Cadre et bureaucrate
«Je me fais envoyer chi– chaque jour!» C’est la réponse de Marc quand je lui demande comment va le boulot. Marc enseigne en 4e secondaire. Quand il demande à ses élèves de faire un travail, les polis répondent «Ça me tente pas». Les autres poussent un grognement animal dont seuls les mots tabarnak et sacrament sont perceptibles. Un travail ingrat et, parfois, enrageant. «Je me retiens, dit-il. Un élève peut me filmer avec son cellulaire et envoyer ça sur YouTube!»
Marc est syndiqué du secteur public. Et je suis prêt à lui payer – avec mes impôts – une augmentation de salaire.
La semaine dernière, je reçois un courriel de Virginie, une amie infirmière. «Il faut que tu lises ça!» Ça, c’est la lettre que vient tout juste d’écrire Steeve Gauthier, son collègue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Cet infirmier, devenu star médiatique ces derniers jours, est épuisé. Lui et ses collègues sont tannés de se taper des 18 heures en ligne. Plus capable d’endurer des conditions de travail médiocres. Écœurés de tenir le système de santé à bout de bras.
Les infirmiers et infirmières comme Steeve sont syndiqués du secteur public. Et je suis prêt à payer pour leur offrir une augmentation de salaire. N’importe quand.
Mais si je pense aux 14 000 cadres du réseau de la Santé, aux dizaines d’autres milliers de cadres éparpillés dans les labyrinthes de centaines de ministères, organismes et sociétés d’État, et aux milliers de bureaucrates qui les entourent, ma sympathie diminue. Pour les contribuables québécois angoissés de perdre leur emploi, qui regardent leur REER chuter et leurs taxes augmenter, c’est surtout ça la fonction publique. Des bureaucrates. Trop. Et trop de cadres gagnant dans les six chiffres, avec bonis, compte de dépenses, pension à vie et sécurité d’emploi.
En ce moment, le Front commun syndical – qui représente notamment des infirmières et des professeurs – négocie pour obtenir des augmentations de salaire. Le gouvernement (son employeur) cherche plutôt à limiter ses dépenses. Or, une solution commune existe: redistribuer la richesse au sein du gouvernement. Réduisons le nombre de cadres, de ministères, de commissions et d’organismes de toute sorte qui alourdissent la fonction publique, et utilisons ces économies pour améliorer les conditions des Marc, Steeve et Virginie de ce monde.
Le contribuable québécois appuierait cette démarche. Puisque pour une fois, on éviterait de fouiller plus profond dans ses poches.
David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.