Pour une réelle ouverture à l’assurance-maladie privée au Québec
Les travaux parlementaires Journal des débats Commission des affaires sociales Le mercredi 17 mai 2006, 11h00 (non révisé) |
La Présidente (Mme James): Alors, bienvenue aux représentantes de l’Institut économique de Montréal, Mme Kheiriddin et Mme Kozhaya. Bienvenue. Alors, je vous avise que vous aurez 20 minutes pour présenter votre mémoire. Par la suite, nous allons procéder à une période d’échange, dans un premier temps, avec le côté ministériel et ensuite un autre bloc de 20 minutes avec l’opposition. Alors, la parole est à vous.
Mme Kheiriddin (Tasha): Merci beaucoup, madame. Mon nom est Tasha Kheiriddin, je suis vice-présidente exécutive de l’Institut économique de Montréal depuis mars dernier. J’assume également la présidence de l’institut de façon intérimaire, et je veux d’abord remercier la commission d’avoir invité l’Institut économique de Montréal à faire sa présentation aujourd’hui du mémoire qu’on a déposé.
Comme vous le savez probablement, l’IEDM est un institut de recherche et d’éducation économique indépendant, non partisan et à but non lucratif. Nous avons pour mission de faire l’analyse économique des politiques gouvernementales et de faire connaître nos conclusions au grand public et aux décideurs comme vous. Nos interventions portent sur la fiscalité, le fardeau réglementaire, la performance des institutions publiques, dont les écoles par exemple, et bien sûr sur l’avenir du système de santé car la santé est le principal poste budgétaire du gouvernement et, je pense, la principale préoccupation aujourd’hui des Québécois.
Dans le domaine de la santé, nous avons été particulièrement actifs avec, premièrement, nos publications, dont vous avez une copie en annexe à notre mémoire, aussi avec nos conférences. Nous avons, entre autres, reçu le fondateur du régime québécois d’assurance maladie l’ex-ministre Claude Castonguay et par coïncidence, demain, on reçoit à Montréal le président du Parti libéral suisse, M. Claude Ruey qui est un ancien ministre de la santé du canton de Vaud en Suisse et qui va parler de ce modèle comme un modèle potentiel pour le Québec. On participe aussi aux grandes consultations publiques comme la Commission Clair au Québec ainsi que les deux commissions fédérales, Romanow et Kirby au Sénat, et aussi, on a fait plusieurs sondages d’opinion publique que nous commandons régulièrement.
Pendant plusieurs années, et je veux souligner ici que l’Institut économique a été parmi les premiers à le faire au Canada, nous attirions l’attention sur les réformes entreprises à Stockholm, en Suède. Ces réformes étaient d’autant plus pertinentes pour le Québec car elles avaient lieu à l’intérieur d’un système de santé qui était essentiellement financé par les fonds publics mais au sein duquel on instaurait une garantie de soins et aussi on avait de la concurrence entre des fournisseurs publics et privés. Cette expérience suédoise et d’autres formes de partenariat public-privé demeurent pertinentes pour améliorer la performance de notre système public ici, au Québec. Mais on voit maintenant que l’impasse du financement public de notre système et le rationnement des soins, les listes d’attente que nous trouvons aujourd’hui, nous amènent plus loin dans le débat. La décision historique de la Cour suprême du Canada dans la cause Chaoulli, nous amène aussi beaucoup plus loin, c’est-à-dire vers la possibilité d’un vrai libre choix, c’est-à-dire que les patients québécois, par choix, pourraient potentiellement payer de leurs poches ou par le biais d’une assurance privée pour obtenir des soins dans les institutions de santé privées se développant en parallèle au régime public qui ne répond pas à la demande.
À la lumière de cette décision de la Cour suprême, nous avons fait quatre recommandations dans notre mémoire et je vais les résumer brièvement: la première, c’est de permettre une ouverture aux assurances privées pour tous les soins médicalement requis et non seulement pour les opérations du genou, de la hanche et de la cataracte; deuxièmement, de ne pas imposer aux assureurs de facturer des primes uniformes; troisièmement, de lever l’interdiction de la double pratique au personnel médical tout en s’assurant de la préservation des ressources nécessaires pour le bon fonctionnement du système public. Et il faut souligner, on appuie le système public mais on pense qu’il faut regarder les options qui sont complémentaires. Le gouvernement ne devrait pas, quatrièmement, réglementer la rémunération des médecins dans le secteur privé mais laisser les prix et les tarifs se fixer librement entre les prestataires de soins privés et les patients.
Maintenant, je vais donner la parole à Norma Kozhaya, notre économiste et la coauteur du mémoire que vous avez devant vous pour présenter notre proposition en détail.
La Présidente (Mme James): Mme Kozhaya.
Mme Kozhaya (Norma): Bonjour. Merci encore de nous avoir invitées. Donc, dans cette présentation, nous voudrions attirer votre attention sur le fait, comme l’a mentionné Mme Kheiriddin, qu’une ouverture complète aux assurances privées est souhaitable. Je vais évidemment expliquer, tout à l’heure, pourquoi une telle ouverture serait conforme à la Loi canadienne sur la santé et, contrairement aux craintes existantes, ne menacerait pas le système public, mais au contraire permettrait d’avoir plus de ressources globales pour le système de santé, et donc permettrait d’améliorer la capacité du système à nous soigner mieux et plus rapidement.
Donc, dans ma présentation, il y aurait essentiellement deux parties. La première concerne l’importance et la nécessité d’avoir des assurances privées pour tous les soins médicalement requis, et non seulement pour trois interventions. Dans la deuxième partie je parlerai de la réglementation éventuelle, que ce soit du personnel médical ou des assurances en tant que telles, par exemple réglementer les primes d’assurance de quelle façon, qu’est-ce qui se fait ailleurs, également.
Malheureusement, une ouverture complète aux assurances privées semble exclue de l’option privilégiée par le gouvernement dans son document de consultation. Or, nous croyons que c’est un débat qui est inévitable, et que, si on ne le fait pas aujourd’hui, il faudrait le faire dans quelques années.
Pourquoi est-il important et même nécessaire d’avoir une vraie ouverture ou une ouverture complète aux assurances privées tel que l’avis de la Cour suprême le permettait et donc tel que le laissait entendre l’arrêt de la Cour suprême? Tout d’abord, l’impasse du financement public. Comme on le sait, déjà le poste santé et services sociaux accapare 43 % du budget des dépenses de programmes, contre 35 % il y avait 15 ans. Même s’il est difficile de prédire avec certitude le futur, tous les experts s’entendent pour dire que cette part-là ira en augmentant, donc ce qui ne laisserait pas beaucoup de marge de manoeuvre au gouvernement ni beaucoup de dépenses pour les autres missions de l’État.
D’ailleurs, le régime public coûte de plus en plus cher, les dépenses par personne, en tenant compte de l’inflation, n’ont cessé d’augmenter. Par exemple, les dépenses publiques par personne en termes réels ont augmenté de 35% au cours des 20 dernières années. Donc, il y a eu plus de financement public, et parallèlement les listes d’attente ont continué d’augmenter et semblent maintenant constituer une caractéristique structurelle du système, et donc juste ajouter plus d’argent public ne semble pas une solution pour réduire les listes d’attente. Et, comme économiste, je suis aussi à même d’examiner qu’une augmentation du fardeau fiscal des particuliers ou même des sociétés ne semble pas envisageable, puisque les contribuables québécois sont déjà les plus taxés en Amérique du Nord. Donc, il serait pertinent de profiter de ressources financières additionnelles que pourraient amener des assurances privées.
Dans tous les pays du monde, les assurances privées jouent un rôle plus ou moins important, allant des plus exhaustives à celles qui ont juste un rôle complémentaire ou supplémentaire. Donc, brièvement, l’exemple pertinent pour le Québec serait les assurances duplicatives où les personnes, tout en restant assurées auprès de la RAMQ et tout en contribuant par leurs taxes et impôt, pourraient payer une deuxième fois pour s’acheter des assurances privées, donc pour s’acheter une option de se faire soigner dans un secteur privé parallèle. De telles assurances existent notamment en Irlande, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et dans un tas d’autres pays, et évidemment, donc, elles ne sont pas illégales, sauf au Canada, dans certaines provinces.
Les assurances privées duplicatives permettraient d’ajouter des ressources au système de santé et éventuellement permettraient de réduire les listes d’attente. Évidemment, ce n’est pas une condition suffisante pour réduire les listes d’attente, parce que ce problème dépend de la productivité, de la réaction du système public, de l’adaptation du système public, de la réglementation même des assurances privées. Donc, ce n’est pas une condition suffisante, mais c’est une condition nécessaire. Et d’ailleurs, dans tous les pays où les ressources ont augmenté, que ce soit public ou privé, on n’observe pas de liste d’attente ou on observe moins de listes d’attente.
En ce qui concerne le contenu des assurances privées, évidemment aucun pays de l’OCDE ne limite la couverture des assurances privées à quelques traitements, par exemple à trois traitements comme le propose le gouvernement. Au contraire, en général on exige qu’un minimum de traitements soient couverts ou qu’un minimum de dépenses soient couvertes, mais aucun ne limite à un nombre très limité de traitements. Une telle limitation réduit de façon considérable la flexibilité des assurances et leur attrait, autant pour les assureurs, pour les offreurs de services que pour les demandeurs. Donc, limiter les assurances privées à trois types d’intervention fait que l’effet sera évidemment marginal. La demande et l’offre vont être très limitées. Peut-être est-ce que de façon spontanée les assurances vont être plus concentrées vers ces traitements-là, parce que c’est là où les besoins sont les plus importants, mais il faudrait laisser plus de flexibilité pour que les gens – que ce soient les patients ou les patients éventuels et les assurances – trouvent un certain équilibre.
Différents intervenants craignent que les assurances privées ou le secteur privé en général menacent le secteur public et que ça va être la fin du secteur public. Évidemment, ce n’est pas ce à quoi on peut s’attendre. D’ailleurs, l’arrêt de la Cour suprême a clairement indiqué que la participation du secteur privé ne paraît pas entraîner la disparition des soins de santé publique, au contraire. Et une telle proposition ignore deux aspects importants: Le premier, c’est que la capacité peut être augmentée par l’ajout d’équipements, qui peuvent être financés par un secteur privé et par des assurances privées. Par exemple, plus de machinerie, plus d’IRM, plus de scanners, plus d’échographes et aussi plus de cliniques privées, plus d’hôpitaux privés, donc plus de lits, plus de salles d’opération. Donc, en ce sens, le secteur privé amène un ajout net et ne draine rien du secteur public.
L’autre point concerne les ressources humaines, le personnel médical. On craint que le secteur privé va drainer… ou que ce que le privé va gagner, c’est le public qui va le perdre. Évidemment, on a présentement un personnel médical qui est sous-utilisé, de l’avis de plusieurs professionnels de la santé. L’utilisation du personnel médical est limitée par des quotas et par des plafonds salariaux, ce qui nous ramène à la question de la double pratique des médecins. Si on lève l’interdiction de la double pratique des médecins ou du personnel médical, tout en s’assurant de la préservation des ressources nécessaires pour le bon fonctionnement du système public, on pourrait dans l’immédiat ajouter les ressources disponibles pour fournir plus de soins, en général.
Contrairement à la proposition du gouvernement actuel de maintenir l’étanchéité entre les secteurs public et privé, nous croyons qu’il faudrait au contraire lever les obstacles qui empêchent les médecins participant au régime public de fournir des soins assurés dans le secteur privé et d’être rémunérés pour ces soins dans le secteur privé.
Et, encore une fois, parmi les pays de l’OCDE qui ont des assurances privées duplicatives, pratiquement aucun n’empêche la double pratique. Il y a peut-être le Luxembourg et l’Italie, mais même là il y a des possibilités de double pratique. La majorité des autres pays permettent la double pratique dans le système privé et dans le système public. Évidemment, il peut y avoir certaines restrictions sur la pratique. On exige parfois des médecins de pratiquer un certain nombre d’heures ou de fournir un certain nombre de services dans le système public avant de pouvoir pratiquer au privé ou d’avoir un plafond de revenus au privé, comme au Royaume-Uni. Mais ces pays-là permettent quand même aux médecins de pratiquer dans les deux.
Et si le gouvernement permet aux médecins au Québec de pratiquer dans les deux systèmes, on améliorerait la disponibilité des ressources dans l’immédiat, donc on pourrait soigner plus de patients sans que cela affecte le budget de l’État, et aussi sans que cela risque de faire perdre des médecins au gouvernement, médecins qui présentement ont seulement le choix de se désengager ou de rester au secteur public. Par ailleurs, comme au Québec les médecins ont déjà la rémunération moyenne parmi les plus faibles au Canada, donc les revenus additionnels qu’ils pourront faire éventuellement dans le secteur privé pourront être à l’avantage du Québec, et permettre de garder plus de médecins au Québec, et même d’attirer des médecins des autres provinces ou des autres pays vers le Québec. Les médecins gagneraient en termes de flexibilité et de revenus supplémentaires, mais aussi surtout les patients gagneraient en termes de plus de soins qui peuvent être fournis. Si, par exemple, on pense à un patient qui a déjà son médecin dans le système public et que son médecin se désengage, si ce patient-là ne peut payer de façon privée, il va être désavantagé, déjà que les gens ont de la difficulté à trouver un médecin de famille ou d’autres soignants…
Donc, en dehors d’un contrat avec la RAMQ, les médecins pourraient disposer de leur temps supplémentaire pour soigner dans un secteur privé, plutôt, par exemple, que de prendre des vacances de facto. Il est possible évidemment que le secteur privé offre plus de rémunération pour qu’il soit concurrentiel ou pour qu’il soit attrayant pour les médecins. Cette situation-là au lieu d’être problématique peut au contraire, encore une fois, être avantageuse parce qu’elle permettrait d’attirer plus de médecins et de garder plus de médecins. Et donc, en ce sens, nous recommandons également de ne pas réglementer la rémunération des médecins dans le secteur privé, mais, au contraire, de laisser les prix et les tarifs se fixer librement entre les prestataires de soins et les patients.
Par ailleurs, dans le secteur privé, les médecins font face à plus de risques que dans le secteur public, et donc c’est un peu normal que des revenus plus élevés compensent en partie ce risque qui est plus élevé.
La partie suivante traite plus spécifiquement de la réglementation des assurances privées. Si le gouvernement décide d’avoir une vraie ouverture aux assurances privées, donc une ouverture pour des assurances couvrant tous les soins, tel que l’a laissé entrevoir l’arrêt de la Cour suprême, est-ce qu’il devrait réglementer ces assurances d’une certaine façon pour assurer un meilleur accès à un grand nombre de patients? C’est le débat qui se fait et qui s’est déjà fait dans plusieurs pays qui ont des assurances privées duplicatives. Comme M. le ministre le disait tout à l’heure, pour plusieurs pays le débat qu’on fait n’est pas du tout pertinent, il y a d’autres débats qui touchent plus spécifiquement la réglementation des assurances privées.
En supposant qu’un jour – parce qu’encore une fois, je crois que c’est inévitable, on ne peut pas continuer de cette façon-là à empêcher les gens de souscrire à des assurances privées vu l’impasse du finance public d’un côté, et de l’autre côté, la liberté de choix des patients – donc, quel genre de réglementation est-ce que le gouvernement pourrait imposer ou quel genre de balise peut-on penser pour encadrer ces assurances privées duplicatives? Au fait, sur ce point, permettez-moi juste de vous rappeler très brièvement le concept même d’assurance et le principe même de comment fonctionne les assurances. Tout d’abord, pour un individu s’assurer consiste à se couvrir moyennant des primes contre certains événements imprévus entraînant des pertes financières énormes, donc qu’un individu ne pourrait pas assumer tout seul en principe. Et donc les assureurs émettent des polices d’assurance pour leur déboursé attendu, leur déboursé à espérer et leurs frais administratifs, plus une certaine marge de profit.
Des individus peuvent avoir des préférences différentes pour les assurances indépendamment de leurs revenus, mais selon, par exemple, leur statut familial, selon leur aversion personnelle au risque, selon leur métier. Finalement, il faudrait que les compagnies d’assurance puissent offrir aux différents demandeurs des polices qui leur conviennent plus. Et comme les compagnies d’assurance vendent une couverture pour le risque elles exigeront des primes d’assurance plus élevées lorsqu’elles considèrent que le risque d’un patient ou d’une catégorie de patient est plus élevé.
La Présidente (Mme James): Alors, Mme Kozhaya, juste vous aviser qu’il vous reste à peu près deux minutes.
Mme Kozhaya (Norma): Merci. Donc, des gouvernements ont songé à exiger des compagnies d’assurance d’avoir des primes fixes pour tous les individus indépendamment de leur niveau de risque. Des expériences pareilles ont eu lieu en Irlande et en Australie, par exemple. De telles exigences ont pour effet qu’il y a plus de mauvais risques qui demandent l’assurance et moins de bons risques, ou de gens à faible risque, qui vont s’assurer. En bout de ligne, on voit que le risque moyen augmente, les déboursés des compagnies d’assurance augmentent, et que donc les primes générales augmentent. Donc, ce n’est pas étonnant d’entendre dire: «Mais, voilà, finalement, on voit que les primes augmentent». C’est à cause de certaines réglementations qui contredisent la gestion rationnelle du risque.
Pour conclure, je dirais que l’arrêt de la Cour suprême a ouvert la porte à l’émergence d’assurances privées couvrant tous les soins. Si le gouvernement québécois permet à ce système-là d’émerger, ce secteur plus étendu et plus dynamique bénéficiera directement et indirectement à l’ensemble des Québécois.
La Présidente (Mme James): Alors, merci beaucoup. Nous sommes prêts maintenant à débuter notre premier bloc d’échange avec les parlementaires. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.
M. Couillard: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, mesdames, merci pour votre communication aujourd’hui et celle de votre organisation. Je voudrais d’abord parler avec vous du recours aux assurances privées pour dissiper, d’après moi, quelques idées qui ne sont pas supportées par les faits.
D’une part, c’est que l’ajout de l’assurance privée n’augmente pas les ressources pour le système de santé; augmente les dépenses totales de santé d’une société par rapport au PIB mais n’apporte pas de nouvelles ressources au système de santé public qui est utilisé par la majeure partie de la population. Et d’ailleurs l’expérience internationale que vous avez citée vous également montre que, dans tous les pays qui ont des assurances duplicatives, le pourcentage des dépenses publiques n’a pas diminué, et le rythme de croissance public ne s’est pas modifié. Alors, il n’y a pas d’impact… L’introduction de l’assurance privée n’a aucun impact sur le financement du système public de santé autre que d’augmenter le pourcentage global des dépenses santé par rapport au PIB, a comme impact certainement d’offrir une plus grande diversité de choix, plus grande diversité de choix de pratiques pour les médecins, ça, ce sont les autres arguments que vous avez mentionnés, mais on ne peut pas utiliser l’argument d’ajout de ressources pour la justifier.
Mais vous avez raison cependant que de nombreux pays, dans l’OCDE – qui, comme je le dis souvent, ne sont pas moins socialement développés que le nôtre – utilisent l’assurance duplicative et la pratique double. Et d’ailleurs je le dis souvent, là, certaines de nos discussions, au Québec, qui sont parfois un peu atteintes de dogmatisme semblent extrêmement bizarres même aux gens de gauche d’Europe, ils ne comprennent pas, là, qu’on ait ce genre de discussions là.
L’assurance pour nous n’est pas également une solution à l’accès parce que le pourcentage de la population qui sont capables de se payer ces primes qui sont très élevées est faible. Est-ce que vous avez déjà fait une évaluation, à l’Institut économique, du pourcentage de la population québécoise, compte tenu que 80% des contribuables déclarent un revenu inférieur à 50 000 $? Quel est le pourcentage de la population québécoise qui serait capable de se payer même l’assurance limitée à trois procédures et encore plus une assurance plus large pour les services médicaux?
Mme Kozhaya (Norma): Nous n’avons pas cette estimation en tant que telle, mais je vous dirais que, par exemple, présentement il y a pratiquement les 2/3 des Québécois qui sont couverts par une assurance supplémentaire essentiellement à travers leur emploi. Donc, même si c’est vrai que le revenu personnel moyen est assez faible, il y a des mécanismes pour faire que les assurances soient plus abordables et qu’un certain nombre de personnes puissent souscrire à ces assurances-là. Par exemple, ces assurances-là pourraient être offertes à travers l’emploi comme un avantage additionnel. Et d’ailleurs, dépendamment des pays, il y a des pays où l’assurance duplicative occupe seulement… où c’est seulement 10% de la population qui est assurée. D’autres, en Australie ou en Irlande, où c’est des pourcentages plus élevés qui peuvent atteindre du 40%, et l’Australie n’est pas un pays beaucoup plus riche que le Québec, donc ça dépend aussi du traitement fiscal qu’on pourrait en faire. Présentement, par exemple, il y a traitement fiscal aux frais médicaux en général dont les assurances privées supplémentaires qui avantage plus les gens à revenus moyens puisqu’il faut que les dépenses totales dépassent 3% du revenu pour que les gens aient droit à ce crédit d’impôt non remboursable. Donc, il y a aussi des mécanismes qui font que, même des gens de revenus moyens peuvent éventuellement avoir accès.
Encore une fois, comme je dis, plus c’est limité et plus c’est cher, et moins il y a des gens qui vont avoir accès, mais peut-être qu’éventuellement ça va devenir plus rentable, il va y avoir plusieurs compagnies d’assurances qui vont être intéressées. Il peut y avoir donc de la concurrence aussi et éventuellement des primes qui seront plus abordables même pour des gens de revenus moyens. Comme je l’ai dit, présentement il y a déjà les 2/3 qui ont une certaine forme d’assurance médicaments et puis dentaire, etc. Et puis, à la limite, même si c’était 20% ou 30% de la population qui souscrirait, ça allégerait quand même le fardeau du système public, ça ferait quand même 10% ou 20% qui éventuellement, au lieu d’être traité dans le système public, vont se faire traiter dans un secteur privé.
Présentement, il y a une très petite minorité de très riches qui peut se payer directement des soins privés et sans assurance, et c’est sûr qu’avec la possibilité d’avoir des assurances une plus grande partie pourra se payer des assurances et donc des soins privés…
M. Couillard: Bien, justement l’expérience internationale montre qu’il n’y a aucune réduction de la demande de soins, dans le réseau public, par l’introduction de l’assurance duplicative parce que la demande est infinie. Alors, on peut en enlever 10%, mais soyez sûrs qu’il y a au moins un 10% qui attend pour se faire traiter, équivalent, et qui va venir prendre des places. Donc, c’est pour ça qu’il n’y a pas d’impact réel sur les dépenses publiques de santé.
La question de la double pratique, moi, j’ai expliqué souvent: je n’ai pas d’objection philosophique formelle au concept de double pratique. Ce qui nous empêche, actuellement et pour plusieurs années encore – quoiqu’on prévoie vers 2015, 3 000 médecins net de plus au Québec – c’est la question de la pénurie de médecins.
Puis là vous avez mentionné qu’il y a des médecins qui voudraient travailler plus. Vous avez raison. Notamment, les chirurgiens voudraient travailler plus. Mais le problème, c’est qu’on n’opère pas tout seul dans une salle d’opération, ça prend un anesthésiste, entre autres. Puis chaque mois, actuellement, au Québec, il y a des hôpitaux qui ont zéro anesthésiste, qui sont en bris de services. Alors, on a un problème majeur de pénurie de certaines spécialités, pas de pénurie de chirurgiens, on ne manque pas de chirurgiens, mais on manque d’anesthésistes, on manque également d’infirmières, on manque de personnes pour accompagner les équipes chirurgicales. Et, dans l’état actuel des effectifs du système de santé, on ne peut pas prendre ce risque-là.
Mais, un jour, si les effectifs deviennent quasi excédentaires, là, comme par exemple en France… Les effectifs du secteur de la santé, quoiqu’on annonce là également une pénurie pour les prochaines années, mais historiquement, en France, les effectifs ont été au niveau quasi excédentaire. À ce moment-là, il n’y a pas de problème majeur à permettre cette double pratique là.
Mais vous ne pensez pas que cette situation de pénurie devrait nous amener à être extrêmement prudents avant d’ouvrir la porte à cette suggestion?
Mme Kozhaya (Norma): Il y a deux points. C’est que de toute façon, au cours des dernières années, le Québec a perdu, de façon nette, des médecins vers les autres provinces, notamment, et aussi vers d’autres pays. Il a perdu aussi, de façon nette, des infirmières. On a entendu beaucoup de reportages sur les infirmières en Suisse, aux États-Unis, en Europe en général.
Donc, si le secteur privé peut offrir des conditions plus favorables – plus de flexibilité, une rémunération plus élevée – peut-être qu’il pourrait attirer ces gens-là de l’extérieur, que ce soient les médecins ou le personnel médical, ou même des anesthésistes.
Et d’ailleurs, je rappelle les mises à la retraite pratiquement forcées qui ont eu lieu, les quotas dans les recrutements dans les facultés de médecine et autres qui, entre autres, ont entraîné ce genre de pénurie là, et que, si on lève ces quotas-là pour les facultés de médecine et autres, on peut en partie… Bon, ça s’est déjà fait, mais ça prend du temps.
Mais aussi une solution plus rapide, c’est que, comme je l’ai dit, donc, un secteur privé qui peut-être peut offrir des conditions plus favorables au personne médical va attirer le personnel médical d’autres pays et d’autres provinces, sans drainer les ressources du secteur public. Et d’ailleurs l’avantage de la double pratique, c’est justement qu’au lieu de forcer un médecin de se désengager, c’est juste lui donner un peu plus de flexibilité, disposer plus de son temps qu’il n’utilise pas au secteur public.
J’aimerais juste aussi, par rapport à ce que vous avez mentionné au début, sur l’effet… En fait, pour l’Australie, il y a eu une estimation de l’effet des assurances privées sur les dépenses publiques. Évidemment, les gens qui se font soigner dans le secteur privé, ça ne réduit pas nécessairement automatiquement les dépenses qui se font dans le secteur public, mais peut-être que ces dépenses-là auraient été encore plus élevées, dans le secteur public, en l’absence d’assurances. Et il y a une étude qui a estimé que pour l’Australie il y a eu un gain net de 800 millions de dollars grâce aux assurances privées, même si ça coûte beaucoup parce que c’est très subventionné – c’est 30% de remboursement de la prime d’assurance, donc ça a un coût aussi fiscal – mais que les avantages, en termes de dépenses par rapport au niveau observé ou à ce qu’on pourrait observer en l’absence d’assurances, est quand même positif, c’est quand même un gain de quelques centaines de millions.
M. Couillard: Mais là, il faut être prudent, parce que l’exemple australien justement est très cité par les opposants aux assurances comme exemple de déviance notamment par le traitement fiscal et nous, je peux vous dire d’emblée qu’on ne compte pas faire de traitement fiscal sous forme d’exemption aux assurances lorsqu’elles seront disponibles. Je vous remercie.
La Présidente (Mme James): Alors, merci. Nous allons maintenant débuter l’échange avec l’opposition officielle. M. le député de Borduas.
M. Charbonneau: Merci, Mme la Présidente. Alors, mesdames, bienvenue à la commission et, d’entrée de jeu, je vais être très franc, je suis à l’opposé de votre approche et en plus, je ne pense pas d’avoir le mandat politique de me rapprocher de cette approche-là puis je pense que le ministre non plus n’a pas ce mandat-là. Mais on la responsabilité de vous écouter et dans une démocratie, le débat, c’est aussi l’expression de points de vue divergents, mais je pourrais reprendre les mêmes arguments que le ministre vous a servis pour vous les opposer, mais je trouve que finalement, c’est comme s’il y a une espèce d’analyse théorique des situations et on ne prend pas en compte la réalité.
Vous étiez là tantôt quand la Fédération des infirmières et infirmiers a témoigné. Qu’est-ce que vous répondez à leur argument puis à tous ceux qui nous disent: Écoutez, là, pour des investissements qui ne seraient pas si énormes que ça, on pourrait aller chercher des gains d’efficience importants en faisant en sorte de compléter les deux réformes des deux docteurs et de faire en sorte que, par exemple, les établissements publics au Québec, qui devaient avoir des centres ambulatoires opérationnels, donc, de véritables centres opératoires ambulatoires, que ces centres-là existent?
Puis, à la limite, si pour une raison ou pour une autre ce n’était pas suffisant, la proposition avec laquelle on n’était pas en désaccord, puisqu’on l’avait même nous-mêmes mis dans un document gouvernemental il y a trois ans et demi, de clinique affiliée spécialisée.
Est-ce que ce n’est pas assez ça? Pourquoi? Pourquoi, pourquoi ajouter? S’il n’y a pas de plus-value au niveau de l’attente, s’il n’y a pas de plus-value au niveau finalement des ressources financières, parce que ce n’est pas vrai que ça règle les problèmes financiers, est-ce que ce n’est pas finalement une conception idéologique, c’est-à-dire vous avez une conception idéologique du libre choix puis de la place, dans le fond, la conséquence que ce libre choix là doit avoir dans une société, et au plan de l’activité économique puis des services qui sont aussi des éléments de l’activité économique, un service… un service de santé, pour vous, c’est un service aussi de la même façon qu’une entreprise de production, dans toutes sortes de domaines. Alors, est-ce qu’en bout de piste, là, votre raisonnement ou votre plaidoyer n’est pas beaucoup appuyé sur une conception idéologique, sur des valeurs qui se débattent, mais qui ne sont pas nécessairement celles qui ont prévalu pour faire les choix de société qu’on a faits depuis déjà un bon moment?
Mme Kheiriddin (Tasha): Avec tout le respect, je répondrai que c’est vous qui avez fait un choix idéologique, c’est votre argumentation qui est idéologique. Écoutez, le Canada se classe parmi simplement trois pays au monde qui n’ont pas un système de santé mixte, c’est-à-dire public et privé. On est en compagnie de Cuba et de la Corée du Nord.
M. Charbonneau: Je vous arrête tout de suite, ça, ce n’est pas vrai, ça.
Mme Kheiriddin (Tasha): Oui, c’est vrai. Oui, c’est vrai.
M. Charbonneau: On a un système mixte, il y a 30% de nos services de santé qui sont produits et dispensés par le privé. La seule chose, c’est qu’on a fait le choix que les services de base des soins médicaux et hospitaliers sont donnés par le public. C’est bien différent, là. Ce n’est pas comme si tout notre système de santé était un système étatique et dispensé par des services gouvernementaux. Ce n’est pas exact, ça.
Mme Kheiriddin (Tasha): Ce sont les seuls pays…
M. Charbonneau: Pour les services médicaux de base, bien oui.
Mme Kheiriddin (Tasha): Ce sont les seuls pays comme ma collègue a parlé tantôt, qui interdisent qu’on paie par des assurances, par exemple, les services qui sont couverts par le système public. Et là, vous ne pouvez pas argumenter, on ne peut pas se payer une assurance actuellement pour une opération à la hanche, c’est couvert par le système public.
Si je peux terminer ma réponse au point que vous avez fait, ce n’est pas une question idéologique, c’est une question, oui, économique, mais aussi sociale. J’ai entendu ce que les infirmières ont dit, qu’il ne faut pas appliquer la logique économique. Écoutez, on ne peut pas dissocier la logique économique et la logique sociale. La raison pour laquelle nous prônons la position présentée aujourd’hui, c’est parce qu’on veut, effectivement, améliorer le système public.
Je ne sais pas si vous croyez à l’éducation publique? Je crois probablement que c’est le cas. Bien, dans ce cas-là, selon votre argumentation avec la santé, vous devriez peut-être fermer toutes les écoles privées. Pourquoi offrir le choix dans le domaine de l’éducation? L’éducation, c’est un droit pour nos enfants, c’est quelque chose, un bien social, quelque chose, auquel on croit. C’est la même sorte d’argumentation. On offre un choix parce que ça améliore la capacité du service public à fournir des services.
Dans l’éducation, vous savez bien que les subventions gouvernementales à l’éducation, c’est moins dans le privé qu’au système public; ça coûte moins, parce qu’une partie est payée par les parents qui font ce choix. Dans le domaine de la santé, c’est la même chose, on dit simplement que, oui, il y a un côté choix, c’est sûr, on veut offrir des choix, mais aussi que ça va améliorer le système pour tout le monde. Et c’est ce que ma collègue a très bien expliqué.
Et moi, je serai en désaccord aussi, M. le ministre, avec tout le respect, qu’on n’améliore pas les ressources, parce que les ressources plus efficaces, ça, c’est des ressources qui fonctionnent mieux. Et on voit que si on a des ressources sans liste d’attente, par exemple, en Europe, il y a des pays qui n’ont pas de liste d’attente. Pas réduire les listes d’attente comme les infirmières disaient «C’est bon à réduire les listes d’attente», mais n’avoir pas de liste d’attente. Ça, ça devrait être le but d’une réforme. Et là, on ne devrait pas exclure le privé simplement parce qu’on pense que, idéologiquement, ce n’est pas une voie à prendre.
M. Charbonneau: Regardez, moi, je ne comprends pas votre… vous dites votre logique, la logique… selon la logique économique, ça améliore puis vous avez beaucoup parlé de l’Australie. Moi, j’ai une analyse de l’Université de Montréal, du groupe de recherche interdisciplinaire en santé de la Faculté de Médecine, et puis je pourrais vous citer également l’avis du Conseil de la santé et du bien-être du Québec qui a été déposé au gouvernement du Québec, en décembre 2002, qui, parlant de l’exemple Australie, nous disent: L’introduction de l’assurance privée en Australie a accru les coûts des services de santé, augmenté l’illégalité du financement des services de santé et n’a eu aucun effet observable sur l’efficience des services. C’est le contraire de ce que vous venez de me dire.
Mme Kozhaya (Norma): Au fait, l’expérience en Australie, je ne dis pas que c’est le bon exemple parce que, vous savez comment ça fonctionne en Australie, dans l’hôpital public, vous pouvez avoir des lits privés et des lits publics. Il y a des hôpitaux privés également mais qui ont évidemment juste des lits privés. Mais, dans les hôpitaux publics, il y a des lits publics et des lits privés… Et puis toutes les expériences en Australie c’est relativement récent. On n’a pas observé d’amélioration importante mais quand même c’est encore très limité. Et le traitement fiscal qui s’est fait c’est aussi des coûts additionnels pour le gouvernement et je crois que ça n’a… Il y a eu différentes réformes qui ont été entreprises à différents moments depuis 1984 et 1994 jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas un système qui est en place depuis un bout de temps et qui semble fonctionner. Et d’ailleurs, comme je l’ai mentionné, ils appliquent le système de tarification uniforme des primes, c’est pour cela que c’est ça le débat qui se fait ailleurs, ce n’est pas est-ce qu’on permet un traitement ou deux. Et puis, ce système-là de prime uniforme pousse les gens qui sont plus à risque à s’assurer plus que les autres, plus que les jeunes, plus que les bons risques et donc, en bout de compte, ça augmente le niveau moyen de risque pour les assurés, les déboursés moyens des compagnies d’assurance et les primes qui vont augmenter en conséquence. Et donc, ça, c’est un genre de réglementation qui est très controversée et qu’on se demande comment on pourrait régler ce problème parce qu’il y a un certain biais qui se fait et qui pousse automatiquement les primes à la hausse et, même si on a en contrepartie un traitement fiscal qui avantage, mais finalement les déboursés… parce que ceux qui vont souscrire c’est ceux qui se considèrent comme plus à risque d’une certaine façon.
Pour répondre à vos autres interventions, tout d’abord, comme je l’ai dit au début, l’assurance privée ce n’est pas une condition suffisante et évidemment il y a beaucoup de réformes qui peuvent être faites à l’intérieur du système public qui peuvent améliorer l’efficience, et c’est tant mieux, et si le secteur public répond aux besoins, le secteur privé va mourir de lui-même, on n’a pas besoin d’empêcher son émergence. Tant mieux, si on peut améliorer et que le secteur privé on n’en a pas besoin. S’il n’y a pas de liste d’attente, s’il n’y a pas de risque, si les gens ont assez confiance dans le secteur public, pourquoi vont-ils s’assurer, pourquoi vont-ils payer des milliers de dollars pour s’assurer? Donc, tant mieux. Ce n’est pas ça le problème. Est-ce que l’ajout de ressources est suffisant? Ce n’est pas de l’idéologie mais l’expérience passée des 30 dernières années a montré l’inverse. Le Canada est le seul pays où, en même temps, on a des dépenses publiques élevées et des listes d’attente assez élevées. En général, les pays qui ont des listes d’attente, c’est en général des pays qui dépensent relativement moins que ce soit en pourcentage du PIB ou en per capita une fois qu’on a converti en dollars. Et le Canada se classe parmi les premiers en termes de dépenses, soit sixième pratiquement, que ce soit par habitant ou… et le Québec, c’est à peu près dans la même situation. Donc, c’est un problème, au fait, plus canadien que particulièrement québécois.
M. Charbonneau: Vous parliez tantôt, bon on a parlé de l’Australie, vous avez parlé de la Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, selon les mêmes spécialistes de l’Université de Montréal, ce n’est pas le recours au privé qui a contribué à réduire l’attente pour les soins publics mais un investissement accru dans le système public puis la volonté de gérer avec plus de détermination les problèmes de santé. Encore une fois, quand on les regarde cas par cas, là, on se rend compte que finalement la thèse de que ça va bien mieux ailleurs parce que tout à coup eux autres ont permis l’assurance privée, puis dans certains cas beaucoup, ce n’est pas démontré et ce qu’on constate c’est que non seulement ce n’est pas démontré puis il y en a eu dans des… dans certaines sociétés, il y a eu des effets pervers et, là où il y a des gains, quand on gratte un peu, on se rend compte que ce n’est pas parce qu’on a permis de l’assurance privé, c’est parce qu’il y a d’autres éléments qui sont entrés en ligne de compte qui ont créé une dynamique favorable à la dispensation des services. Mais en bout de piste, là, ce n’est pas compliqué, vous le dites vous-même: On ne l’a pas fait l’étude pour savoir dans le fond combien de gens seraient en mesure de prendre des assurances. Vous dites: On a deux tiers des Québécois qui auraient des assurances complémentaires. Mais ça, c’est une chose, avoir des assurances complémentaires pour des services qui ne sont pas couverts, mais pourquoi les citoyens, c’est deux tiers qui gagne moins que… pour une très grande majorité, qui ne gagne pas 50 000 $ par année de revenus, pourquoi on les obligerait à aller s’assurer une deuxième fois pour des services qu’ils paient déjà avec leurs taxes et impôts? Ils ont déjà une assurance publique. Mais si on leur fait la démonstration, puis c’est ça qu’on est en train de faire au Québec, si on est capable d’améliorer l’efficience du système puis de faire en sorte que finalement, ils n’ont pas besoin, pourquoi on ouvrirait ça?
Mme Kozhaya (Norma): Les oblige? Comme j’ai dit, c’est bien que le régime universel reste accessible à tout le monde et comme je l’ai dit, c’est peut-être un 10% qui vont choisir de souscrire à une assurance privée et ce 10% là, le pourcentage de ces 10% qui va avoir besoin de soins, parce que ce n’est pas tous les 10% qui vont avoir besoin de traitements, ça va être des personnes en moins qui ne seront pas soignés dans le secteur public.
M. Charbonneau: Ils vont être soignés par du personnel qui n’est pas actuellement en débordement, c’est-à-dire qu’il manque… dans certain cas, on est à niveau puis dans d’autres cas, on en manque, on n’est pas dans un contexte où finalement on peut dire: Il n’y a pas de problème. Le 10% de riches puis de gens qui sont capables de se prendre des assurances, là, eux autres, là, ils n’handicaperont pas ou ils ne compromettront pas le service des autres, parce que finalement il y a tellement de médecins, tellement d’infirmières, tellement de personnel soignant qu’il n’y a pas de problème. Ce n’est pas ça notre réalité.
Mme Kozhaya (Norma): Beaucoup de médecins qui…
M. Charbonneau: Et il y a une cannibalisation qui va se faire des ressources humaines pour pouvoir soigner ce 10% de très riches qui vont passer avant les autres, là. Je veux dire, le résultat, c’est qu’à un moment donné, il va falloir que… ce monde-là, ils ne pourront pas être dans les centres ambulatoires ou dans les hôpitaux à soigner en même temps, ils ne pourront pas faire les deux, ce n’est pas vrai, ça.
Mme Kheiriddin (Tasha): Il y a des médecins qui, comme on a dit tout à l’heure, les chirurgiens, par exemple, qui ne peuvent pas opérer plus qu’une journée et demie par semaine, parce que les salles opératoires sont fermées, on n’a pas assez de personnel pour les remplir. Si vous créez un marché pour des soins privés, c’est sûr que des investissements vont être faits par le privé vont inciter des médecins à travailler dans les lieux privés mais ils seront aussi disponibles, si on a la réglementation, pour travailler dans le public. Écoutez, on aurait le cas peut-être de créer une industrie pour le Québec, pour le Canada aussi, si les autres provinces changent leurs lois également, ou on aurait un secteur privé de santé et là, on aurait un développement, aussi, économique. Moi, en tout cas, il y a d’autres chiffres qui ne sont pas dans notre mémoire, mais il y a une estimation qui a été faite par l’Association des cliniques indépendantes médicales du Canada qui dit qu’il y a un investissement d’environ 10 milliards à 40 milliards qui serait fait dans l’économie canadienne si on permettait le type d’assurance privée ou de pratique privée pour des médecins et des soins privés pour les assurés.
Alors, ce n’est pas simplement une question d’efficacité économique pour le système de santé, mais, là, vous recevrez des impôts de ces investissements privés, ça bénéficierait à tout le monde.
M. Charbonneau: Mais moi, ce que je constate, c’est que finalement, je ne vois pas pourquoi les citoyens paieraient le double… en double des services et des assurances qu’ils ont déjà et je ne peux pas me permettre, moi, de prendre le risque qu’une partie des ressources qui sont actuellement essentielles pour donner le service dans les établissements publics soit cannibalisée par les entrepreneurs privés qui voudraient finalement faire du fric. Ce n’est pas ça la base d’un système de solidarité.
Et moi, je pense qu’il n’y a pas juste l’impératif de profit puis de développement économique dans le sens où vous venez d’en parler, il y a aussi une responsabilité publique de faire en sorte que tous les citoyens soient sur le même pied d’égalité et ce n’est pas parce que vous avez des gens qui gagnent 1 million par année ou qui sont très riches qu’ils ont le droit, eux, de passer avant les autres et d’avoir un traitement privilégié. Moi, je ne veux pas vivre dans une société où c’est ça la valeur qui installe puis qui fonde le système de soins.
Mme Kozhaya (Norma): Les millionnaires s’en vont aux États-Unis. Les gens qui gagnent 50 000 $ par année, eux, ils ne peuvent pas aller aux États-Unis, mais ils pourraient avoir une assurance s’ils le choisissaient. Et vous, vous dites: «Bon, c’est idéologique». Ce n’est pas idéologique, c’est simplement répondre aux besoins de la population.
M. Charbonneau: Aux besoins de qui? Des besoins d’une minorité. Qu’ils aillent aux États-Unis s’ils ont les moyens, là, mais on n’est pas obligé de mettre en place le système pour que le système soit organisé structurellement sur cette base-là, parce que c’est ça que vous dites. Dans le fond, il y a des passe-droits ou il y a des possibilités pour les plus riches, faisons en sorte qu’on institutionnalise le système, qu’on organise le système selon cette philosophie-là puis cette approche-là.
Mme Kozhaya (Norma): Pourquoi ça vous dérangerait d’avoir… Pour vous, c’est ça, l’équité, c’est que tout le monde doit attendre 12 mois, personne ne doit attendre 10 mois, et un, deux mois. Il faut que tout le monde attende 12 mois. C’est ce qui se passe…
M. Charbonneau: Ce que je vous dis, c’est qu’on a fait la démonstration ici, par plusieurs intervenants, qu’on peut améliorer les services publics d’une façon significative par une meilleure gestion des listes d’attente, par une meilleure gestion des blocs opératoires, par une meilleure organisation du système puis par une injection de fonds qui existent déjà, mais qui sont actuellement utilisés pour d’autre chose, hein, parce qu’on est dans un pays à deux niveaux de gouvernement, puis on paie des taxes à deux niveaux. Bon, bien, ça, là, ça, c’est la réponse. Et la réponse, à notre avis, ce n’est pas dans la direction que vous proposez.
Mme Kozhaya (Norma): Vous avez mentionné, tout à l’heure, le Royaume-Uni. Comme je l’ai dit, le problème, c’est qu’on ne peut pas vraiment comparer avec d’autres pays, parce qu’au Royaume-Uni, les assurances privées, ça a pratiquement toujours existé. Ils dépensent pratiquement 7 ou 8% de leur PIB en santé, alors qu’ici on dépense autour de 10%. À un moment donné, il y avait beaucoup de contraintes et beaucoup de diminutions des dépenses en santé, et que maintenant ils ont de nouveau injecté des ressources publiques dans le système de santé. Ils font beaucoup appel aux partenariats public-privé pour la fourniture des soins. Et donc, ce n’est pas qu’ils ont introduit des assurances privées, et que l’introduction d’assurances privées a fait plus. Ça a toujours existé, et ils ont eu d’autres problèmes qui ont fait qu’ils ont des listes d’attente.
Mais, comme je l’ai dit, le Canada est le seul pays qui a en même temps un niveau de dépenses élevé et beaucoup de listes d’attente. En général les pays qui ont des listes d’attente, c’est des pays où on dépense moins. Mais les pays qui n’ont pas de liste d’attente – je vais vous citer, bien, juste une phrase de l’OCDE, donc: «Des délais d’attente tendent à apparaître dans les pays qui se caractérisent à la fois par un système d’assurance maladie public prévoyant une participation financière des patients faible ou nulle et des contraintes sur les capacités chirurgicales.» Donc, les assurances, ce n’est pas la solution magique, mais sauf qu’en l’absence d’assurances, en l’absence de flexibilité on va observer inévitablement des listes d’attente.
Et d’ailleurs, la pénurie de médecins que vous avez mentionnée, c’est le gouvernement qui l’a créée par ses décisions de rationnement des coûts, donc de contraintes à l’entrée dans les facultés de médecine, dans la rémunération des médecins. Donc, c’est inhérent à un tel régime, c’est normal. Dans d’autres places, on voit une abondance de médecins. En Belgique, en France, il n’y a pas de pénurie de médecins parce que c’est plus flexible, parce qu’il y a plus d’assurances privées, plus de secteurs privés, en général.
M. Charbonneau: Ils ne sont pas plus…
Mme Kheiriddin (Tasha): Je pense qu’ils ont la solidarité sociale, en France, hein?
M. Charbonneau: Bien, écoutez, est-ce que vous avez pris connaissance de l’avis du Conseil du bien-être et de la santé de décembre 2002 dont la conclusion, c’est que «le financement privé des services médicaux hospitaliers s’avère au mieux inutile, au pire nuisible»? Quand un avis d’un conseil de cette nature-là – qui a porté essentiellement sur le financement privé des services médicaux et hospitaliers – est donné, je présume que, ça aussi, ça doit être pris en considération. Autrement dit, il peut y avoir le think tank de l’Institut économique de Montréal, là, qui a une conception particulière des choses, mais il y a d’autres éléments, dans la société, et puis il y a d’autres études, puis il y a d’autres points de vue qui prévalent. Et puis, quand on fait une analyse de ce qui se passe à l’étranger, c’est drôle, tout le monde ne fait pas la même lecture que vous.
Mme Kozhaya (Norma): Moi, je vous cite des choses de l’OCDE, et je mentionne que l’expérience donc de certains pays peut être différente, parce qu’ils ont pu avoir une certaine réglementation spécifique des assurances, parce qu’ils ont d’autres problèmes. Franchement, jusqu’à date, je n’ai pas trouvé de système idéal d’assurance santé encore. Mais sauf qu’il y a quand même des généralités qui se dégagent. Et, comme je l’ai déjà mentionné, les pays qui ont des listes d’attente, c’est en général des pays qui ont moins d’assurances privées. Il n’y a aucun pays qui a une bonne place aux assurances privées qui a des listes d’attente. Donc, c’est un choix. On peut choisir plus solidaire avec plus de listes d’attente ou un pays où on permet plus de compétition, plus de concurrence, plus de possibilités de participation et où on a moins de listes d’attente.
La Présidente (Mme James): Alors, sur ça…
M. Charbonneau: …liste…
La Présidente (Mme James): Je suis désolée, M. le député, c’est terminé. Vous avez déjà légèrement dépassé le temps.
M. Charbonneau: Alors, j’espère qu’on aura l’occasion de débattre à nouveau.
La Présidente (Mme James): Sur ça, mesdames, Mme Kheiriddin, Mme Kozhaya, merci pour votre présentation de la part de l’Institut économique de Montréal. Et je demanderais aux représentants du Conseil pour la protection des malades de venir prendre place pour leur présentation. Je vais suspendre les travaux de la commission quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 11 h 30)