sur une base annuelle, nos fonctionnaires ont donc travaillé 2,5 semaines de moins que le reste de travailleurs de la province. Si l’on considère les heures de présence au travail, les employés de l’État pointent 3,2 heures de moins que les Québécois du secteur privé non syndiqué, ce qui équivaut à environ 5 semaines sur une base annuelle.

L’ISQ rapporte aussi que les débours relatifs à l’ensemble des avantages sociaux et des heures chômées et payées sont plus élevés dans l’administration québécoise que dans le secteur privé (39,31% du salaire contre 35,69%), ce qui est un pourcentage non négligeable.

Nos fonctionnaires seraient-ils désavantagés sur le plan de leur régime de retraite? Pas du tout! La Régie des rentes du Québec rapporte que 99% des employés du secteur public jouissent d’un régime de retraite, lequel est à prestations déterminées dans la quasi-totalité des cas. À peine 25% des travailleurs du secteur privé peuvent se prévaloir d’un régime complémentaire de retraite, lequel, de surcroît, est généralement moins généreux.

N’oublions pas non plus la sécurité d’emploi. Certes, tous les fonctionnaires ne jouissent pas de ce privilège, mais est-il nécessaire de souligner que pratiquement aucun des travailleurs du secteur privé ne bénéficie de cette tranquillité d’esprit?

En somme, comparativement aux conditions observées en moyenne dans le secteur privé, l’administration québécoise offre une meilleure rémunération, une semaine de travail plus courte, des heures de présence moins nombreuses, un régime de retraite incomparable et la sécurité d’emploi. De telles conditions justifient-elles de descendre dans la rue samedi prochain? Alors, Mme Martineau, permettez-moi de vous poser de nouveau la question : de quoi les fonctionnaires ont-ils «ras-le-bol»? J’attends la réponse…

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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