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Textes d'opinion

Myopie syndicale

Les négociations avec le Front commun des employés du secteur public ne progressent guère. Les leaders syndicaux persistent à dénoncer les offres de l’État et à réclamer des hausses salariales de l’ordre de 11,25% en trois ans.

Présenter de telles revendications alors que le contexte économique est défavorable, que le taux de chômage grimpe et que l’état des finances publiques se dégrade dangereusement, est carrément arrogant. Pour défendre l’indéfendable, le Front commun brandit une étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) selon laquelle les salariés de l’administration publique québécoise affichent un retard salarial de 8,7% par rapport à tous les autres travailleurs du Québec.

Cette donnée est néanmoins trompeuse. D’une part, en ne tenant compte que des entreprises de 200 employés ou plus, l’analyse de l’ISQ omet de considérer la situation de près de deux millions de travailleurs qui œuvrent dans des PME pour des salaires moins avantageux que ceux de la fonction publique. D’autre part, même en faisant abstraction de ce point, soulignons que l’étude indique tout de même que la rémunération globale par heure travaillée (qui tient compte des avantages sociaux) versée aux employés de l’administration publique est en avance de 3,6% sur celle offerte par le secteur privé! Finalement, pourquoi présenter uniquement l’analyse de l’ISQ? Il en existe pourtant d’autres qui dressent un portrait fort différent. Par exemple, une analyse de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante affirme que «compte tenu des avantages payés nettement plus généreux et des semaines de travail plus courtes, l’avantage total de rémunération dans le secteur public se chiffre à plus de 30%».

Il est vrai que, quels que soient les avantages dont jouissent nos fonctionnaires, il est légitime qu’ils veuillent améliorer leur sort. Par conséquent, si Mme Lucie Martineau, présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, a raison de déclarer que l’«État traite parfois ses employés d’une façon assez grossière», et si le secteur privé est réellement en avance, pourquoi les fonctionnaires ne choisissent-ils pas d’offrir leurs services à des compagnies privées?

La vérité, c’est qu’ils ne sont généralement pas disposés à quitter leur poste, pas même pour un meilleur salaire dans le secteur privé. Pourquoi? Parce qu’ils ont la garantie (1) de ne pas être congédiés par manque de travail, (2) de conserver leur traitement si leur poste est aboli et (3) d’avoir la priorité pour obtenir les postes vacants. Ils ont la sécurité d’emploi! Pas mal, non? Des chercheurs australiens ont d’ailleurs publié une étude en 2002 qui rapportait que les travailleurs estiment qu’une diminution de sécurité d’emploi exige une compensation salariale allant de 7 à 21%.

Évidemment, les syndicats nient l’avantage de la sécurité d’emploi, même si elle est synonyme de sécurité financière et de tranquillité d’esprit. Alors que le Québec a perdu près de 34 000 emplois en 2009, la sécurité d’emploi est un avantage auquel la plupart des travailleurs ne peuvent rêver, et le Front commun a le culot de nous dire qu’il est accessoire?! Tenir pareil discours, c’est narguer le contribuable et mépriser l’angoisse des familles vivant d’emplois précaires!

En revanche, si les leaders syndicaux considèrent réellement que la sécurité d’emploi est secondaire, pourquoi n’y renonceraient-ils pas? Ce geste de bonne foi incitera certainement l’État à accepter les revendications salariales. Si les syndicats refusent pareille concession, nous aurons alors la preuve de leur bluff. Dans ce cas, pourraient-ils, ne serait-ce qu’une fois, admettre que la sécurité d’emploi… cela fait aussi partie de la paie?!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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