Télécommunications: la concurrence n’a pas besoin d’être subventionnée
Marcel Boyer, vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal et titulaire de la chaire Bell Canada en économie industrielle de l’Université de Montréal
Accroître la concurrence dans le secteur des télécommunications est un objectif louable. La mise à disposition imminente de fréquences supplémentaires pour les services sans fil évolués soulève de nombreuses questions quant à la réglementation et la supervision de la concurrence dans l’industrie. Industrie Canada prévoit procéder par enchère, un processus efficace d’allocation des fréquences. Pour le gouvernement, la concurrence et la libre entrée sur le marché et dans une moindre mesure la structure, la durée et la mise en place des licences sont des considérations clés.
Le capital nécessaire et les défis à relever pour entrer et réussir dans l’industrie du sans fil sont significatifs mais l’industrie est présentement suffisamment concurrentielle pour permettre l’entrée d’entreprises innovatrices offrant des services de qualité supérieure. Le niveau actuel de concurrence favorise l’efficacité et l’efficience au profit des consommateurs.
Dans cette industrie en pleine transformation, le rôle du gouvernement doit être de favoriser l’émergence et le maintien de processus concurrentiels. Les subventions ex ante ne favoriseront pas l’entrée d’entreprises à la fois innovantes et capables d’être concurrentielles post-entrée. Les stratégies d’entrée, de tarification et de pénétration et les équilibres subséquents doivent impérativement résulter des pressions d’un environnement concurrentiel non biaisé qui encourage l’entrée d’entreprises efficaces et incite l’ensemble des entreprises à offrir des services au meilleur rapport qualité-prix.
Industrie Canada considère la possibilité de réserver certaines fréquences aux «nouveaux venus», définis comme des entreprises n’exploitant pas ou n’ayant pas de filiale exploitant un réseau SCP/cellulaire national avec services haute mobilité. Ce traitement spécial est équivalent à une subvention ex ante et aurait le même effet en limitant l’étendue potentielle des enchérisseurs et manipulant ainsi à la baisse le prix des licences.
Cette mesure peut créer un risque réglementaire élevé, qui pourrait refroidir les ardeurs des investisseurs dans l’industrie et causer des distorsions coûteuses et inefficaces dans le développement des télécommunications au Canada. Elle entrainera également un manque à gagner important pour le trésor public en limitant l’intensité de la concurrence dans le processus d’enchère. Une bonne gouvernance de la ressource publique que représentent les fréquences exige qu’elles soient distribuées de façon efficace et responsable. Il existe de meilleurs moyens d’assurer une concurrence intense dans l’industrie et l’entrée de nouveaux fournisseurs de services plus efficaces et innovateurs.
Les recherches sur les enchères de fréquences suggèrent que l’allocation des fréquences est aussi importante que le processus d’affectation. L’allocation définit la licence en termes d’étendue géographique, d’étendue de la fréquence et de la durée pendant laquelle la fréquence peut être utilisée. Il est particulièrement important que les conditions de la licence soient fixées de manière à décourager la spéculation: un «nouveau venu» pourrait obtenir une licence et la revendre à profit.
Aucun pays n’a pleinement marchandisé ses fréquences. En pratique, le système actuel alloue les fréquences en blocs limités alors que les fréquences ne sont pas pleinement utilisées. Ce système transforme les fréquences en une ressource artificiellement rare. Une bourse des fréquences pourrait réduire les prix et encourager l’innovation dans les industries dépendantes des fréquences. Une étape intermédiaire serait d’établir des durées de licence plus courtes avec option de renouvellement pour le titulaire, de concert avec la mise en place de marchés secondaires. Si les licences sont conçues adéquatement, les entreprises détenant des licences auraient suffisamment d’incitations à les utiliser ou à les offrir en bourse.
L’importance des fréquences s’accroitra à mesure que les technologies sans fil se développeront. Le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications a recommandé avec raison de «remplacer les dispositions réglementaires avant le fait (ex ante) par des approches qui comptent davantage sur l’intervention réglementaire après le fait (ex post), sur la base de plaintes vérifiées concernant d’importants problèmes de marché remplacer les dispositions réglementaires préventives par des approches qui comptent davantage sur l’intervention réglementaire correctrice sur la base de plaintes vérifiées concernant d’importants problèmes de marché». Ce principe général peut s’appliquer à l’enchère prévue afin d’accroître la concurrence, encourager l’innovation et améliorer le bien-être des canadiens.
Marcel Boyer est vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal.