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Textes d'opinion

L’indépendance, la vraie!

Lucien Bouchard intervient rarement, mais ses déclarations réussissent toujours à déclencher une onde de choc. Cette fois, c’est le fait d’avoir affirmé que la souveraineté n’est pas réalisable à court terme qui l’a plongé au cœur de l’actualité. Certains partagent son point de vue, d’autres l’affublent des pires épithètes. Chose certaine, il a le mérite d’alimenter le débat sur l’indépendance du Québec.

La liberté est un concept auquel nous accordons tous une très grande valeur. Toutefois, pour permettre un débat fructueux et éviter les dérives idéologiques, il faut que le terme employé ait la même acception pour tous. Selon Le Grand Robert, la liberté, c’est l’absence, la suppression ou l’affaiblissement d’une contrainte. C’est le fait de ne dépendre de personne. C’est la possibilité d’agir sans entrave, de n’être lié par aucun engagement, et d’être affranchi d’une domination.

À l’enseigne de la liberté figure la liberté politique, laquelle fait référence à l’autodétermination, et à la possibilité de se voter des lois et de prélever des impôts. À en juger par les réactions qui ont suivi la déclaration de Lucien Bouchard, il semblerait que le débat s’articule essentiellement autour du statut juridique du Québec. Pour plusieurs, le Québec sera libre le jour où il sortira de la fédération canadienne.

Une telle affirmation réduit la notion de liberté à un concept strictement politique. Or, la véritable liberté ne s’acquiert ni grâce à une formalité juridique ni grâce à un quelconque décret. Il ne suffit pas de couper le cordon qui nous lie à Ottawa pour nous dire indépendants. La véritable émancipation consiste à ne dépendre de personne! Malheureusement, ce n’est pas le cas du Québec.

D’une part, nous sommes tributaires de la péréquation. D’autre part, la dette directe du gouvernement du Québec, laquelle atteint 113 milliards $, n’est pas représentative de notre situation financière. En effet, à ce chiffre, il faut ajouter les multiples engagements à long terme (régimes de retraite, avantages sociaux et emprunts non comptabilisés dans la dette directe), la dette des réseaux de la santé et de l’éducation, des sociétés d’État et des municipalités, ainsi que la portion québécoise de la dette fédérale. Les estimations de la dette publique totale varient quelque peu, mais elles gravitent autour de 110% du PIB! Selon les estimations de l’OCDE, seuls le Japon, l’Islande, l’Italie et la Grèce termineront 2010 avec une dette supérieure à celle du Québec.

Or, que l’on jouisse de l’indépendance politique ou non, on ne peut être libre quand on croule sous les dettes. La Grèce, un pays souverain, est liée par de nombreuses obligations qui limitent considérablement son autonomie. En raison de son endettement, elle est contrainte de se soumettre rapidement aux exigences de l’Union européenne en matière de réduction du déficit et de rendre des comptes sur les manipulations financières qui lui ont permis de cacher l’ampleur de son déficit depuis une décennie. La Grèce est la preuve concrète que l’endettement est une forme d’oppression, et que nous sommes toujours sous le diktat de ceux qui nous financent.

Les Québécois ont raison de rêver de liberté, mais ils ont tort de penser qu’il suffit de quelques signatures au bas d’un document officiel pour être indépendants. Tant que nous vivrons au-dessus de nos moyens, tant que nous aurons besoin de l’argent des autres (que ce soit par l’entremise de la péréquation ou de l’endettement public), nous vivrons sous la contrainte et nous aurons les mains liées par nos engagements. Tant que le Québec ne sera pas financièrement indépendant, nous ne savourerons jamais la véritable liberté!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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