Le «petit boucher» adoré
Qui ne connaît pas Che Guevara, ce guérillero qui, après avoir mené la Révolution cubaine de 1959 aux côtés de Fidel Castro, est devenu la figure emblématique de la rébellion et de l’idéologie marxiste? Depuis sa mort en 1967, des milliers de livres ont été écrits à son sujet et des millions de produits à son effigie sont vendus chaque année.
La manière dont certains interprètent l’Histoire pour faire de Guevara une icône quasi christique m’a jusqu’ici plutôt amusée. Mais je ne riais plus il y a quelques jours en traversant la section Jeunesse d’une librairie bien connue. Mon regard fut alors attiré par un livre rouge placé en évidence sur un présentoir, avec pour titre « L’encyclopédie des rebelles, insoumis et autres révolutionnaires », et publié chez Gallimard. Dans la table des matières figurent, entre autres, les noms de Galilée, Newton, Beethoven, Rimbaud, Freud, Curie, Gandhi, Luther King, et… Guevara.
Mettre Guevara sur un pied d’égalité avec un génie de la musique, un poète légendaire et des scientifiques exceptionnels, a déjà de quoi choquer. Mais ce n’est rien à côté de la description que les auteurs font de lui. On peut lire que Guevara est «le rebelle idéal», «le guérillero dont on rêverait qu’il ait existé, existe, ou puisse exister», que «Guevara, c’est du romantisme en barre», et que «Dans le Che, tout est bon». Quatre pages de louanges, mais à peine quelques mots pour mentionner qu’il avait ordonné «l’exécution de sang-froid d’au moins un traître».
Occulter ainsi le côté sombre de Guevara, c’est mentir au lecteur. Tenir de tels propos dans un livre destiné aux jeunes, c’est carrément du lavage de cerveau!
Selon certaines sources, la figure légendaire aurait fait exécuter près de 200 personnes à l’issue de simulacres de procès vite expédiés. Dans le livre «Yo Soy El Che», Luis Ortega, un journaliste cubain qui a connu Che, affirme qu’il s’agirait plutôt de 1897 exécutions. Daniel James, auteur de «Che Guevara: A Biography» écrit que Che lui-même avait admis avoir ordonné plusieurs milliers d’exécutions. On ignore le nombre exact de veuves et d’orphelins que Che aurait fait, mais même si l’on ne se base que sur les plus modestes estimations, il a tué suffisamment de gens pour être qualifié de tyran sanguinaire. D’ailleurs, ne fut-il pas surnommé «le petit boucher» de la Cabaña, la prison qu’il dirigeait? N’était-ce pas lui qui, le 11 décembre 1964, déclara devant les Nations Unies : «Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que cela sera nécessaire»? Ne faisait-il pas l’apologie de la haine qui fait de l’homme «une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer»?
Ajoutons à cela son initiative d’instaurer des camps de travaux forcés, sous le vocable de camps de «travail et de rééducation», ainsi que le fait qu’il ait ruiné la Banque centrale de Cuba et l’ensemble du pays après avoir imposé par la force le modèle soviétique. Voilà qui tranche avec l’image idyllique qu’on nous présente de Guevara!
Certains diront que, quoique répréhensibles, les exécutions étaient inévitables, car inhérentes à toute révolution. Peut-être est-ce le cas. Mais alors, pourquoi ne pas présenter Che tel qui était réellement, soit un être froid, brutal et intransigeant? La vérité, c’est qu’on a créé une figure légendaire et charismatique pour transcender l’échec de l’idéologie communiste et le totalitarisme qu’elle implique. On cache la réalité pour faire avancer le message. Maintenant, on endoctrine les enfants pour qu’ils adulent un bourreau fanatique. Ce n’est pas seulement minable et mesquin, c’est totalement sordide!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.