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Événement

Assurance-maladie privée: menace ou opportunité?

Allocution de Michel Kelly-Gagnon, Président de l’Institut économique de Montréal, dans le cadre du Forum Insight sur le système de santé au Québec, 25 janvier 2006

Bonjour Mesdames et Messieurs,

J’aimerais d’abord remercier la société Insight d’avoir offert à l’Institut économique de Montréal la possibilité de nous joindre à eux pour la présentation de la conférence d’aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois que nous nous associons à Insight et je dois dire que la qualité des événements qu’ils organisent est toujours impressionnante.

Comme vous le savez peut-être, l’Institut économique de Montréal a comme mission d’analyser les politiques gouvernementales, en particulier celles du Québec. Comme la santé est le principal poste budgétaire du gouvernement québécois nous ne pouvons pas ignorer le débat crucial sur l’avenir du système de santé. Nous avons été particulièrement actifs:

• avec nos études (parmi les premières au Canada à attirer l’attention sur l’apport du privé au système de santé suédois);

• nos conférences (nous avons, entre autres, reçu le fondateur du régime québécois d’assurance-maladie, l’ex-ministre Claude Castonguay);

• notre participation aux grandes consultations publiques (Commission Clair, Commission Romanow, Comité Kirby du Sénat);

• les sondages d’opinion publique que nous commandons régulièrement.

Bref c’est un dossier qui nous occupe et nous préoccupe énormément, et ce depuis le début de nos opérations il y a six ans.

Il va sans dire que l’arrêt de la Cour Suprême du Canada – que vous venez tout juste d’examiner avec Me Chénier – vient de marquer un tournant historique dans ce débat puisqu’il met fin au monopole du régime public pour les services de santé médicalement requis.

Quelques constats

Avant de répondre à la question posée par le titre de mon allocution, à savoir si l’assurance-maladie privée constitue une menace ou une opportunité, laissez-moi d’abord énumérer quelques constats.

• En 2005-2006, le gouvernement du Québec consacre déjà 43% de ses dépenses de programme à la santé (les dépenses de programme sont les dépenses excluant le service de la dette). Il y a 15 ans, ce chiffre était de 35%.

• Après prise en compte de l’inflation, les dépenses publiques de santé per capita au Canada ont crû de près de 90% en 30 ans et atteignaient plus de 2 800 $ en 2004.

• Malgré cette augmentation, les temps d’attente pour subir un traitement sont passés en moyenne de 9,3 semaines en 1993 à 17,9 semaines en 2004. Il s’agit ici du temps d’attente médian entre le moment où le patient est référé à un spécialiste par son médecin généraliste et le début du traitement lui-même.

• De plus, si on regarde l’avenir, les experts s’entendent pour dire qu’avec le vieillissement de la population et la découverte de nouveaux traitements, la demande de soins de santé ne fera qu’augmenter.

• Pour financer cette demande, le gouvernement du Québec, de quelque parti politique que ce soit, pourra difficilement augmenter les impôts puisque les Québécois sont déjà les plus lourdement imposés en Amérique du Nord.

Que peut-on conclure de ces constats? Selon nous, il est clair que le financement des soins médicalement requis uniquement par des fonds publics se trouve dans une impasse.

À ces constats il faut en ajouter un dernier, mais non le moindre:

• Le Canada est le seul pays de l’OCDE, et je dis bien le seul, dont le système de santé repose exclusivement sur un financement public des soins médicalement nécessaires.

C’est à la lumière de ces constats que l’Institut économique de Montréal a applaudi la décision de la Cour Suprême dans la cause Chaoulli. L’État étant de plus en plus incapable de pallier au sous-financement du système, il est tout à fait logique de permettre aux gens de suppléer au manque de ressources de l’État avec leurs propres ressources.

Quelle assurance privée pour le Québec?

Comme vous le savez, le gouvernement du Québec s’apprête, dans quelques jours ou quelques semaines tout au plus, à tenir des consultations publiques sur la voie qu’il entend suivre pour répondre à l’arrêt de la Cour Suprême.

En prévision de ces consultations, l’Institut économique de Montréal a examiné ce qui se fait ailleurs dans le monde en matière d’assurances santé privées. Premier résultat de nos travaux: une courte étude intitulée Le financement de la santé par l’assurance-maladie privée et qui recense cinq grandes catégories d’assurances santé privées. Il serait trop long et trop technique de définir ici chacune de ces assurances. Ce qu’il faut retenir c’est que parmi les cinq catégories, une seule est présentement disponible au Québec, soit l’assurance supplémentaire. On parle ici des assurances qui couvrent les extras ou les services qui ne sont pas assurés par le régime public.

Qu’est-ce que le jugement Chaoulli va changer? Selon notre analyse, trois des quatre autres types d’assurances santé privée (primaire principale, primaire substitutive, complémentaire) ne pourraient voir le jour au Québec en raison d’obstacles légaux qui subsistent soit au fédéral, soit dans les lois québécoises.

Le nouveau type d’assurance qui devrait émerger suite au jugement Chaoulli est l’assurance dite duplicative. L’assurance duplicative permet à un patient de se faire soigner dans des hôpitaux privés tout en demeurant couvert par le régime public. Ce type d’assurance existe dans un grand nombre de pays, incluant la Finlande, l’Italie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande ou le Royaume-Uni. En Australie près de 45% des citoyens y ont recours.

Concrètement, l’introduction au Québec de l’assurance duplicative signifierait que des personnes – tout en restant assurées auprès de la RAMQ qu’ils financent par leurs impôts – pourraient payer EN PLUS pour avoir l’option de se faire traiter dans un système privé parallèle.

Cette assurance viendrait donc AJOUTER de nouvelles ressources dans le système. Ce qui ne pourra qu’avoir des effets bénéfiques sur l’accès aux soins. Une étude de l’OCDE confirme que généralement, plus les ressources sont importantes (autant les ressources publiques que privées), moins on observe de listes d’attente.

Une menace pour le système public?

Certains défenseurs du monopole du régime public prétendent que l’introduction d’un système privé parallèle signifie la fin du régime public universel. Laissez-moi examiner les deux principales menaces qu’ils invoquent.

1. Première menace, que j’appellerais la «vampirisation» du public par le privé.

Ceux qui souhaitent le maintien du monopole de l’assurance-maladie publique soutiennent que l’émergence d’un système privé parallèle n’amènerait pas de nouvelles ressources dans le secteur de la santé. En d’autres mots, ce que le privé gagnerait, le public le perdrait.

Selon nous, cet argument ignore deux aspects importants.

Premièrement: La capacité et la productivité du système peuvent être augmentées par l’ajout d’équipements et par la construction de nouveaux hôpitaux ou cliniques. Toutes ces ressources sont disponibles sur le marché à relativement court terme si des fonds additionnels permettent d’en financer l’achat. Et c’est justement ce que ferait l’ajout d’assurances santé privées duplicatives.

Deuxièmement (et contrairement à une opinion largement répandue): Sur le plan de la main-d’oeuvre, il est aussi possible d’augmenter les capacités du système dans un délai relativement rapproché. Dans l’immédiat, on pourrait permettre au personnel médical existant, actuellement sous-utilisé, de travailler plus. Pour atteindre une disponibilité des médecins semblable à celle des autres pays de l’OCDE, il faudrait bien sûr modifier la réglementation qui empêche aux médecins participants au régime public de pouvoir se faire payer dans le privé pour des services déjà assurés par la RAMQ.

2. Deuxième menace invoquée par les défenseurs du monopole étatique: l’existence d’une alternative privée mènerait inévitablement à une réduction du financement du système public de santé.

Cette thèse est contredite par la réalité. En effet, les dépenses publiques per capita sont plus élevées en Allemagne ou en France, où il existe un secteur privé parallèle, qu’au Canada, où ce secteur est interdit. De plus, dans d’autres pays (comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande et le Royaume-Uni), les dépenses publiques de santé ont continué à augmenter parallèlement au développement d’un secteur privé de santé.

La viabilité du système public n’est pas menacée par l’introduction d’un système privé parallèle. Dans son jugement dans la cause Chaoulli, la Cour Suprême a d’ailleurs écrit: «La preuve concernant la situation dans d’autres démocraties occidentales où le système de santé public permet l’accès aux soins privés, réfute la théorie […] voulant que l’interdiction de souscrire une assurance privée soit liée au maintien de soins de santé publics de qualité. La participation du secteur privé ne paraît pas entraîner, en fin de compte, la disparition des soins de santé publics.»

Un système de santé privé parallèle financé par des assurances-maladie privées ne viendra donc pas démolir le régime public actuel. Bien au contraire… Un nouveau secteur de santé privé pourrait prendre le relais quand les files d’attente sont trop longues dans le secteur public. La RAMQ pourrait avoir recours à ce secteur de santé privé québécois en y référant des patients, au lieu de les envoyer aux États-Unis comme la RAMQ a dû le faire par le passé. Bref, l’existence d’un secteur de santé privé est susceptible de bénéficier non seulement aux assurés privés, mais aussi et aux assurés publics.

Dans une certaine mesure c’est ce que fait déjà la CSST (Commission de la santé et de la sécurité du travail). Si le secteur privé est bénéfique pour ces organismes publics, pourquoi ne le serait-il pas pour les citoyens ordinaires?

Système universel ou à deux vitesses?

Avant de conclure, j’aimerais faire un bref commentaire sur le titre du Forum d’aujourd’hui, qui parle de «système universel ou à deux vitesses?». Le régime actuel est de facto un système «à deux vitesses». Une vitesse pour les très riches et une autre pour tout le reste de la population. En effet, jusqu’à maintenant, en cas de maladie et de délai d’attente dans le régime public, seuls les très riches peuvent obtenir des soins auprès d’établissements privés. Ils le font en payant directement de leur poche et souvent à l’extérieur du Canada. Dans son jugement la Cour Suprême a d’ailleurs écrit que «l’interdiction de souscrire une assurance (…) fait en sorte que seuls les gens très riches, qui n’ont pas besoin d’assurance, ont accès à des soins de santé privés leur permettant d’éviter les délais du système public.»

En ouvrant la porte à l’assurance maladie privée, ce n’est donc pas aux riches que profitera le jugement de la Cour suprême, mais aux Québécois et Québécoises de la classe moyenne. Grâce à ce jugement, les soins de santé privés deviendront accessibles à une partie plus large de la population et ici même au Québec plutôt qu’à l’étranger.

Conclusion: l’opinion publique et la liberté de choix

En conclusion, ceux qui réfléchissent et débattent de ces enjeux – comme nous aujourd’hui – devraient garder en tête ce que la population du Québec pense de ces nouveaux développements. Comme je vous le disais en début de présentation, l’Institut économique de Montréal commande régulièrement des sondages d’opinion publique. Je vous donne quelques résultats récents qui en surprendront plusieurs:

• En juin dernier, un sondage IEDM/Léger Marketing révélait que 61% des Québécois souhaitent que le gouvernement du Québec se conforme au récent jugement de la Cour suprême dans la cause Chaoulli. Et, fait à noter, cette opinion est majoritaire chez les électeurs de tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale.

• Plus récemment, au mois de décembre 2005, un autre sondage IEDM/Léger Marketing révélait que 7 Québécois sur 10 (72%) accepteraient que l’État, tout en maintenant le système actuel de santé gratuit et universel, permette un accès plus rapide à des soins de santé à ceux qui souhaitent payer pour ces soins dans le secteur privé.

Ce qui est clair pour nous c’est que les Québécois souhaitent une plus grande liberté de choix en matière de santé. Cette liberté de choix est un principe fondamental sur lequel je n’ai pas insisté dans cette présentation mais qui demeure central dans ce débat.

J’espère d’ailleurs, et en terminant, que les décideurs politiques de tous les niveaux sauront écouter leurs électeurs et ajuster leurs programmes politiques pour mieux refléter ce principe.

Je vous remercie de votre attention et serais heureux de répondre à vos questions.

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