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Textes d'opinion

La rémunération des dirigeants d’une entreprise ne concerne que ses actionnaires et administrateurs

Des comparaisons à saveur populiste dénonçant l’écart de rémunération entre le travailleur moyen et les chefs d’entreprise les mieux payés ont récemment été relayées par les médias. On peut s’indigner des salaires versés aux dirigeants des grandes entreprises, comme on peut envier un joueur de basketball de la NBA et son salaire moyen de 6 millions de dollars ou un acteur hollywoodien qui gagne 20 millions de dollars pour tourner un film. On peut aussi étudier la situation plus rationnellement et essayer de comprendre pourquoi les actionnaires – la plupart du temps par l’entremise de leurs mandataires élus, les membres du conseil d’administration – accordent de tels montants aux dirigeants de leur entreprise.

La rémunération tributaire du rendement

Dans la majorité des cas, la rémunération des dirigeants d’entreprise est tributaire de leur rendement. Une étude de Watson Wyatt Worldwide, une firme de ressources humaines, ayant examiné les 1088 plus grandes compagnies américaines a observé que le bénéfice que leurs dirigeants ont obtenu en exerçant leurs options d’achat d’actions a augmenté de 63% dans les compagnies au rendement élevé et a diminué de 38% dans celles au rendement faible de 2005 à 2006. En 2008, la valeur médiane des primes de rendement annuelles des dirigeants d’entreprises américaines a chuté de 19% et la diminution a été plus prononcée dans les industries qui ont subi les pires baisses de profits. Enfin, des économistes ont calculé que la multiplication par six de la rémunération des pdg de 1980 à 2003 est entièrement expliquée par la multiplication par six de la capitalisation boursière des grandes entreprises américaines.

Une compagnie ne pourra pas attirer un bon dirigeant sans payer le prix du marché. Le fait que 40% des pdg américains soient désormais embauchés à l’extérieur de la compagnie – une proportion qui a triplé au cours des dernières décennies – laisse croire que ce marché est très compétitif. Bien sûr, des erreurs peuvent être commises dans l’évaluation des compétences d’un dirigeant ou de la rémunération adéquate. Cela n’empêche pas que les actionnaires et les administrateurs des compagnies sont les mieux placés pour décider des formules de rémunération appropriées et qu’il ne serait pas judicieux que la réglementation se mêle davantage de cet enjeu qui relève de la gestion interne d’une entreprise. Même si un actionnaire minoritaire ne peut pas décider directement de cette question, il possède tout de même un pouvoir d’influence, car il n’est pas captif de l’entreprise. S’il est insatisfait de la manière dont la compagnie fait usage de son investissement, il peut vendre ses actions et choisir de placer son argent ailleurs.

Les pièges de l’intervention de l’État

La crise économique et le sauvetage gouvernemental d’entreprises en faillite grâce à des fonds publics ont servi de prétexte à l’imposition de plafonds à la rémunération de certains dirigeants. Quand l’État devient actionnaire d’une entreprise privée – ce qui est loin d’être une situation idéale considérant qu’électoralisme et gestion d’une compagnie ne font pas bon ménage -, il peut bien sûr exercer son droit d’influencer les politiques de rémunération des dirigeants à l’image de tout autre actionnaire de l’entreprise. Cependant, outre ce cas inhabituel, l’État n’a pas de raison de se prononcer sur les politiques de rémunération du secteur privé.

De même, en ce qui concerne la règle dite du say on pay (qui permet aux actionnaires d’avoir directement leur mot à dire sur les politiques de rémunération de l’entreprise), il est parfaitement légitime pour les actionnaires, propriétaires de l’entreprise, d’adopter une telle règle. Cependant, l’imposer systématiquement par la loi empêcherait de constater quel modèle de rémunération permet de donner les incitations les plus efficaces aux dirigeants d’une entreprise.

Malheureusement, les mesures gouvernementales ne sont pas seulement inutiles, elles ont souvent des effets pervers imprévus. Par exemple, le Congrès américain a éliminé en 1993 les déductions fiscales accordées aux entreprises pour la rémunération non incitative versée lorsque celle-ci dépasse un million de dollars, ce qui a eu comme conséquence de favoriser la rémunération variable et, ultimement, l’augmentation de la rémunération globale des dirigeants. Les obligations de divulgation strictes peuvent aussi contribuer à hausser la rémunération des dirigeants en leur permettant de comparer plus facilement leurs conditions à celles de leurs semblables.

Lorsque, sous la pression électorale, les gouvernements tentent de remplacer l’offre et la demande en fixant la rémunération selon d’autres règles arbitraires, ils dérèglent le mécanisme le plus important par lequel les entreprises peuvent influencer le choix de leurs dirigeants et leur structure de gouvernance globale. La rémunération des dirigeants d’entreprise constitue en fait un débat privé qui doit être réglé au sein de chaque entreprise. Ceux qui se préoccupent de la redistribution de la richesse devraient plutôt consacrer leurs énergies à débattre des politiques fiscales.

Michel Kelly-Gagnon, président-directeur général et Jasmin Guénette, vice-président de l’Institut économique de Montréal (IEDM).

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